Dans
les aventures de Tintin, la cantatrice Bianca Castafiore chante
souvent « Ah, je ris si fort de me voir si belle, est-ce toi
Marguerite », avec une voix qui manque jamais d'angoisser le
Capitaine Haddock. Catherine Frot incarne justement une
Marguerite,dans son film éponyme, aristocrate des années 1920 qui
se rêve en cantatrice. Elle peut à tout loisir se regarder dans le
miroir, mais elle ne s'entend pas. En revanche, son époux a signé
un pacte diabolique avec ses amis : il les paie pour qu'ils
viennent écouter sa voix de crécelle. Marguerite tient des récitals
dans la salon de son château, à la campagne, en privé. Le mari ne
veut pas que cela sorte de chez eux, pas d'humiliation publique.
Tout
aurait pu continuer comme ça sans la venue de deux loustics, Lucien
un jeune journaliste (qui écrit dans Comoedia) et Kyril un artiste
surréaliste (qui porte un monocle). Ils se sont introduits dans la
demeure sans demander la permission, sans invitation. Ils pensaient
entendre une grande chanteuse restée dans le secret, ils auront une
femme qui chante terriblement faux. Loin de se moquer d'elle, le
premier écrit un article élogieux et le second lui fait un collage
en forme d'hommage. Il n'en faut pas plus à Marguerite pour avoir
envie de faire un concert devant un vrai public, loin de chez elle.
Lucien et Kyril organisent cela.
La
première heure du film est un formidable hommage au surréalisme,
avec comme point d'orgue ce fameux concert où Marguerite chante la
Marseillaise tandis que des images de la Grande Guerre sont projetées
sur sa tunique blanche. Le surréalisme était une forme artistique
qui luttait contre toutes les idées reçues, et quel meilleur moyen
existait-il que de donner un concert par une femme qui chante
terriblement faux. De cette bizarrerie que les bourgeois rejettent,
de cet entrechoc entre divers sens, se crée une poésie que Xavier
Giannoli retranscrit avec beaucoup de tact, d'émotion et d'humour à
l'écran. Cette provocation de Kyril, Lucien et Marguerite est
insupportable pour les amis de cette dernière qui l'excluent de leur
cercle.
La
deuxième heure est plus cruelle pour Marguerite. Lucien et Kyril
disparaissent du récit pour faire entrer un chanteur d'opéra raté
qui va trouver le moyen de se faire payer très cher pour donner des
courts de chant à la baronne. On est moins à l'aise devant la
manipulation qu'entretient l'étrange majordome de Marguerite, sans
doute amoureux d'elle, et qui rêve, tel le citoyen Kane d'Orson
Welles, que la femme de son cœur puisse interpréter des airs
d'opéra. Ce que le cinéaste américain traitait en 20 minutes, il
faut un heure pour que Giannoli le fasse dans des scènes un peu
répétitives. Les intrigues secondaires (la jeune chanteuse Hazel
comme contrepoint à Marguerite, l'adultère du mari) alourdissent le
récit. Mais Catherine Fort est formidable, évidemment.
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