samedi 19 mars 2016

Lettre de Sibérie (Chris Marker, 1957)

La Sibérie, c'est loin très loin. La Sibérie, c'est très grand, c'est plein de forêts de bouleaux, et la taïga est très vaste, et les villes poussent comme des champignons. Les cinq premières minutes de Lettre de Sibérie à grands coups de panoramique enregistrent et montrent l'image d'Epinal de cette terre lointaine et exotique, filmée par Chris Marker quatre ans à peine après la mort de Staline. Georges Rouquier est le récitant du texte épistolaire, une lettre à la première personne au spectateur et il offre ce que l'on attend : du dépaysement.

Jusqu'à ce que le commentaire s'emballe un peu, que le narrateur remercie les canards du sovkhoze si nombreux d'avoir accepter de figurer au nom de l'amitié franco-soviétique dans ce film. Le sérieux, vaguement pontifiant à l’œuvre dans le documentaire de l'époque (et il y en avait beaucoup, surtout en format court) laisse la place à une superbe ironie, à un humour pince sans rire où le cinéaste montre une certaine admiration pour l'URSS tout en n'étant pas dupe que ce miracle sorti de nulle part ne s'est pas fait sans douleurs.

Les plus beaux moments où cet humour est à plein régime sont avec ce petit film d'animation sur l'histoire des mammouths comparés à des taupes, sur le renne matière première essentielle de la Sibérie où, comme dans le cochon, tout est bon et ce triple commentaire subjectivité / objectivité / neutralité sur une même scène de travaux publics, histoire de bien prouver que les images mentent toutes à condition qu'on veuille bien leur donner un sens. Lettre de Sibérie est un documentaire sur l'art de réaliser un documentaire, soit une leçon de mise en scène.

En presque une heure, Chris Marker parle de beaucoup de choses, il oppose essentiellement la tradition et la modernité, les danses traditionnelles et la science, les fleurs congelées et la ruée vers l'or. Mais le film s'intéresse autant à la faune qu'à la population. Il propose un incroyable bestiaire, canards, renard, aigle, moutons, renne, chouette, castor, chiens de traîneau, chevaux, ours et biquettes, trois chansons leur sont consacrées. Il ne manque que le chat que Chris Marker rajoute in extremis dans le dernier carton du générique de fin.




















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