Depuis
dix ans, Bruno Bonomo (Silvio Orlando) n'a pas produit un film, n'a
pas tourné un seul plan et n'a mené aucun projet personnel à
terme. Jadis, quand le cinéma italien était florissant, Bruno était
le chantre de la série B avec des films fauchés (on imagine en tout
cas), où il mêle la politique (Mao Tsé-toung) et le cinéma de
genre (un film d'action), tel « Cataractes », Cataratte
en italien (on est pas loin de karaté), dont on aperçoit la scène
finale dans un cinéma où un hommage est rendu à Bruno. Son hôte
vante le courage et la force du producteur qui a lutté pendant des
années contre la tyrannie du cinéma d'auteur. En 2006, quand Le
Caïman est présenté à Cannes et sort en France, Nanni Moretti
EST le cinéma italien. Tous les films italiens qui sortent depuis
Journal intime sont jugés à l'aune du cinéma de Nanni
Moretti. C'est de cette tyrannie dont parle l'animateur de cette
séance où est présenté Cataractes.
Alors
qu'a fait Bruno depuis dix ans. Il a tenté de garder son studio où
il tourne ses films de série B. Pour faire marcher sa petite
entreprise, Bruno loue les locaux pour des tournages de télé-achat.
La télévision poubelle dont parlait Nanni Moretti dans Sogni
d'oro est devenue, bien malgré lui, le gagne-pain du producteur.
Sa fidèle assistante lui rappelle les dettes exorbitantes de la
boite et l'impatience du banquier. Bruno à une idée : raconter
le retour de Christophe Colomb sur la Niña. Un film maritime pour se
remettre à flot, judicieux ! Il suffira d'une maquette mais ce
sera un film sérieux qu'un de ses amis, un cinéaste d'un certain
âge réalisera, jusqu'à leur rupture. Non, une maquette de bateau
de 12 cm ça ne fera pas un joli navire du 15ème siècle. Le projet
tombe à l'eau, le réalisateur pressenti va tourner son film en
costumes avec un vrai décor, sur une vraie mer et avec l'acteur que
Bruno avait trouvé pour un autre projet.
Pendant
ses dix ans, Bruno a mené une vie de famille. Son actrice fétiche
est également son épouse. Paola (Margherita Buy) et Bruno ont deux
enfants. L'aîné joue au foot, ce qui met le père en transe à
chaque match. A la maison, les deux garçons jouent au légo, dont
ils étalent les pièces dans le salon. Bruno leur raconte chaque
soir les scénarios des films qu'il n'a jamais pu tourner depuis dix
ans, depuis qu'il est papa. Au centre de chaque récit, fantastique
et improbable, donc comique, Aidra le personnage féminin
sur-puissant que Paola incarnait au cinéma. Les deux gamins sont les
uniques spectateurs des productions de Bruno. Ils ignorent que leur
mère a été actrice, il ignorent aussi que les parents vont se
séparer. Bruno fait des crises de jalousie à Paola dès qu'il la
voit avec un homme, ce à quoi elle répond invariablement que tout
le monde sait qu'ils sont séparés, sauf lui. Bruno part chaque soir
dormir dans son studio, dans un petit lit.
Et
le soir dans ce lit, Bruno lit un scénario donné par Teresa
(Jasmine Trinca). Après bien des refus, elle soumet son projet à
Bruno. Ce dernier imagine un polar et Nanni Moretti met en forme la
vision de Bruno. Enthousiasmé, il soumet le projet à des amis qui
voient ce que Bruno n'a pas vu : ce scénario parle de
Berlusconi, l'unique sujet de conversation en l'Italie ces dix ans
écoulées. Et bientôt, plus personne ne veut mettre de l'argent
dans un tel film. Le Caïman procède à une phénoménale
mise en abyme où Nanni Moretti joue son propre rôle d'acteur qui
refuse puis accepte de jouer le Président du Conseil italien. La
lecture fantaisiste du scénario de Bruno se superpose à celle plus
réaliste de Teresa, qui va réaliser le film, et à des images
d'archive glaçantes de Berlusconi. Michele Placido incarne un
hilarant comédien narcissique qui parle de Gianmaria (Volonte) à
chaque phrase. Les jeunes réalisateurs italiens du moment (Matteo
Garrone, Paolo Sorrentino, Paolo Virzi) jouent des petits rôles,
comme pour rappeler que le cinéma italien ne se résume pas à
Moretti et que seul le cinéma pouvait faire un procès à
Berlusconi.
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