En
faisant de Dheepan le personnage éponyme de son film, Jacques
Audiard lui réserve un passé auquel il veut échapper. Criminel de
guerre au Sri Lanka, il a perdu sa femme et ses enfants pendant le
conflit. Il va donc se reconstruire en France avec cette épouse et
cette fille fictive. D'elles, on ne saura jamais leur passé. Mais la
question de l'égalité des personnages se pose. Yalini, l'épouse,
est une femme qui se cherche un avenir (elle a une cousine en
Angleterre qu'elle veut rejoindre). C'est par elle que la majorité
de la fiction se crée dans Dheepan. Chaque jour au contact du petit
chef de bande, elle observe le conflit entre son mari fictif et ce
jeune homme, incarné paresseusement par Vincent Rottiers, conflit
qui va grandissant jusqu'à l'affrontement final.
On
ne connaîtra rien du voyage entre le Sri Lanka et la France, Audiard
s'attarde peu sur le demande d'asile de la famille. On apprend que
Dheepan va devenir gardien d'une cité où la loi a disparu. De cette
banlieue, on ne verra pas grand chose. Dheepan
est l'inverse total de Bande de
filles dans sa vision d'une
cité : personne ne semble habiter là, on voit juste des
figurants qui traversent le cadre. Un simple décorum pas très
reluisant. C'est pourtant la vision qu'en ont Dheepan et Yalini, ce
sont eux qui donnent le point de vue du film. Ils ne voient donc que
les jeunes qui surveillent le quartier pour que Rottiers puisse faire
son trafic de drogue. Ils ne voient plus les habitants qui
disparaissent du champ visuel comme de la fiction. La famille
s'invente leur vie : « c'est comme au cinéma »,
disent-ils en observant les dealers.
Jacques
Audiard cherche tellement à éviter les clichés sur les migrants
comme sur les trafiquants de banlieue qu'il en oublie de dire quoi ce
soit à la fois sur les uns comme sur les autres. La barrière de la
langue aide à ne pas s'exprimer beaucoup. En revanche, un jeune
milicien du trafiquant explique qu'il fait un boulot pas facile et le
chef des dealers affirme qu'il pratique un commerce comme un autre. A
ma grande surprise, le film évite l'écueil de la petite frappe qui
tombe amoureux de Yalini, qu'il voit pourtant tous les jours chez
lui. Elle lui prépare des petits plats. Ce que chacun cherche, c'est
une petite vie normale avec un mode de vie normatif. Le film avance
sans à-coup, sans retournement de situation dans un scénario ultra
balisé, sans même d'émotion. Les enjeux sont maigres. Les scènes
d'action sont terne, le finale est filmé dans un nuage de fumée où
tout est suggéré.
Pendant
le Festival de Cannes où il reçut la Palme d'or, Jacques Audiard
expliquait qu'il voulait faire « un film français avec des
gens non français qui viennent d'un univers non francophone »
(entretien dans le magazine Première). Dheepan
brasse au moins trois genres à la fois.
Drame familial : lui, ancien chef de guerre se voit attribuer
une femme et une fille de neuf ans pour partir en exil en France.
Film de vengeance : le cinéaste se compare à Peckinpah et Les
Chiens de paille, film sur
l'humiliation d'un homme par tout un village. Film social : la
banlieue, c'est pas rose. C'est même pire que le Sri Lanka, clament
en chœur la mère et sa fausse fille. Le film est tout cela à la
fois, sur le mode du saupoudrage volontaire mais un peu vain. Le film
n'est pas grand chose. Ce scénario aurait été plus adéquat pour
une série télé.
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