Je
ne sais pas si quelqu’un s’est un jour lancé dans le recensement
de tous les morts que compte A
toute épreuve. Il faut
dire que John Woo n’y est pas allé de main morte pour son dernier
film à Hong Kong avant de partir aux Etats-Unis pour la carrière et
le résultat que l’on connait. Comme s’il savait que ce serait
sans doute son dernier film libre et qu’il fallait qu’il offre le
spectacle le plus fou possible, avec un final à l’hôpital de près
de trois quarts d’heures où tout les décors seraient détruits
dans des explosions, où les personnages abondent, où l’humour
côtoierait l’extrême violence. Bref, A
toute épreuve est un
film très copieux.
Chow
Yun-fat en est le centre, le personnage autour duquel tout va
tourner. Dès la scène d’introduction, on le voit boire quelques
verres de tequila dans un bar. Cela lui donnera son surnom. Tequila
joue de la flute dans un orchestre de jazz. On le suit ensuite dans
un salon de thé avec à son bras une cage et un pinson. L’atmosphère
se fait de plus en plus lourde dans la salon de thé. John Woo joue
sur la multiplicité des regards, sur des panoramiques de la caméra
qui observent toute la pièce, on ne sait pas qui observe qui et
surtout vraiment pourquoi. Tequila semble agir comme un gangster dans
ce lancement du film mais c’est un flic. Il est impulsif et se
lance sans réfléchir dans l’action. En l’occurrence, il va
empêcher la vente de trois revolvers. Dès les dix premières
minutes, A
toute épreuve plonge
le spectateur dans un gunfight
où Tequila tire avec un revolver dans chaque main.
Cette
attitude impulsive n’est pas du goût de son supérieur, le chef
Pang (Philip Chan) qui n’en peut plus de devoir le contrôler. Il
est furieux que Tequila aie gâché la filature qu’il avait mis en
place pour coincer un trafic d’armes. Il est viré de l’affaire
et, après l’enterrement d’un de ses collègues, va dans son jazz
club où le patron (John Woo) lui donne quelques conseils. Le
cinéaste apparaît dans un rôle très secondaire mais son
personnage est pour lui un moyen de signer son film. Il est aussi
dans les quelques scènes qu’il a avec Chow Yun-fat, l’homme qui
donnera quelques leçons de mise en place du récit. Il annoncera ce
qui va arriver dans le reste du film et lui donnera des indices sur
d’autres personnages.
Pendant
ce temps-là, les triades veulent faire entrer des armes à feu à
Hong Kong. La possession d’armes, à l’exception de la police,
est interdite. Un meurtre dans une bibliothèque va les lancer dans
une nouvelle enquête. Le meurtre est filmé dans son intégralité.
Un jeune homme bien sapé, Tony (Tony Leung Chiu-wai) déboule dans
sa belle Ferrari rouge. Il entre dans la librairie, se dirige dans
les rayons, effleure de son index les livres, en choisit un et se
dirige vers un homme assis à une table. Calmement, il ouvre le livre
qui contient un revolver silencieux et abat l’homme. Tony vit dans
un bateau et, entre deux bouffées de cigarette, construit des
oiseaux de papier qu’il accroche au plafond. Il y a désormais une
douzaine d’oiseaux de papier. Ce sont les hommes qu’il a tués.
Tony
travaille pour Monsieur Hoi (Kwan Hoi-san), un parrain qui aimerait,
à l’approche de la vieillesse, se retirer. Johnny (Anthony Wong)
aimerait reprendre les affaires de Hoi et rencontre Tony qui n’a
que la paix à lui proposer. Après cette rencontre, Johnny tombe sur
Tequila. Les deux hommes se battent et Tony intervient pour que
Johnny n’abatte pas le flic. Tequila portera un sparadrap sur le
front pendant tout le reste du film. Tony accepte de bosser pour
Johnny et de tuer Hoi. Johnny va voler toute sa cargaison d’armes.
La séquence offre le deuxième gunfight
dans l’entrepôt. La lassitude et le calme de Tony contrastent avec
l’excitation de Johnny qui veut être le seul à diriger les
triades. Mais la police va intervenir et quand Tony a au bout de son
flingue Tequila, il ne tirera pas, au grand étonnement de ce
dernier.
Ce
qu’ignore Tequila est que Tony est un flic infiltré dans la mafia.
Tony communique avec le chef Pang d’une manière originale. Il
envoie des bouquets de fleurs à la commissaire Teresa Chang (Teresa
Mo), ancien flirt de Tequila qui en est encore amoureux. Dans chaque
bouquet, qui titille la jalousie de Tequila, un message codé est
glissé sur les avancées de la bande à Johnny. Ces séquences
d’arrivée des bouquets et de décryptage sont les seuls moments de
comédie d’A
toute épreuve. Teresa
et Tequila flirtent gentiment, même si le personnage de Teresa est
creux prouvant, encore une fois, que le cinéma de John Woo est
essentiellement masculin. Tony essaie de mettre en garde Pang sur le
danger de l’impulsivité de Tequila. Cela pourrait menacer
l’enquête. Les deux hommes vont devoir travailler ensemble.
Le
final grandiose et apocalyptique se déroule dans un hôpital. En
l’occurrence un hôpital que possède Johnny et où Tony est envoyé
pour être soigné après une altercation. C’est là que sera aussi
soigné un indic que le borgne (Philip Kwok) a torturé. Assez vite,
Tony et Tequila comprendront que les armes sont cachées dans cet
hôpital et il va falloir les trouver. Bien sûr, qui dit grand
nombre d’armes à feu, dit grosses fusillades. D’un côté,
Tequila et Tony, qui seront rejoints par Teresa, Pang et des flics.
Et de l’autre Johnny et le borgne ainsi qu’un grand nombre
d’hommes de main. Au milieu les patients et la pédiatrie où toute
une ribambelle de bébés viennent de naître.
John
Woo fait monter lentement le suspense sur près d’une heure, comme
en temps réel. Il isole d’abord les deux protagonistes dans la
morgue où ils cherchent les armes ce qui leur permet de mieux se
connaître et de finalement s’apprécier. Puis, il fait rentrer le
personnage du borgne, homme mutique mais impitoyable. Il faut dire
que les méchants sont gratinés. Johnny n’hésitera pas à tirer à
l’arme lourde sur les patients pour tenter de supprimer Tequila. Le
nombre de flics qui va mourir est aussi impressionnant que celui des
gangsters. Mais il reste encore une once d’humanité au borgne, il
voulait que Johnny épargne les malades. Et puis il y a la longue
évacuation des bébés qui donne un soupçon de sensibilité dans ce
monde de brutalité.
A
toute épreuve condense
tout le savoir-faire de John Woo en matière de polar d’action avec
des fusillades et des explosions. C’est son cadeau de départ au
public de Hong Kong bien plus qu’une preuve aux studios
hollywoodiens qui vont le mépriser en lui offrant Jean-Claude Van
Damme. A ce titre, le bébé que sauve Chow Yun-fat en le mettant
dans son blouson est le symbole de ce cadeau, il sauve ce qu’il
reste du cinéma de Hong Kong qui angoissait de la rétrocession et
du départ de ses cinéastes phares. Le public a réservé au film un
très grand succès malgré ses défauts et son absence totale de
réalisme. C’était le dernier film de John Woo. Le dernier.
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