samedi 30 juin 2018

J'ai aussi regardé ces films en juin


Have a nice day (Liu Jan, 2017)
Voici l'antithèse absolue de tout ce que l'on voit dans le dessin animé actuel de Pixar à Mutafukaz pour ne comparer qu'à un film récent. L'animation des personnages de Have a nice day est raide, la parole est rare surtout pour le personnage principal. C'est un jeune homme qui a volé une valise pleine de billets pour payer une opération de chirurgie esthétique en Corée. Atour de cette valise, toute une galerie de rapaces commence à tourner autour du jeune homme pour tenter de récupérer le fric. Quelques gangsters aux mines patibulaires, un couple de quadragénaires qui se met à chanter au milieu de l'action, une employée de cyber café, tout le monde est un vénal, stupide, égoïste, un terrible portrait de la Chine aux rues désertes, mal éclairées et sales. L'histoire est découpée en quatre chapitres, elle n'est pas toujours simple à saisir, je n'aurais pas pu demander à mon voisin de m'expliquer les rapports entre les personnages, j'étais le seul spectateur dans la salle.

Ma fille (Laura Bispuri, 2018)
Filmé en 35mm avec un grain bien présent, en scope pour filmer les paysages secs et caillouteux e la Sardaigne et caméra à l'épaule, Ma fille n'est pas si éloigné que ça de la forme brute de Vittorio de Seta quand il filmait l'île dans les années 1950, la rudesse de la vie des marins, les logements insalubres dans les collines. C'est dans ce milieu peu enchanteur que vivent deux femmes, La brune Valeria Golino débite du poisson ramené par de costauds pécheurs, la blonde Alba Rohwacher passe son temps à picoler, à coucher avec les hommes sans parvenir à payer ses dettes. Son créancier Udo Kier (méconnaissable, sa présence est due à la co-production avec l'Allemagne) veut récupérer les animaux de sa « ferme » (une maison aux briques apparentes), cochon et chevaux. Entre les deux femmes, un secret, Vittoria la fille de 10 ans de Valeria est celle de Alba. Le film ne joue pas sur le suspense, le spectateur devine ce secret très vite, ce qui intéresse est comment la fillette va tenir avec deux mamans si dissemblables, si opposées. L'idée est une métaphore de famille homoparentale, il est possible de faire cette lecture-là, de voir entre les deux femmes un couple séparée par les conventions et les coutumes sardes.

Sans un bruit (John Krasinski, 2018)
Le concept est d'une grande astuce, des créatures extra-terrestres venues après la chute d'un astéroïde, sans yeux mais avec une ouïe phénoménale, détruisent tout être vivant qui fait du bruit. La séquence d'ouverture étonne par sa grande cruauté puisque le plus jeune fils du couple John Krasinski et Emily Blunt, est dévoré tout cru par une vilaine bébête. Plus d'un an et demi après cet événement, on retrouve la petite famille qui s'applique à ne pas faire de bruit, à ne pas parler (d'ailleurs leur fille est mal-entendante) et à survivre comme ils peuvent (il n'existe plus aucun mammifère et ils doivent manger surtout des poissons). Et puis au bout d'un moment, il faut bien faire un peu de terreur. Là, le film s'écroule, quand Emily Blunt se blesse avec un clou qui se trouvait sur l'escalier en bois. Pas un petit clou, un énorme machin et on se demande qui a bien pu le planter là et comment personne n'a pas s'en apercevoir depuis tant de temps. On se demande aussi d'où vient cet immense champ de maïs autour de leur maison, si bien aligné, quand ont-ils pu semer et cultiver ce maïs sans se faire attraper par les créatures ? Le tout est d'un pathos ridicule (la fâcherie entre père et fille) appuyé par une musique insupportable et envahissante.

Le Doudou (Julien Hervé & Philippe Mechelen, 2018)
De tous les comiques issus depuis une dizaine d'années en France (Max Boublil, Manu Payet, Fabrice Eboué) Malik Bentalah est le plus doué. La première partie du Doudou est mauvaise comme tout, remplie de clichés sur deux petits cons, machos du bac à sable et dragueurs à la petite semaine. Mais cette séquence à son utilité, montrer comment Sofiane, le personnage de Malik Bentalah, va changer au contact de Kad Merad. Le film est construit très basiquement mais sur la logique du marabout de ficelle, passant d'un personnage à un autre (entre autres Guy Marchand, David Salles, Elie Sémoun, Isabelle Sadoyan), et là le film pétille non seulement dans les répliques mais aussi dans les situations. En un mot, c'est souvent très drôle.

vendredi 29 juin 2018

Une heure près de toi (Ernst Lubitsch, 1932)

Comme Sérénade à trois et La Huitième femme de Barbe-bleue, Une heure près de toi ressort ce mois-ci en vidéo (Criterion a édité les quatre films tournés par Ernst Lubitsch avec Maurice Chevalier il y a déjà dix ans), une opérette chantée et un peu (très peu dansée) située dans un Paris où l'on parle anglais, mais Maurice Chevalier conserve cet anglais qui a fait de lui une star à Hollywood (ce qui m'a toujours étonné).

André et Colette, Maurice Chevalier et Jeannette MacDonald s'aiment comme au premier jour après trois ans de mariage. La police municipale chargée de surveiller les parcs publics s'étonne de voir un couple marié (et heureux) alors que tous les autres pratiquent l'adultère. Un couple heureux pense Ernst Lubistch, il faut mettre du piment dans cette relation idéale sans quoi le film n'aurait aucun intérêt.

Ce piment se prénomme Mitzi (Genevieve Tobin), la meilleure amie de Colette qui revient de Lausanne pour passer quelques jours à Paris. Mitzi est une vraie pimbêche et se lance un audacieux défi dès qu'elle croise André, en faire son amant, ne serait-ce que pour une heure. L'époux de Mitzi, le distingué et flegmatique professeur Olivier (Roland Young) engage un détective pour suivre l'infidélité de sa femme.

Mitzi et son époux ne se croisent presque jamais dans leur appartement parisien. Les portes sont fermées et ils se lancent des mots doux à travers les cloisons qui sonnent dans leur bouche comme des insultes, là est l'ironie salutaire d'Une heure près de toi. De la même manière, Colette force André à aller ausculter Mitzi (il est médecin), c'est au son de musique militaire qu'il se rend chez elle, comme s'il partait à la guerre.

Chacun doit rester à sa place, tenir son rang, ce qui pose un problème à André le seul personnage à comprendre le manège de Mitzi. Cette place à garder dans le repas mondain organisé par Colette risque de remettre en cause leur mariage, Colette ne voit rien, ne comprend rien dans ces moments où elle met en danger son couple, pas plus que dans les danses où on change de partenaire. André a bien du mal à rester l'époux modèle que Colette voit en lui.


Il faut bien cela et d'autres facéties pour supporter l'aspect terriblement désuet de l'ambiance bourgeoise de ces adultères : Maurice Chevalier s'adresse directement au spectateur en fixant la caméra, certains dialogues riment, Colette a aussi un prétendant le cocasse Adolph (Charles Ruggles). J'ai toujours un gros problème avec les chansons (une demi-douzaine en tout) malgré le charme de Maurice Chevalier, son swing et son déhanché légendaires.


















mercredi 27 juin 2018

Un couteau dans le cœur (Yann Gonzalez, 2018)


J'avais laissé Vanessa Paradis en clone de Jeanne Moreau dans le piteux Maryline de Guillaume Gallienne (j'avoue avoir passé mon tour pour Chien de Samuel Benchetrit et Frost de Sharuna Bartas) et je trouve que les années 1970 finissantes lui vont bien. Les cheveux blonds, un peu raides, elle joue Anne, une réalisatrice qui tourne des films pornographiques, genre fécond dans cette France giscardienne et dont les titres qui ne cachent pas leur sujet. Sa spécialité est le porno gay, une niche pauvre dans le genre.

Et voici Archibald (Nicolas Maury) son fidèle assistant, le verbe haut, un peu vulgaire, une folle furieuse qui coache les jeunes acteurs qui s'apprêtent à tourner. « Toi, le slip jaune, c'est ta scène », même pas besoin de savoir son prénom. Quand un acteur a un peu du mal à bander, il appelle Bouche d'or (Pierre Pirol) qui vient pratiquer une fellation pour redonner de l'ardeur aux hardeurs. Et à côté d'Archibald se trouve Rabah (Jules Ritmanic) à la fois son assistant et son mignon (il porte une très belle et fine moustache).

La petite troupe s'active autour des trois acteurs du jours (on reconnaît Félix Maritaud, petit rôle dans 120 battements par minute, rôle principal dans Sauvage de Camille Vidal-Naquet qui sort fin août). Le cameraman est interprété par Bertrand Mandico, barbe fournie, et ailleurs, dans la salle de montage, Loïs (Kate Moran), la femme d'Anne, leur relation est tendue dès le début du film et ne cessera d'empirer quand les événements viennent perturber la bonne ambiance de ces tournages fauchés mais joviaux.

On tue dans Un couteau dans le cœur, pas forcément avec un couteau et pas toujours dans le cœur. Les acteurs sont éliminés les uns après les autres dans une vision qui mêle le gore (ça saigne pas mal) et le trivial (mourir en baisant). Cette histoire de meurtres en série de peut aussi évoquer l'histoire LGBT dans une métaphore des ravages du Sida que l'on peut trouver à la fois sincère et formelle. On peut toujours trouver du sens politique là où il n'y a guère.

L'un des acteurs est tué pendant qu'Anne et son équipe visionnent les rushes du film, un autre dans une boîte de nuit, un troisième dans une bagnole. L'inspecteur Morcini (Yann Colette) et son collègue pataugent dans la semoule, il porte presque le même nom que l'inspecteur Morisini de L'Oiseau au plumage de cristal (qui ressort cette semaine). C'est un duo atypique du cinéma policier français qui ne décolle guère de son bureau et continue de causer pendant les morts s'accumulent

Le cinéma est un art mais le porno gay est surtout une industrie. Anne a l'idée de tourner de nouveaux films en rejouant les meurtres vécus par l'équipe. Dans cette mise en abyme farfelue, Archibald, perruque blonde sur la tête, joue Anne et remake les séquences qu'on vient de voir dans un style encore plus pauvre que les films et il prodigue un humour qui désarçonne le spectateur. Nicolas Maury est la star d'Un couteau dans le cœur, il était déjà dingue dans Les Rencontres d'après-minuit en soubrette manipulatrice.

Dans le premier film de Yann Gonzalez, les acteurs vedettes débordaient de tous les plans, là on se contente de Jacques Nolot et d'Elina Löwinsohn mais aussi de Romane Bohringer en 2CV. Dans l'une des séquences les plus singulières, Anne croise ces deux femmes dans une forêt mystérieuse à la recherche de la résolution de l'énigme, c'est la part poétique du cinéma de Yann Gonzalez, un goût de l'étrangeté parfois un peu forcée, mais en ces temps de disette, il n'y a pas mieux pour se secouer le cortex cinématographique.

lundi 25 juin 2018

Body double (Brian De Palma, 1984)

La porosité de deux cinémas de la marge est au centre de Body double, l'industrie du porno hétéro et la série B horrifique. Jake Wilson (Craig Wasson) joue un vampire dans un film tourné par Rubin (Dennis Franz). Fausses canines dans la mâchoire, Jake est allongé dans ce qui doit faire figure de cercueil, il doit tourner son visage vers la caméra et montrer ses dents mais il est pris d'une angoisse l'empêchant de bouger, il est sujet à la claustrophobie. Cette angoisse des espaces restreints est un décalque de la peur du vide de James Stewart dans Vertigo, c'est l'un des nombreux emprunts au cinéma d'Alfred Hitchcock, encore et encore.

L'espace restreint de Jake Wilson n'est pas seulement ce faux cercueil, c'est aussi cette industrie hollywoodienne. Il court les castings, passe son temps à faire des auditions où tous les autres acteurs lui ressemblent, il prend des cours de théâtre, scène où Brian De Palma se moque avec sarcasme des ces cours et donc du cinéma psychologique. Il cherche des boulots mais aussi un logement après découvert l'infidélité de sa copine. Les hasards tombent à point nommé, un certain Sam Bouchard (Gregg Henry) a de quoi loger Jake. Immense blond à la mâchoire carrée, Bouchard court les auditions comme lui, ils se retrouvent partout.

Quelle maison ! L'appartement promis à Jake est une immense rotonde perchée sur les collines de Los Angeles, dans les quartiers chics. Impossible de ne pas penser à la maison en terrasse de la dernière partie de La Mort aux trousses puis impossible de ne pas penser à Fenêtre sur cour quand Bouchard explique l'un des privilèges de cette demeure : pouvoir tranquillement observer le voisinage et en l'occurrence une belle femme dans une maison en face qui chaque soir fait une danse sensuelle et un strip-tease devant sa fenêtre. Jake joue au voyeur avec une longue-vue, admire les déhanchés de cette femme brune.

Comme dans Pulsions, le film est coupé par une longue déambulation (près de 30 minutes) où Jake suit cette femme brune qui l'obsède. D'autant qu'il remarque qu'un Indien au visage patibulaire la suit. On apprendra qu'elle s'appelle Gloria Revelle (Deborah Shelton). Cette déambulation est étirée par Brian De Palma jusqu'à son point limite, presque aucun dialogue, la musique seule de Pino Donaggio, l'architecture d'un centre commercial puis d'une maison à étages accrochée en bord de plage suffisent à créer un malaise durable dans cette poursuite d'une invraisemblable lenteur. Brian De Palma pousse l'exercice de style quitte à se parodier.

Il ne reste plus à Jake à comprendre dans quelle sombre histoire il s'est engouffré. En suivant Gloria Revelle, il est le témoin de son assassinat par ce sinistre Indien. Là, Brian De Palma s'amuse comme un gamin pour filmer le meurtre de la femme. L'Indien la tue avec une perceuse à béton, un symbole phallique gigantesque qui s'enfonce dans le dos de la victime comme une saillie sexuelle. C'est dans ce mouvement que Body double passe du film à suspense au porno, comme si ce simulacre de coït stimulait Jake et qu'il se sente obligé de regarder dans sa rotonde une chaîne du câblée consacrée à l'érotisme et au porno.

Si un acteur peut tout faire, alors Jake peut passer du cinéma d'horreur au porno. L'arrivée de Holly Body (Melanie Griffith), sculpturale blonde de l'industrie du X au discret tatouage sur la fesse (une fleur de houx, car en anglais holly se traduit par houx) déplace aussi Body double vers la résolution de son énigme et vers l'humour de Brian De Palma que j'aime tant. Cet humour arrive à plusieurs moments, d'abord avec le tournage d'un porno où Jake joue avec Holly, c'est ce moment où Frankie Goes To Hollywood interprète leur chanson Relax, mais aussi lors d'une soirée où une amie de Jake reçoit de Holly le numéro de téléphone d'un ami producteur.


Du point de vue strictement hitchcockien, puisque Body double en regorge, Melanie Griffith apporte avec elle le souvenir de Tippi Hedren mais aussi ce thème du double, du retour de la femme disparue (encore Vertigo). L'Indien qui poursuivait Gloria évoque pour sa part les derniers films d'Alfred Hitchcock, l'humour pince-sans-rire de Frenzy (on étrangle pas avec une cravate mais avec le fil de téléphone) tout comme Complot de famille sorti sept ans avant Body double (le coup des masques). Mais chaque fois que je vois Body double, j'ai du mal à ne pas en voir la caricature du cinéma de Brian De Palma, je ne sais jamais si j'aime vraiment le film.