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mardi 24 novembre 2020

Sérieux comme le plaisir (Robert Benayoun, 1974)

Ménage à trois. Un homme nu se lève à droite du lit, il parcoure la pièce, un homme nu se réveille à gauche du lit. Couple homo ? Mais non, une femme est au milieu des deux hommes, tout sourire, toute guillerette. Voilà respectivement par ordre d'apparition au saut du lit Bruno le brun (Richard Leduc, déjà présent dans le premier film de Robert Benayoun Paris n'existe pas), Patrice le blond (Georges Mansart) et Ariane (Jane Birkin). Ils vivent dans l'insouciance de leur jeunesse dans un immense appartement décoré comme dans un film de Fassbinder (tapis moumoute blanche au sol et couverture comme dans Les Larmes amères de Petra Von Kant), pas certain que ce ne soit autre chose qu'un hasard dû au décorateur.

Ces jeunes gens sont modernes et un peu oisifs, à total contre-courant des trente glorieuses et de la société de consommation. La preuve quand Patrice part acheter une voiture d'occasion pour partir en vacances. Il demande au vendeur (Francis Perrin) une voiture en panne. Il en explique les raisons. C'est que Sérieux comme le plaisir avec son titre en oxymore navigue dans les flots de l'absurde, de ceux du surréalisme poétique et des étendues de calembours. Jean-Claude Carrière est au scénario de ce road-movie qui s'annonce. Paris n'existe pas restait à Paris mais changeait d'époque, Sérieux comme le plaisir fait l'école buissonnière avec peu de construction dramatique, le film est une addition de saynètes.

Le trio rencontre tout un flot de personnages. Commençons par Paris. D'abord le sponsor de leur voyage, Roland Dubillard, dans son habituel numéro de bourgeois un peu précieux. On tient la logique du film dès son apparition. Bruno, Patrice et Ariane vivent dans leur monde alors que les autres sont dans un réalisme plat voire conformiste. De là découle un grand nombre de situations comiques, cocasses, incongrues. On croise Isabelle Huppert dans leur appartement venue, avec une amie, pratiquer l'amour libre (on est à fond dans les grandes modes de la milieu des années 1970). D'ailleurs un inspecteur de la brigade des mœurs vient enquêter dans la maison d'édition où travaille Bruno.

Cet inspecteur est incarné par Michael Lonsdale, plus hautain que jamais. La maison d'édition est Le Terrain vague, celle qui a publié la revue Positif dont Robert Benayoun était directeur. Le personnage de Michael Lonsdale est le seul à avoir plusieurs scènes, il semble suivre le trio qui ne peut pas s'empêcher de le semer. A chacune de ses apparitions dans le film, un bout de sa tenue s'en va. Ici un bouton est tombé, là une poche s'est déchirée. Plus tard, le trio se déplacera dans une mercerie tenue par Sonia Saviange. Ils croisent aussi André Ferréol en blanc (quand elle est en deuil) en noir (quand elle se marie), Jean-Luc Bideau allongé sur la route, Hubert Deschamps en râleur.

Robert Benayoun a beaucoup écrit sur les acteurs du burlesque américain, il leur rend hommage ici. W.C. Fields est en poster dans le salon du trio, Groucho Marx est sur un miroir, Raymond Bussières imite Buster Keaton. Dans l'hôtel, Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière sont deux garçons d'étage qui jouent à Laurel et Hardy. Dernier invité du film, Serge Gainsbourg qui séduit Jane Birkin, assis dans un fauteuil en osier entouré de jeune femmes. Gainsbourg avait composé la musique du premier film de Benayoun, mais c'est Michel Berger et France Gall qui font celle du second. Une seule mélodie déclinée selon les scènes et le ton. On reconnaît tout de suite leur style. C'est évidemment une bizarrerie souvent légère qui se veut parfois profonde en évoquant tout un nombre de sujets, de thèmes dans le vent.






























vendredi 2 octobre 2020

Snobs ! (Jean-Pierre Mocky, 1961)

Avec la voix de Michael Lonsdale (il est prénommé Michel dans le générique), Jean-Pierre Mocky fait des merveilles dans Snobs !. « Sauf erreur, ça m'a tout l'air d'être un feutre d'une excellente qualité » dit-il en regardant le chapeau de son directeur qui vient de se noyer dans une cuve de lait. Ce mot qualité, il le prononce qualitè et c'est ce qui fait son snobisme. Tous les é seront prononcés è et vice-versa ce qui procure une puissance comique irrésistible. Faire beaucoup avec un simple détail. Certaines phrases de Michael Lonsdale sont également lancées avec un accent typique de ceux qui se rêvent plus importants qu'ils ne sont.

Car pour l'instant, son personnage Dufaut n'est qu'un des quatre directeurs adjoints, ils filent derrière le directeur dans la laiterie, une coopérative en Normandie. Mais dès que le directeur meurt dans la cuve, après un grand fou rire nerveux de tous, y compris de la veuve (Elina Labourdette), pendant le discours de Dufaut, il faut choisir le nouveau dirigeant. C'est le moment que choisit Jean-Pierre Mocky pour filmer tout ce beau monde en gros plan, sur leur visage satisfait ou inquiet. Pendant tout le film, les quatre directeurs adjoints vont s'écharper et comme dirait un autre grand patron peu distingué lui, Tricatel, « tous les coups sont permis ».

Chacun veut être calife à la place du calife. Les voici les adversaires de Dufaut. Le premier est Tousseur (Claude Mansard), un type du peuple et dont l'épouse porte la culotte à la maison. Son gaga récurrent : il est dans son bain, il demande du vin à sa femme, elle lui répond « lave-toi d'abord », il plonge dans l'eau. Le deuxième est Lainé (Henri Poirier), un catholique bigot, toujours gentil, même s'il terminera en enfer piqué par les fourches de Satan, père d'une demi-douzaine d'enfants. Lui va régulièrement prier à l'église pour avoir le poste. Mais comme Mocky ne croit pas en Dieu, Lainé se fait marcher dessus.

Le troisième est Courtin (Gérard Hoffmann), c'est de loin le personnage préféré du cinéaste. Courtin est aussi le plus jeune, si jeune qu'il sort avec Sarah (Véronique Nordey), encore mineure, une liaison secrète. Le jeu de Gérard Hoffmann repose sur la légèreté (la légéretè dirait Dufaut), sur l'action immédiate (il court souvent dans le film), sur la roublardise, sur des propos à l'emporte-pièce. Courtin est un hédoniste qui doit composer avec les autres bien plus traditionalistes et sur les appuis qui peuplent le film, des généraux, des navigateurs célèbres, un évêque et bien entendu Morloch (Francis Blanche), l'économe de la coopérative.

Il faut bien le dire, Snobs ! a beaucoup de personnages, c'est l'un des films les plus peuplés de Jean-Pierre Mocky et c'est parfois un peu compliqué de suivre tous les coups de chacun. A Francis Blanche est attribué l'homme le plus étrange du film, souvent opaque dans ses agissements. Il travaille dans un bureau qui donne sur un court de tennis, il adore les jeunes hommes, la culture physique (Courtin avec son physique avantageux pense pouvoir le mettre dans sa poche grâce à ça), les tenues extravagantes (un tricot qui ne comporte qu'une manche, une casquette). Morloch est accusé d'homosexualité par Dufaut, ce qui en 1961 était un délit.

Des personnages loufoques, il y en a beaucoup. Ils agissent peu mais parlent beaucoup. En vedettes pour quelques scènes, Pierre Dac, Noël Roquevert, Jacques Dufliho. Dans des rôles plus conséquents, Roger Legris, un acteur récurrent de Mocky. Ici il passe son temps à manger des œufs durs (il ne fait que ça) et à ricaner bizarrement. Il est l'allié principal de Michael Lonsdale, son éminence grise. Bob Secq est un garagiste amateur de jeunes filles qui dansent. Son corps est massif mais sa voix est fluette. Snobs ! était le troisième film du cinéaste, un gros fourre-tout pas encore dégrossi ni totalement maîtrisé mais déjà partiellement jouissif.