Parler
de La Carrière d'une femme de
chambre, c'est aborder le
genre cinématographique dit des « téléphones blancs »,
et parler des téléphones blancs, c'est évoquer Cinecitta pendant
l'Italie dirigée par Mussolini. C'est un dialogue du film qui
définit le mieux le genre téléphones blancs : « Une
passion dans le milieu de la haute bourgeoisie » au milieu d'un
décor blanc immaculé comme pour stimuler la pureté de la passion.
Le film de Dino Risi commence par un pastiche de film de ce genre,
qui donne son titre en version originale. Il se déroule depuis l'un
Festival de Venise des années 1930 jusqu'à la fin de la République
de Salo, en 1945. Cette femme de chambre s'appelle Marcella (Agostina
Belli), elle prépare les lits des stars de cinéma du palace où
elle travaille. Elle veut devenir une vedette. Ce film suit son
destin.
Marcella
est vénitienne, d'une famille très pauvre. Son père boit l'argent
des salaires, la mère prépare le gruau. Marcella se laisse séduire
par Roberto mais rêve de faire des films à Rome. Naïve et pas
farouche, elle préfère accepter les propositions de n'importe quel
homme inconnu plutôt qu'un mariage fauché avec Roberto. Evidemment,
chaque fois l'homme rencontré lui fait de nombreuses promesses qu'il
ne tiendra pas. Tout ce qu'il veut, c'est trousser Marcella, qui
n'est pas contre, mais qui ne reçoit rien en échange. Et chaque
fois, Roberto, dépité, est abandonné à son sort, le même schéma
se reproduira tout au long du film tel un gag récurrent qui devient,
pour l'amoureux éconduit, de plus en plus douloureux.
Loin
d'être un film à sketches, malgré les apparences, on suit ces
personnages de l'Italie fasciste qui se croient tout permis. On saute
de l'un à l'autre au gré de la montée de Marcella dans la société
et le vedettariat. Le premier est un producteur ruiné, le deuxième
est un militant fasciste qui veut l'épouser mais la confie à sa
mère, gérante d'une maison close. « Je ne travaille pas dans
un bordel, ça serait vulgaire, je suis dans une maison de
tolérance », dit-elle à Roberto venu une nouvelle fois la
récupérer. Elle s'en échappe et va travailler avec un de ses
anciens clients, qui bien que pratiquant une sexualité peu commune,
s'avère le plus normal de tous ses clients. Elle commence à devenir
chanteuse, elle a petit à petit du succès, elle est appelée à
Cinecitta pour des essais cinéma.
Sa
carrière d'actrices s'envole quand Mussolini la remarque et en fait
sa maîtresse. Il décide en même temps de se débarasser de Roberto
qu'il envoie comme soldat d'abord en Ethiopie, puis en Espagne, en
Albanie et pour finir en Egypte. Là, Dino Risi souligne la folie
belliqueuse du tyran italien et la compare à sa mentalité mesquine
d'envoyer un pauvre bougre à la mort pour se taper sa copine. Le
film est très direct dans sa critique de la société fasciste et de
sa hiérarchie qui a mené le pays au chaos. Il montre la manière la
lâcheté de chacun pour accéder à l'argent en marchant sur les
autres. La sinistre séquence avec Ugo Tognazzi dans la débâcle en
est l'illustration la plus cynique.. Seuls Marcella et Roberto sont
épargnés dans sa critique.
L'homme
qui occupe le plus la vie de Marcella est l'acteur Franco Denza
(Vittorio Gassman). Elle le rencontre par intermittence, mais chaque
fois qu'il la revoit, il est incapable de se rappeler son nom (comme
pour les autres personnes). Denza incarne tout la suffisance de la
star parvenue qui se croit au dessus des autres. Gassman a le génie
pour faire de son personnage d'acteur cabot qui se croit irrésistible
l'incarnation du prétentieux. Perclus de tics, Denza n'est charmant
que dans les films, dans la vie, Marcella le comprendra vite. Il ne
vit que dans le cinéma, jusqu'à cet ultime pied de nez dans le nord
de l'Italie. Le portrait de tout ce monde n'est pas joli loin de là,
mais le film est drôle et tendre. Drôle de carrière, tendre femme
de chambre.
Captures d'écran établies à partir du DVD édité par SND en 2011
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