samedi 31 octobre 2020

J'ai aussi regardé ces films en octobre

Michel-Ange (Andreï Konchalovsky, 2019)

Au lieu de filmer l'acte de création ce qui amène rarement des bons films, Andreï Konchalovsky montre ce qui empêche Michel-Ange de créer. Retard sur la Chapelle Sixtine, retard sur le marbre pour le tombeau du pape Jules II, jalousie de ses pairs surtout Raphaël avec qui il s'engueule, pingrerie et cupidité, abus de pouvoir sur ses deux assistants qui vivent avec lui depuis 10 ans, chantage affectif sur l'un d'eux probablement son amant, écartèlement entre les deux familles aristocratiques qui se disputent le siège pontife le Della Rovere et les Medicis. Le tout dans une reconstitution ad hoc en format 1:37 où tout est un peu crade, comme tous les cinéastes le font désormais (observons l'habillage du pape Léon X, modèle du genre, il passe de la chemise de nuit crasseuse à la robe rouge papale). En regardant Sibériade quelques jours avant Michel-Ange, impossible de ne pas observer comment dirige son acteur (35 ans plus tôt, Konchalovsky aurait fait joué son petit frère dans ce rôle) avec des tourments dans chaque mouvement de tête et dans ses gestes. Surtout, il a la tête de Pier Paolo Pasolini dans ses films de la trilogie de la vie (dans le Décaméron il était un peintre). Le film est très copieux, bourré de personnages tous bien dessinés. Il change de ton avec l'arrivée de ce monstre de marbre, beau comme un morceau de sucre dit Michel-Ange, il a les yeux d'un enfant devant un bonbon.

Adieu les cons (Albert Dupontel, 2020)

ADN (Maïwenn, 2020)

Incontestablement ils font du cinéma d'auteur. Enfin, ils en sont persuadés. Ils font des navets d'auteur plutôt. Mais il ne faut pas le dire à leur public car Dupontel comme Maïwenn ont trouvé leur public, pour revenir sur ce que je disais il n'y a pas longtemps sur un film boudé. J'avais vu Adieu les cons en août et totalement oublié depuis. Mais il sort et ça marche. Dupontel se caricature, il croit faire du réalisme poétique, il filme chaque séquence de la même façon, quelque soit le ton abordé – drame ou comédie – avec une seule idée, l'accéléré (dialogues, mouvements de caméra) et le ralenti (récit, gros plan bien putassier). Terriblement ennuyeux. Maïwenn elle filme des sujets fourre-tout, le deuil et les racines. Fourre-tout parce qu'elle ne sort que des clichés qu'elle entoure avec une seule idée, les câlins, les hugs comme on dit dans les séries télé US. Tout le monde se fait des hugs dans ADN avant de s'engueuler puis se dire ses quatre vérités. Finalement, avec ces deux films, on est en pleine régression, tout est complaisant, facile, le spectateur n'a jamais à faire son travail de spectateur, tout est expliqué, surligné, aucune subtilité. Voilà ce que c'est le navet d'auteur.

vendredi 30 octobre 2020

Zuyderzee - Terre nouvelle (Joris Ivens, 1933)

Zuyderzee, renommé Terre nouvelle, se termine comme commence Misère au Borinage avec les mêmes images d'actualités venues des Etats-Unis sur la spéculation sur les denrées alimentaires, en particulier le blé, qui crée la misère en Europe. Les producteurs américains jetaient et brûlaient leur blé, de trop grosses quantités dit le commentaire. Cette partie finale de Zuyderzee a été ajoutée par Joris Ivens quelques années après, un addendum politique qui se poursuit avec une chanson politique et engagée qui contraste avec les 20 premières minutes du film.

Il faut dire que ce début de film ressemble à un film de commande, presque à de la propagande gouvernementale sur un projet monumental et très cher des Pays-Bas : assécher une partie de la frise orientale du royaume pour en faire des terres arables et fertiles ainsi que des zones d'habitation. Ce sont ces polders créés à la fin des années 1920 pour gagner sur la mer. J'imaginais que ce serait une critique environnemental de ce projet mais pas du tout, Zuyderzee dans sa première partie est au contraire un ode très documentée à l'asséchement du Zuyderzee.

D'abord des cartes, elles expliquent les futurs travaux, l'érection d'une immense digue, l'apport d'argile pris dans la mer et de roches pour les terres et la construction de canaux pour irriguer les prochains champs agricoles. Il se dégage un enthousiasme évident dans les commentaires en voix off. Trop enthousiaste on imagine pour le cinéaste qui entre le début et la fin du tournage s'est construit une conscience politique qui va irriguer (c'est le cas de le dire) son cinéma et sa manière de voir les choses. Le film de propagande devient un film social.

Après la théorie, la pratique. Joris Ivens filme essentiellement les milliers d'ouvriers à l’œuvre. C'est en cela que le film demeure puissamment social, il se concentre sur ceux qui travaillent et non sur les concepteurs, les ingénieurs. Ce qui ressort est un travail de fourmis, les ouvriers travaillent à la main. Ils portent les rocs à bout de bras. La pratique est que ce sont ces hommes, tous anonymes, qui ont fait la digue et les polders. Ce sont ces hommes qui vont souffrir plus tard, une fois la crise arrivée en Hollande, oubliés par l'Histoire sauf dans les films.


























Misère à Borinage (Henri Storck & Joris Ivens, 1934)

Le dernier plan de Misère au Borinage cadre sur une photo de Lénine. Lui seul peut sauver les mineurs de Borinage de la misère. Les premières minutes du film montrent comment les capitalistes américains gaspillent leur blé, café et lait pour faire monter les prix des denrées (de ce point de vue rien n'a changé depuis 1934). Entre ces deux moments, pendant une demi-heure, Henri Storck et Joris Ivens vont montrer la vie des mineurs grévistes qui se soulèvent pour protester contre les mesures des propriétaires des mines : augmenter les cadences et diminuer les salaires.

La méthode est simple. Un carton explicatif (le film est muet, pas de commentaire en voix off, pas de musique) suivi d'images illustrant ce que l'on peut lire. Le film suit une logique implacable en commençant avec les manifestations des habitants. Les hommes font le piquet devant les usines, assis ou debout, histoire que personne ne brise la grève, comme les femmes défilent dans les rues avec des pancartes et des banderoles. Les visages sont fermés, en colère, mais résolus à faire changer les choses.

Les deux réalisateurs prennent en exemple des cas particuliers pour montrer la difficulté de vivre. Un jeune fils a pris la relève de son père à la mine et apporte le maigre salaire à sa mère. Un carton détaille tout cela et ce qui va rester après avoir payé le logement et tout le reste. Car les logements sont fournis par les patrons. Avec le chômage qui frappe les mineurs, certains sont expulsés. Ils vident les corons avec leur meubles et matelas. Autre cas d'école, une mère enceinte est obligée de dormir sur un matelas posé devant une porte.

Ce qui fonctionne est la solidarité entre ceux qui ont encore du travail et un logement et ceux qui n'en n'ont plus. Autre cas, une famille très nombreuse avec un grand nombre d'enfants. Comment dormir dans un endroit si restreint. Solution, la table renversée sert se sommier, le matin elle est remise d'aplomb. Mais le danger vient des huissiers qui osent se déguiser en ouvrier pour entrer dans les maisons. Là, autre moment de solidarité, les voisins arrivent et se posent sur les meubles afin qu'ils ne soient pas enlevés par l'huissier et le policier.

C'est la violence des patrons que dénonce Misère au Borinage, leur cupidité et l'injustice qui s'en suit. Le film est émaillé de unes de journaux communistes (Le drapeau rouge, L'Humanité) qui devaient veiller à ce que ce que tout ces événements ne restent pas confiné aux seuls habitants du Borinage. Le film est un beau film de propagande puisque le but est précis et parfaitement emmené. Avant la photo de Lénine, des manifestants portent un portrait de Marx, c'est vraiment le communisme qui aurait pu aider à vaincre la misère.