La
Sibérie, c'est loin très loin. La Sibérie, c'est très grand,
c'est plein de forêts de bouleaux, et la taïga est très vaste, et
les villes poussent comme des champignons. Les cinq premières
minutes de Lettre de Sibérie à grands coups de panoramique
enregistrent et montrent l'image d'Epinal de cette terre lointaine et
exotique, filmée par Chris Marker quatre ans à peine après la mort
de Staline. Georges Rouquier est le récitant du texte épistolaire,
une lettre à la première personne au spectateur et il offre ce que
l'on attend : du dépaysement.
Jusqu'à
ce que le commentaire s'emballe un peu, que le narrateur remercie les
canards du sovkhoze si nombreux d'avoir accepter de figurer au nom de
l'amitié franco-soviétique dans ce film. Le sérieux, vaguement
pontifiant à l’œuvre dans le documentaire de l'époque (et il y
en avait beaucoup, surtout en format court) laisse la place à une
superbe ironie, à un humour pince sans rire où le cinéaste montre
une certaine admiration pour l'URSS tout en n'étant pas dupe que ce
miracle sorti de nulle part ne s'est pas fait sans douleurs.
Les
plus beaux moments où cet humour est à plein régime sont avec ce
petit film d'animation sur l'histoire des mammouths comparés à des
taupes, sur le renne matière première essentielle de la Sibérie
où, comme dans le cochon, tout est bon et ce triple commentaire
subjectivité / objectivité / neutralité sur une même scène de
travaux publics, histoire de bien prouver que les images mentent
toutes à condition qu'on veuille bien leur donner un sens. Lettre
de Sibérie est un documentaire sur l'art de réaliser un
documentaire, soit une leçon de mise en scène.
En
presque une heure, Chris Marker parle de beaucoup de choses, il
oppose essentiellement la tradition et la modernité, les danses
traditionnelles et la science, les fleurs congelées et la ruée vers
l'or. Mais le film s'intéresse autant à la faune qu'à la
population. Il propose un incroyable bestiaire, canards, renard,
aigle, moutons, renne, chouette, castor, chiens de traîneau,
chevaux, ours et biquettes, trois chansons leur sont consacrées. Il
ne manque que le chat que Chris Marker rajoute in extremis dans le
dernier carton du générique de fin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire