mercredi 31 juillet 2019

J'ai aussi regardé ces films en juillet


Crawl (Alexandre Aja, 2019)
Après Hurricane de Rob Cohen et Equalizer 2 d'Antoine Fuqua sortis en 2018, l'ouragan semble un bon filon pour la série B d'action. C'est facile, l'ouragan représente un danger certain, il est immédiatement question de survie, le vent et les radées d'eau saturent les images pour impressionner (attention, on lésine pas sur les effets spéciaux, d'autant que la Floride de Crawl a été filmé en Serbie. Non, c'est pas une blague). Il suffit ensuite de rajouter un élément qui vient encore plus perturber l'ensemble, un braquage, une vengeance ou des alligators croqueurs d'homme. Dans Crawl, encore plus que dans les deux précédents films, tout est vilain, tout est mal fichu à commencer par le scénario et les rebondissements. On se demande ce qui a bien pu prendre au personnage de Barry Pepper pour aller réparer les tuyaux de sa maison le jour-même où l'ouragan commence. On dirait que lui et sa fille (qui se prénomme Ali et ce n'est pas le diminutif d'alligator) font tout pour se faire bouffer. On en vient à vouloir qu'ils disparaissent dans les estomacs des reptiles. A vrai dire, le seul à bien jouer dans ce nanar (j'ai souvent ri) est le chien Sugar (en fait une chienne).

Anna (Luc Besson, 2019)
The Operative (Yuval Adler, 2019)
Deux espionnes au cinéma en même temps, une Russe de l'époque de l'URSS travaillant pour le KGB et une Anglaise travaillant aujourd'hui pour le Mossad. Deux espionnes mais deux visions totalement opposées. Luc Besson poursuit ses fantasmes en filmant une jeune femme frêle en apparence (ici une mannequin dans une agence parisienne, la vie de mannequin n'est pas facile facile, entassées qu'elles sont dans un appartement et photographiées comme des meubles par des pédants). Mais elle se révèle monstrueuse quand il faut flinguer des ennemis de la Mère Patrie. The Operative prend un parti dit réaliste, celui de Paul Greengrass, il est filmé surtout les rapports entre les personnages plus que de l'action. Chez Besson les Russes parlent anglais, dans The Operative les Iraniens ne parlent anglais qu'avec les étrangers, entre eux c'est du farsi. Dans les deux films, les espionnes doivent affronter les chausse-trappes du récit. Besson revient toutes les 20 minutes sur son histoire pour bifurquer vers un autre point de vue, on comprend vite le système. Adler embrouille aussi les cartes de la personnalité de son espionne. Dans les deux cas, une histoire d'amour se dessine, forcément vouée à l'échec. Finalement, les deux films se ressemblent plutôt et s'ils partent dans des directions opposées, à force de revenir sur leur chemin et de tourner en rond, ils se rejoignent.

Persona non grata (Roshdy Zem, 2019)
J'aime beaucoup Roshdy Zem et j'attends avec impatience son film avec Arnaud Desplechin en août. Je comprends assez bien l'ambition de son nouveau film de réalisateur. Il veut parler de la corruption des élus, des patrons du BTP, tout ça dans un même sac, il veut faire un polar français à l'ancienne (c'est-à-dire à la fiction de gauche période bénie d'Yves Boisset), il veut faire tourner ses potes, il veut faire de la romance mais tous ces éléments ont du mal à additionner. Au contraire, rarement la greffe ne prend (sans que l'impression de téléfilm ne prenne le dessus, cet atroce effet « dossier de l'écran », au moins Roshdy Zem sait raconter une histoire). Son prochain sera meilleur.

L'Œuvre sans auteur (Florian Henckel von Donnersmarck, 2018)
C'est actuellement le film au titre le mieux approprié. Effectivement tout est insipide dans cette production allemande de 3h10 qui se déroule sur plus de 30 ans avec une poignée de personnages entre Berlin est et Düsseldorf. On a beau voir Tom Schilling tout comme sa partenaire Paula Keer pendant plus de 2 heures, je pense que je serai incapable de les reconnaître si je les voyais dans un autre film. Le film ainsi est fade mais bizarrement il est prenant, comme une sympathique série télé avec des rebondissements réguliers. Quand la première partie s'arrête, j'ai voulu voir la deuxième. Je mets cela sur le compte de Sebastian Koch, l'un des méchants les plus vicieux de l'année. D'abord nazi tendance Mengele, il devient ensuite communiste en RDA tout en étant un père monstrueux. Plus le méchant est réussi etc...

mardi 30 juillet 2019

Sur quatre films de Lucio Fulci sortis en ce mois de juillet


Jusqu'à présent mon expérience de Lucio Fulci se limitait à un film, un western titré Le Temps du massacre avec Franco Nero vu au Festival des maudits films de Grenoble en 2000. On m'a habilement suggéré (on = un ami cinéphile) d'aller voir les quatre films du cinéaste qui passent cet été en salle. J'ai obtempéré non sans rechigner parce que c'est pas mon genre de prédilection. Les films ont des titres de dingue, Perversion story (1969), Le Venin de la peur (1971), La Longue nuit de l'exorcisme (1972) et L'Emmurée vivante (1977). Aucune traduction de l'italien ni même de l'anglais dans ces titres, que des inventions de l'époque j'imagine pour aguicher le chaland et faire un peu de choc.

Jean Sorel est le vedette masculine des deux premiers Perversion story (en VO, « l'une sur l'autre ») et du Venin de la peur (en VO, « un lézard sur le peau d'une femme »), un époux lisse mais uniquement de façade. Il vit dans le premier à San Francisco et dans le second à Londres. Lucio Fulci offrait un peu d'exotisme pour ses films. On retrouve les célèbres tramways de la ville californienne mais il ne faut pas faire beaucoup de chemin pour tomber sur la neige. Dans Le Venin de la peur, c'est amusant d'entendre de l'italien pour un film où tout le monde est censé être anglais. Passé ce petit moment de stupeur des langues, il faut suivre le récit et Lucio Fulci prend un malin à brouiller les pistes.

Ce qui ressort de ces deux films, ce sont les figures inspirées d'Alfred Hitchcock (on remarquera par ailleurs qu'on découvre des split-screens dans ces deux hommages au maître du suspense, ils sont contemporains des premiers split-screens de Brian de Palma). Tous deux sont de savantes relectures de Vertigo. Un nombre impressionnant d'escaliers en colimaçon sont parcourus par Carole (Florinda Bolkan) dans Le Venin de la peur quand elle poursuivi dans cet immense hangar ou entrepôt vide et qu'elle cherche à échapper à son agresseur (on trouve une poursuite quasi similaire dans L'Emmurée vivante (en VO, « quatre notes noires ») quand Jennifer O'Neill fuit ceux qui lui veulent du mal). Quant à Perversion story, c'est le retour de la même femme qui rappelle Vertigo.

L'épouse de Jean Sorel dans Perversion story meurt mais des indices le poussent à aller dans un boîte de strip tease où la danseuse vedette est la portrait craché de feue son épouse, à quelques différences près (cheveux et yeux). En 10 ans, de Vertigo à ce film de Lucio Fulci, l'érotisme est passé par là avec deux scènes de lit plutôt chaudes mais filmées dans la pénombre. En revanche, Lucio Fulci s'amuse à filmer les artistes de strip-tease dans la boîte en simple culotte. J'avoue que je ne m'attendais pas à voir Jean Sorel, lui si sage dans Belle de jour, jouer un amateur de chair fraîche. Les amours sont saphiques dans Le Venin de la mort, Carole a une maîtresse, leurs corps sont dénudés avant que Carole ne poignarde au ralenti sa chérie. L'érotisme est aussi là dans La Longue nuit de l'exorcisme (en VO, « ne torturez pas le canard ») avec ces gamins qui admirent la jeune fille riche.

Deviner qui a tué les victimes est le grand enjeu de ces quatre films. Et il est, à mon avis, impossible de la deviner. D'abord Lucio Fulci joue sur le surnaturel qui intervient assez vite dans les enquêtes que mènent les personnages. Soit des policiers, soit un journaliste, soit les protagonistes eux-mêmes au risque de se voir menacé à chaque instant. Le surnaturel varie d'un film à l'autre. Psychanalyse et amnésie dans Le Venin de la peur, vaudou et sorcellerie dans La Longue nuit de l'exorcisme (mais quel titre idiot), dons divinatoires dans L'Emmurée vivante. L'élaboration du crime prend du temps et les indices qui sont autant de pièges, de chausse-trapes narratives ne manquent pas. C'est dans ces embûches qu'on peut prendre du plaisir aux films.

On tue beaucoup dans ces quatre films. Au moins quatre enfants dans La Longue nuit de l'exorcisme dans un village de paysans incultes du sud de l'Italie, des femmes sexy dans les trois autres films (on s'écorche aussi dans les falaises au début de L'Emmurée vivante et à la fin de La Longue nuit de l'exorcisme), le tout dans des saignées de ketchup turgescent. Lucio Fulci aime le montage abrupt et cut, peu importe les raccords tant que l'effet fonctionne. Il aime les zooms violents qui passent d'un plan d'ensemble à un gros plan sur les yeux de ces femmes en quelques images, à peine une seconde. Il faut abandonner toute volonté de rationalité malgré l'abondante présence de médecins, psy et intellos en tout genre.

Certains moments des films de Lucio Fulci sont épuisants, parfois peu convaincants, parfois complètement nuls. Mais certaines visions sont saisissantes telles le début du Venin de la peur, cette vision de Carole dans le train, sa traversée du couloir du wagon où les corps nus s'entassent avant qu'elle ne se retrouve dans un couloir inconnu puis dans cette chambre où elle laisse libre court à ses fantasmes sexuelles. La scène suivante est d'autant plus frappante qu'elle vit chez des bourgeois coincés, le repas prout-prout qui suit est filmé par Lucio Fulci presque comme une gag comique. C'est dans ces oppositions de ton que les films glissent vers de la pure abstraction où on se demande : mais qu'est-ce qu'il va nous raconter ensuite ? Chaque fois on n'est pas au bout de nos surprises.

lundi 29 juillet 2019

Le Dictateur (Charles Chaplin, 1940)

Le prologue du Dictateur a à peu près la même durée que Charlot soldat sorti en 1918. C'est justement en 1918 que commence ce prologue, le dernier jour de la guerre et le soldat que campe Charles Chaplin est aussi maladroit que celui de Charlot soldat, ce peloton des maladroits. Il est affecté au maniement du canon surnommé la grosse Bertha. Son rôle est subalterne, ridicule même, après qu'un missile ait été mis dans le canon, il doit tirer la corde qui actionne le lancement. Un simple geste qui va provoquer la mort à des kilomètres de là.

Bertha s'emballe au fil des coups de canon. La bombe au lieu de partir loin tombe comme une crotte juste là, prête à exploser. Avec trois fois, Chaplin montre la lâcheté de ceux qui ordonnent de lancer des bombes. L'officier le plus supérieur donne un ordre à un officier moins gradé, ce dernier remet l'ordre à un autre encore moins gradé et ainsi de suite jusqu'à arriver à Charlot qui doit tenter de dégoupiller l'ogive qui se met à tourner sur elle-même, semblant poursuivre le pauvre soldat effrayé et comme c'est Charlot, il s'enfuit.

Pendant ce court quart d'heure d'ouverture situé en 1918, la guerre est montrée avec son lot d'injustice et d'ordres insensés. Mais aussi la peur qui envahit le soldat qui se retrouve soudain dans le camp adverse à cause de la fumée qui avait tout obscurci. On découvre aussi comment Charlot est devenu amnésique, à cause d'un grave accident d'avion avec le commandant Schulz (Reginald Gardiner), un haut gradé et cela aura son importance plus tard dans le film quand les deux hommes se retrouveront au hasard de leur vie respective.

Charlot est amnésique, non seulement il ne se rappelle pas la guerre vécue mais en plus il vit protégé de tout ce qui se passe en 20 ans. Car 20 ans plus tard, la vie a bien changé. Ce pays pour lequel il s'était battu, tant bien que mal, a comme leader l'épouvantable Hynkel. Une question de moustache, comme on dit, qui a piqué la moustache à l'autre. Comme le dit avec sarcasme un carton du générique « toute ressemblance entre Hynkel et le barbier serait le fruit du hasard ». et ce pays qui a bien changé, ce n'est pas l'Allemagne mais la Tomania.

Pourquoi changer Hitler en Hynkel, l'Allemagne en Tomania et plus tard dans le récit Mussolini en Napaloni et son pays non pas l'Italie mais la Bactérie ? Pas par peur des représailles, quoique, aux USA en octobre 1940 quand sort Le Dictateur, il y a encore beaucoup de monde pour affirmer que la guerre ne concerne que l'Europe et de nombreux politiciens américains admirent Hitler. Mais quitte à faire un film anti-nazi, autant faire un film anti dictature et aujourd'hui avec le « virus orange » de la Maison Blanche certaines phrases résonnent formidablement.

Ces phrases de Hynkel ce sont d'abord des borborygmes. Chaplin joue avec sa voix, avec ses intonations, avec ses accentuations. Presque aucun mot n'est reconnaissable mais tout est compréhensible. Quel morceau de génie que ce premier discours où les micros se plient devant la violence de son discours. Où il interrompt de sa main les applaudissements d'une foule totalement hypnotisée et abrutie par ce long discours de haine qu'une voix douce traduit de quelques phrases laconiques avec une ironie troublante.

Le discours s'adresse aux « Enfants de la Double Croix ». La double croix est le symbole de ce pouvoir qui martyrise les Juifs du ghetto (le terme est du film). Dès 1940, le monde entier, enfin ceux qui avaient pu voir le film, savait que les Juifs étaient persécutés. Des dialogues entre Hynkel et Garbitsch (Henry Daniell), parodie de Goebbels, ministre de l'intérieur et de la propagande, évoquent les camps de concentration, l'idée de tuer tous les Juifs, de faire brûler leurs maisons dans le ghetto. Rarement un personnage d'un film de Chaplin aura paru aussi antipathique.

On découvre Garbitsch lors de ce premier discours. Il est à la droite de Hynkel et à sa gauche se trouve le feld-maréchal Herring (Billy Gilbert), homme stupide et gauche. Herring gros bonhomme qui arbore ses médailles est toujours content de lui quand Gabitsch ne se sépare pas d'un visage las et plein de dédain. Herring ne propose pas de tuer tout le monde à son chef mais des inventions toutes plus minables les unes que les autres (un gilet anti-balles en soie, un parachute en forme de chapeau) qui se soldent immanquablement par la mort de leurs inventeurs lors des tests.

Herring est un peu le comique troupier et ridicule de service au milieu de ces affreux jojos. Celui qui est toujours trop couillon et qui se fait avoir. Cela dit, Hynkel n'est jamais avare de facéties en tout genre et de bévues. Là aussi, pour Chaplin il faut démontrer le caractère guignolesque de ces hommes, le sérieux qu'ils se donnent à représenter pour dissimuler leur simulacre, comme le feront plus tard Mel Brooks dans Les Producteurs et Jerry Lewis dans Ya ya mon général (Which way to the front).

Le discours change en fonction de leur besoin, pure hypocrisie des dominants qui ont soudain besoin de l'argent du banquier Epstein pour équiper leur armée enfin d'envahir l'Osterlich, le pays voisin. Tant que Hynkel et Garbitsch pensent qu'Epstein va les aider (car le conseil d'administration est composé d'aryens blonds aux yeux bleus dit Hynkel dans un gros plan où Chaplin rappelle qu'il est brun aux yeux noirs), les Juifs du ghetto ont la paix. Mais cette paix est de courte durée et la milice revient maltraiter les habitants.

Le soldat de 1918 est rentré chez lui et a repris son ancienne activité : il est le barbier du ghetto. Il n'avait pas mis les pieds là depuis 20 ans. Comme écrit plus haut, il est amnésique mais ignore aussi tout de ce qui est arrivé en 20 ans. Ainsi quand les soldats de la milice viennent harceler les Juifs, il est le seul à se défendre. Presque le seul, il reçoit l'aide de Hannah (Paulette Goddard), sa voisine. Son métier, quand elle ne frappe pas avec sa poêle les soldats, est de faire des ménages. Accessoirement, elle tombe amoureuse du barbier.

Leur relation cherche à s'épanouir dans ce chaos en train de se créer. Deux magnifiques scènes se suivent et se répondent. La danse de Hynkel avec la mappe-monde qu'il fait rebondir sur son derrière avant qu'elle n'explose dans ses mains, métaphore simple et géniale du danger du dictateur suivie du rasage d'un client par le barbier au son de la 5ème danse hongroise de Brhams qui exprime sa joie d'être amoureux. Tout Le Dictateur pourrait être résumé dans ces deux séquences où Chaplin brille dans son double rôle.

Une autre relation a du mal à s'épanouir, celle entre Hynkel et Napaloni (Jack Oakie). J'admire cette scène de gare où Hynkel l'attend avec ce train de carton-pâte qui ne cesse de s'arrêter et redémarrer brusquement. Jack Oakie comme Chaplin avec son charabia allemand invente sa langue italienne. Il imite à la perfection les tics de Mussolini, ce regard menton haut censé être plein de virilité. Hynkel était déjà bien gratiné, leur duo atteint des sommets de narcissisme stupide. Les deux dictateurs se disputent le destin du monde en sa balançant leur plat national à la figure.


Napaloni rentré chez lui, il ne reste plus que la bataille des moustaches entre le barbier et le dictateur. Dans Charlot soldat, il rêvait qu'il triomphait du Kaiser avant de se réveiller et de retomber dans la triste réalité, dans Le Dictateur pour triompher de Hynkel, ce rêve prend la forme de ce discours final de cinq minutes. Le discours demeure fort et beau, il appelle les hommes à avoir « le pouvoir de créer le bonheur ». La définition à mon sens de l’œuvre de Chaplin, de ses films et de ses personnages. 


































dimanche 28 juillet 2019

Deux phonoscènes avec Félix Mayol et Polin (Alice Guy, 1905)

La couleur, d'accord, comme je le disais, tout le monde en avait fait, très tôt dans un but strictement commercial. Plus fort que les autres, Gaumont grâce à Alice Guy propose à ses spectateurs – que j'imagine ébahis – du son. Elle a appelé ce procédé des phonoscènes. Un procédé double, un phonographe diffuse le son, celui d'une chanson, et Alice Guy filme un chanteur en train d'interpréter cette chanson.

Félic Mayol a tourné pour Alice Guy plusieurs de ces chansons. Il apparaît debout devant un rideau, notre vedette ne bouge dans son beau costume. Le comique troupier Polin est moins raide dans son costume de bidasse, son décor est un rideau représentant un jardin (on repère à gauche le logo de la Gaumont). Et c'est parti pour deux minutes et des poussières de chanson française (celle de Rimbault et Spencer).

Ce qu'on entend dans ces deux voix, celle de Mayol comme celle de Polin, c'est le son aigu de 1905, si typique des vieilles bandes, des 78 tours, ça crachote un peu, ça a du charme, mais aussi les accentuations particulières, ces R qu'on n'entend plus. Les chansons en revanche sont terriblement tartes et les deux gars (il doit exister d'autres phonoscènes), ne sont pas particulièrement à l'aise dans ces ancètres du clip vidéo.

Cela dit, ça devait être un sacré spectacle d'aller écouter pendant deux minutes les chanteurs de l'époque, de se dire qu'on allait en avoir pour notre argent. J'imagine Alice Guy donnant ses indications à ces deux acteurs d'une chanson, comment arriver (de la gauche), quels gestes faire, de penser à sourire tandis que Mayol chante « La polka des trottins » et Polin « L'anatomie du conscrit », tout un programme ! Les deux films sont visibles sur youtube.










Les Fredaines de Pierrette (Alice Guy, 1900)

Les films incunables en couleurs ne sont pas rares mais c'est toujours un plaisir inégalé d'en voir. Toutes les sociétés de production en ont fait dans les dix premières années du cinéma (avant d'en abandonner l'idée jusqu'à la pellicule couleur au milieu des années 1930. Comme ceux de la compagnie Lumière (Danse serpentine en 1897) ou de Thomas Edison, la Gaumont s'est lancé grâce aux bons soins d'Alice Guy.

Le titre de ces 52 secondes de danses colorées (peinture à même la pellicule, image après image, 24 fois 52) me touche d'autant plus que ma mère s'appelait Pierrette. Ce film a été conçu et tourné, vu par des spectateurs, avant que les parents de mère ne soient nés (c'était en 1901) comme ceux de mon père André par ailleurs. C'est tout de même extrêmement fascinant de se dire que pour faire du spectacle, elle a colorié son film.


Car il fallait bien damer le pion à la concurrence en proposant encore de farandoles, de mouvements et de transformation. Danse serpentine se contentait d'un mouvement uniforme de la danseuse. Pierrette et son amie sont en constantes transformations et déplacement dans le cadre, ce qui a dû augmenter les difficultés. Le film, donc Alice Guy, fait preuve d'une grande espièglerie dans ses variations. C'est beau.