samedi 30 septembre 2017

J'ai aussi regardé ces films en septembre

Ça (Andrès Muschietti, 2017)
En anglais américain, it prend souvent une allusion sexuelle, doin' it, l'avoir fait, comme un euphémisme pour dire que l'on a couché. It ou Ça, sa sonne un peu différemment. La sexualité, les six adolescents de Ça ne la connaissent pas encore mais ça les taraude beaucoup. Richie (Finn Wolfhard, l'un des jeunes acteurs de la série Stranger things) n'arrête pas de parler de sa bite (dick en VO), de sortir à chaque phrase ou presque des fuck (le film a une certaine valeur pour ce perler vrai tellement différent des films avec des ados). Plus complexe, Beverly (Sophia Lillis) a une relation étrange avec son père, presque de l'inceste, et s'attire les faveurs de Bill (Jaeden Liberher), jeune héros au bégaiement récurrent qui a perdu son jeune frère Georgie, mais aussi de Ben (Jeremy Ray Taylor) petit gros mal dans sa peau qui lui a écrit un gentil poème. Quant au jeune Stanley (Wyatt Oleff), on évoque son prépuce à couper alors qu'il va faire sa Bar Mitsvah. En général, dans cette petite ville du Maine de 1989 (l'époque de Batman qui passe au cinéma mais aussi de George Bush père), les parents sont conservateurs, protecteurs envers leurs enfants, trop protecteurs sans doute. Le film choisit de ne pas poursuivre dans cette confusion des sens que les ados découvrent et ce vilain clown (que joue Bill Skarsgård, le fiston de Stellan) aurait pu être, justement, l'acmé de cette angoisse, de cette peur du sexe dans l'Amérique républicaine (l'un des personnages, Henry est un raciste affirmé mais il a ses excuses son père le bat), mais il n'en sera rien. Les dialogues sexués ne servent à pas grand chose et Grippe-Sou ne fait jamais peur dans ses apparitions Grand-Guignol à grand renfort de musique tonitruante.

Home (Fien Troch, 2016)

Dans ce film belge en langue flamande (un néerlandais moins rude qu'aux Pays-Bas où on entend parfois quelques mots français « ça va » pour dire OK ou « putain »), les ados aussi trinquent. Trois lycéens d'une ville sans âme, sans personnalité, sans divertissement. Kevin (Sebastien Van Dun) vient s'installer chez sa tante Sonja (Karlijn Sileghem), il sort de prison et préfère ne pas retourner chez ses parents. Il se lie d'amitié avec son cousin Sammy (Loïc Bellemans). Sonja et son mari accueillent avec bienveillance, certes il dort dans la cave mais il a beau lit et on lui a acheté une télé neuve. Télé qu'il ne va même pas regarder. Sammy et Kevin préfèrent passer leur temps dans le parking, le premier présente sa petite amie Lina (Lena Suijkerbuijk) avec qui Kevin va avoir une petite amourette. Et à ce trio s'ajoute John (Mistral Guidotti), sans doute le personnage le plus abîmé de Home, celui par lequel le drame va arriver. Sa mère est le personnage le plus troublant du film, elle possède une violence qui va détruire son fils. Filmés en 1:37, les jeunes gens de Home sont avares de parole et encore plus d'explications (quand les adultes les interrogent, ils se taisent), ils se filment au smartphone, fument un peu et tentent de survivre à l'ennui. Kevin fait un apprentissage de plombier (« c'est un beau métier plombier » dit son employeur) mais jamais il n'expliquera ce qu'il veut. C'est cela qui donne sa force au film, il ne cherche pas à ressembler à Gus Van Sant (j'y ai pensé un moment), et encore moins à ses compatriotes wallons les frères Dardenne, mais c'est un puzzle émotionnel d'une brutalité latente et paradoxalement douce, à l'écoute sourde de ces adolescents. J'étais allé totalement au hasard voir ce film et je suis ravi d'avoir découvert cette réalisatrice belge. Le cinéma belge flamand (je n'ai vu que La Merditude des choses et Bullhead) est rare et d'une tristesse abyssale, voilà ce que je constate.

vendredi 29 septembre 2017

Un beau soleil intérieur (Claire Denis, 2017)

Une fois n’est pas coutume commençons par la fin, avec ce long et lent générique où le nom de chaque interprète apparaît en grosses lettres. Mâtin, quelle belle distribution, Juliette Binoche en tête, artiste parisienne qui va consulter un voyant en toute fin de film (une séquence d’un bon quart d'heure avec ce générique qui commence à défiler au milieu de la consultation). Et ce voyant est incarné par Gérard Depardieu, nouveau venu dans l’univers de Claire Denis, un unique séquence où il évoque tous les personnages vus depuis le début, il faut dire que le personnage de Juliette Binoche ne cesse de passer d'un homme à un autre. Son travail artistique, on le voit dans un seul plan en plongée, où elle peint à grand coup de pinceau du noir sur une toile blanche et ce qu’on découvre ressemble à un visage d’homme.

Avant de parler des hommes de la vie d’Isabelle (le prénom du personnage de Juliette Binoche n’est donné que tardivement dans le film, enfin des vrais et bons dialogues), évoquons rapidement ceux qui sont dans ce milieu de l'art contemporain. Son agent jouée par Josiane Balasko, blonde et les ongles vernis noirs, elle n’a que deux ou trois scènes, elle est formidable. Isabelle hésite à lui poser une question, elle tourne autour du pot pour lui demander si elle n’a pas eu une aventure avec François son ex et le père de sa fille. Présent aussi, Alex Descas, acteur fétiche de la cinéaste, est un galeriste avec qui elle va, en compagnie de Bruno Podalydés aux rencontres d’art contemporain de La Souterraine. La scène est fort drôle, une critique légère mais précise du milieu, la discussion a lieu au milieu d’une forêt, c'est à ce moment qu’Isabelle craque et laisse en plan tous ces beaux parleurs.

Les hommes, ce douloureux problème. Le premier plan de Un beau soleil intérieur cadre les seins de Juliette Binoche, nue sur un lit, elle attend son amant qui se couche sur elle et commence à lui faire l'amour. Lui, c'est Xavier Beauvois, un banquier un peu prétentieux, un peu lâche, un peu amoureux. Il s’invite chez elle, dans son appartement modeste mais rempli d'objets, le banquier vit dans un immense et luxueux appartement, tout blanc avec juste un tableau dans le salon et un immense canapé où elle sait pas où s’asseoir. Comme dans la scène avec Josiane Balasko, Isabelle est toujours dans l'hésitation puis le renoncement. Et dans l'improvisation de sa vie amoureuse, sans doute la raison pour laquelle on entend du jazz (ce qui change des Tindersticks).

Et là litanie des amants se poursuit avec Nicolas Duvauchelle en comédien de théâtre (à la Colline) alcoolique, lui aussi marié comme Xavier Beauvois mais contrairement à ce dernier, il aime le silence (bien qu'il ne cesse de parler, mais pour rien dire) et n’arrive pas à coucher avec Isabelle. Ou ne le veut pas. Quatrième homme, Laurent Grévill, l'ancien mari qui traîne parfois dans ses draps, quel bonheur de revoir cet acteur un peu oublié comme j'avais eu du plaisir à revoir Valérie Dréville dans Suite armoricaine. Dernier amant, l'étrange Sylvain que joue Paul Blain (le fils de Gérard Blain), une sorte de géant solitaire et silencieux sorti de nulle part (rencontré à La Souterraine et sorti de sa grotte). Les uns après les autres, elle les teste, les goutte, les jette ou les garde.

C'est cela que j’aime dans cet étrange film de Claire Denis, bien plus surprenant et étonnant que Trouble every day ou Beau travail, l’absence de dramaturgie n’est pas une nouveauté mais elle me gène moins que d’habitude. C'était déjà largement le cas dans White material, mais aujourd'hui la distribution hétéroclite me rappelle celle de J'ai pas sommeil en 1994 (Line Renaud en mémé karatéka quand même) ou Nénette et Boni (si Grégoire Colin est hélas absent, Valéria Bruni Tedeschi vient faire un coucou larmoyant). Les deux scènes de Philippe Katerine, déguisé en bon dandy au langage châtié, chez le poissonnier, sont des moments exquis. C'est cette veine que j’aime chez Claire Denis, un peu foutraque mais décontractée. Elle filme toujours autant les visages en gros plan comme cet immense tableau que peint chez elle Isabelle.

jeudi 28 septembre 2017

Les Saisons L'Automne (Marcel Hanoun, 1972)

Quatrième et dernière saison de Marcel Hanoun, L'Automne. Comme dans L’Hiver, Michael Lonsdale est Julien, un cinéaste au travail. Bobines de film avec le titre L’Automne écrit sur la tranche, claps, maquillage, les noms des techniciens et des deux interprètes sont donnés oralement. Puis un long plan fixe de Michael Lonsdale, regard caméra sur une musique lyrique. Puis un plan noir et une conversation téléphonique. « J’ai besoin d’un assistant, si possible une femme ».

Bergman, Bresson, Dreyer, Visconti aussi et un « cinéaste trop peu connu » Chris Marker. Voilà les cinéastes qu’aime Julien au cinéma explique-t-il à Anne (Tamia), sa monteuse. Car ces regards caméra étaient ceux d’un homme qui fait le montage bobine de son film. Anne aimerait elle faire un film d’après Sade. Lui dit aimer la manière de Pasolini de filmer les tableaux, Pasolini et Sade sont évoqués dans la foulée des années avant que le premier n’adapte le second.

Le mieux serait de voir. Dans cet éloge de la modestie et de la banalité, le récit qui est raconté dans L'Automne, celui d’un film qui se construit sous nos yeux (que l’on voit) et celui que Julien a filmé et dont il ne fait que raconter des scènes (on ne les voit jamais). On n'est pas très loin d'Une sale histoire tourné cinq ans plus tard par Jean Eustache. Mozart en grande pompe sur une histoire à la Flaubert tout ça pour conclure que la scène serait meilleure sans musique.

La créativité du spectateur existe-t-elle ? Voilà la question que se pose Julien. Il pense tellement à son film qu’il s'égare. Enfin un plan en couleur, et une femme nue reproduisant un célèbre tableau et qui dit « imaginez un film politique où une femme aux seins nus duraient des slogans politiques ». Anne la monteuse dessine sur l’objectif de la caméra. Le travail du spectateur consiste dans les quatre saisons de Marcel Hanoun à reconstituer un récit à partir d’un minimum de narration, moins un puzzle qu’une énigme.

Soit le cinéaste montre tout mais ne raconte rien soit il ne montre rien mais raconte tout. Il est un authentique cinéaste du montage. Paradoxalement, L'Automne n’appuie pas sur la mise en abyme, quand Julien n’arrive soudain à ne pas dire une phrase simple « j’aime le prénom Anne », on entend un rire derrière la caméra sans qu’on sache si cette hésitation de Michael Lonsdale était écrite ou involontaire. Pas plus que l'on ne saura si c'est le rire de Marcel Hanoun.


Les quatre films se répondent les uns les autres avec des liens très ténus. Dans la dernière partie Julien se fait le porte-parole de Marcel Hanoun et parle de langage cinématographique « les films étrangers devraient être vus sans sous-titres et le spectateur le comprendrait grâce au langage du film ». Ce qu’essayent de faire les quatre saisons. Et dans les dernières scènes, Marcel Hanoun oublie la théorie et filme en couleur des forêts automnales et des mains qui se tiennent.

















mercredi 27 septembre 2017

Les Promesses de l'ombre (David Cronenberg, 2007)

Il faut toujours enterrer les secrets avec les cadavres. Mais Anna (Naomi Watts), infirmière dans un hôpital de Londres, s'est saisi d'un carnet rouge comme le sang trouvé dans un sac à main également rouge comme le sang. Ce carnet, véritable McGuffin des Promesses de l'ombre (mais plus que cela encore), était le journal intime de Tatiana qui décède quelques jours avant Noël, en pleine nuit, tout en donnant naissance à une petite fille. La mort, la vie, tout ne tient qu'à un fil.

Ce carnet est écrit en russe, ça tombe bien, Anna a des racines russes. Depuis qu'elle s'est séparée de son petit ami, un médecin, elle vit chez sa mère et dans l'appartement traîne souvent son oncle Stepan (Jerzy Skolimowski). Le voici qui lit le journal intime de Tatiana et c'est lui qui comprend vite que ce qui est écrit est particulièrement explosif, dangereux, c'est lui qui dit, sur un ton peu amène et inquiet que les secrets doivent être enterrés avec les cadavres.

Sans doute parce qu'Anna se considère comme indépendante, et aussi parce que son oncle la contredit sans cesse et l'agace (lors d'un repas, il affirme que son couple a échoué parce que son petit ami était Noir), elle décide de mener son enquête, d'aller dans le restaurant russe dont l'adresse était indiqué sur une carte de visite trouvée dans le carnet. Elle grimpe sur sa moto et débarque dans cet immense restaurant luxueux tenu par Semyon (Armin Mueller Stahl).

C'est dans ce court moment, entre le trottoir et la porte d'entrée qu'elle croise un duo, presque un couple, un jeune chien fou et un fauve aux aguets, Kirill (Vincent Cassel), toujours à parler très fort, à bouger sans cesse, à picoler et Nikolaï (Viggo Mortensen), lunettes fixées sur le visage, la parole rare, le geste discret. Aussi opposés que possible l'un de l'autre, le premier est le fils de Semyon et le deuxième son chauffeur, c'est ainsi qu'il se présente.

L'un des enjeux des Promesses de l'ombre est la tension sexuelle que David Cronenberg tisse entre eux. Kirill pratique volontiers l'accolade, le câlin, la proximité corporelle, tout en disant à son comparse qu'il espère qu'il n'est pas pédé (queer en anglais). La scène la plus emblématique est celle où Kirill force Nikolaï à coucher avec une pute ukrainienne, tout en restant sur le pas de la porte à l'observer forniquer dans un regard plein d'envie, de jalousie et de désir frustré.

Tout est une histoire de famille dans cette petite Russie reconstituée à Londres, une famille je vous hais, un père parrain de la pègre qui déteste son fils et qui se trouve être le père de l'enfant de Tatiania qu'il avait violé, il a plus confiance en Nikolaï qu'en Kirill, le barbier Azim (dont la boutique est le lieu du premier crime) qui tente d'initier son fils au crime, la famille d'Anna disloquée et la mafia russe, famille qui va accueillir Nikolaï dans un rituel où il est nu comme un nouveau né avant d'être tatoué de trois étoiles.

Ce qui est le plus étonnant est de faire jouer tous ces Russes par des acteurs venus de partout : américain (Viggo Mortensen), anglaise (Naomi Watts), irlandaise (Sinead Cusack, la mère d'Anna), français (Vincent Cassel), polonais (Jerzy Skolimowski) ou allemand (Armin Mueller Stahl). Cette hybridation de la distribution rejoint, de manière plus diffuse, les espaces mentaux peuplés de confusions entre les réalités. C'est une Russie purement mentale qu'il invente.


Je n'avais pas revu le film depuis sa sortie et c'est un film noir rugueux que je découvre à nouveau. Ici, les différentes réalités ont un aspect plus réalistes, plus crues, entre la douceur du foyer de la maman d'Anna et celle du restaurant avec l'anniversaire de la vieille dame où toutes les babouchkas entonnent une chanson russe, semblent similaires, c'est dans l'arrière-boutique que l'on se salit les mains, que l'on tue, dépèce les corps, que l'on se frappe violemment, que l'on enfouit les secrets.




























mardi 26 septembre 2017

Les Saisons Le Printemps (Marcel Hanoun, 1971)

Troisième saison de Marcel Hanoun, Le Printemps. Un homme, une nouvelle fois interprété par Michael Lonsdale, court à en perdre haleine. Le souffle court, son visage s’approche de la caméra tandis que le générique défile en lettres rouges sur des images en noir et blanc. L’homme ne parle pas, il observe, il fuit, il évite les gens dans ce bois où des chasseurs passent (peut-être est-ce lui qu'ils chassent). Il passe de champ en champ, cherche un abri dans une ruine. Des trains traversent le paysage, un coucou chante, des merles s’envolent bruyamment. Le silence de notre homme n’est troublé que par ces bruits puis par un hélicoptère qui survole la zone.

Dans cette campagne, une ferme rustique, Anne, une fillette mange une crêpe son chat sur les genoux, sa grand-mère dépiaute un lapin, prépare à manger pour les poussins. Anne joue dans la cour de l'école. Le rythme lent de la vie à la campagne est scandé par le battement de l’horloge. Aux sermons du curé, aux paraboles données au catéchisme, la petite fille préfère les contes qu’elle lit puis qu’elle raconte au petit voisin. Des contes de princesses que Marcel Hanoun illustre avec des fragments de tableaux, des enluminures chinoises. Elle s’évade de cette vie un peu stricte imposée par sa grand-mère par ces récits. Une mémé aimante, cependant, qui cache des œufs dans les jonquilles et les primevères pour Pâques.

« L’homme pourrait être dangereux, peut être est-il armé, il est vraisemblable qu’il ne tardera pas à être rattrapé », entend on à la radio de la voiture que conduit Michael Lonsdale. C'est sa femme (Catherine Binet, créditée comme scénariste et co-réalisatrice) qui a mis en marche l'autoradio. On entend ce message trois fois et parmi les voix, celle de Michael Lonsdale. Cette courte scène est en couleur, comme les séquences à la ferme, signalant probablement un flashback qui propose une explication à la fuite de l'homme, mais cette voix entendue perturbe les sens, la continuité narrative. Puis les voix se mêlent, se superposent, la couleur croise le noir et blanc. Les deux récits parallèles ne se rejoindront pas, chacun garde son énigme originelle.