Lire
l'autobiographie de Samuel Fuller – l'un des meilleurs livres de
cinéma que je connaisse, Un troisième visage édité en 2002 aux
USA et en 2001 en France, avant de voir Au-delà de la gloire
(quel titre épouvantable, je vais utiliser le titre original)
dévoile à peu près tout de ce que le film va raconter. Plusieurs
pages sont consacrées à ce périple de la Big Red One dont on
découvre l'origine dans le prologue en noir et blanc. Situé le 11
novembre 1918, en France, dans une plaine dominée par une statue du
Christ en bois de grande taille, sculptée de manière naïve, un
jeune soldat américain (Lee Marvin) tue un soldat allemand.
Ce
que ce jeune soldat américain ne savait, ou ce qu'il ne voulait pas
savoir quand l'Allemand lui parlait (« der Krieg is vorbei »),
c'est que l'armistice était déjà signée et que les combats
devaient cesser. Le visage en gros plan qui succède à celui du
Christ, tout deux semblent pleurer sans larmes, montre toute
l’ambiguïté de l'homme au combat. Ce sera le sujet de The Big
Red One, est-ce qu'un soldat assassine ou est-ce qu'il ne fait
que tuer. Pour se rappeler ce moment où le soldat américain ne sait
pas s'il a assassiné son pair allemand ou s'il l'a tué, il se
saisit d'un ruban rouge pris sur le képi et ce ruban rouge deviendra
le 1 de la première compagnie d'infanterie.
On
retrouve Lee Marvin en juin 1942 au large de l'Afrique du Nord, les
USA sont enfin entrés en guerre. Mais ce n'est pas son personnage
qui tient seul le récit, personnage sans nom, toujours appelé par
son grade Sergent, et dont on ne connaîtra rien de sa vie entre le
11 novembre 1918 et 1942. Le récit est alors lancé (on est arrivé
à la couleur) par un certain Zab (Robert Carradine) qui se prétend
le Hemingway du Bronx. Cigare au bec, lançant sa fumée épaisse sur
ses voisins, il présente ses trois comparses en voix off :
Griff (Mark Hamill), Johnson (Kelly Ward) et Vinci (Bobby Di Cicco)
Chacun
a sa propre identité, Griff dessine tout ce qui se trouve sous ses
yeux, le Sergent lui donne d'ailleurs un poster de Churchill comme
support, Griff – le personnage qui aura le plus de place dans le
film – est un alter ego de Samuel Fuller autant que Zab qui fume ce
cigare dont le cinéaste ne se séparera jamais (Samuel Fuller
apparaît dans une scène, en fin de film, incarnant un reporter de
guerre). Zab avec son arrogance naturelle ressemble à Ferdinand le
personnage de Jean-Paul Belmondo dans Pierrot le fou où
Samuel Fuller faisait une apparition dans une soirée mondaine.
Johnson,
le fermier blond à la fausse candeur et Vinci le rital sentimental
ont moins d'importance mais ces quatre personnages forment un tout,
pas seulement une escouade qui ne se séparera jamais pendant tout le
film, mais aussi un carré d'as qui serait tout Samuel Fuller. Griff,
Zab, Johnson et Vinci sont une seule et même personne scindée en
quatre visages pour créer une fiction plus cohérente dans cette
autobiographie filmée du cinéaste. Si Griff dessine (comme l'a fait
Fuller pendant la guerre), Zab est écrivain (comme le sera Fuller
dans les années 1940).
Ces
« wet-noses » comme les surnomme le Sergent, ces bleus
entament un long trajet du sud au nord, de l'Algérie française à
la Tchécoslovaquie en passant par la Sicile, la Normandie, la
Belgique et l'Allemagne. Le voyage dure longtemps, bien trop
longtemps pour des soldats, mais il permet d'embrasser toute la
libération de l'Europe par les forces américaines. Du sud au nord,
de juin 1942 à mai 1945 mais aussi du soleil méditerranéen à la
grisaille enneigée de l'Europe centrale, de l'innocence à la
plongée en enfer.
Le
rythme du récit suit ces étapes et chaque étape suit le même
rituel. Transport de l'escouade d'un lieu à un autre, combat plus ou
moins court contre les ennemis (peut-être les scènes les moins
passionnantes), fraternisation avec les habitants locaux et départ
abrupt vers l'étape suivante. Ce sont ainsi des moments où l'on
peut découvrir les personnalités puis de l'action enfin des moments
de comédie et de tendresse. C'est sur ces derniers moments que
Samuel Fuller étonne le plus et enchante son film.
Il
soigne chaque rencontre, en fait un moment de joie. En Sicile, une
petite fille décore le casque du sergent avec des fleurs. En
Normandie, l'escouade envahit un asile de fous tenus par Stéphane
Audran, elle dépucellera Griff, en Belgique, le Sergent sympathise
avec une paysanne jouée par Marthe Villalonga qui organisera une
grosse fête payée par Zab qui vient de recevoir de l'argent grâce
à la publication de son premier roman. Zab se réjouit de voir un
soldat le lire avec plaisir, il s'agit du jeune Kaiser (Perry Lang),
un autre bleu qui aimerait faire partie de la bande.
Chaque
personnage dénote l'un des aspects de son caractère, celui de Griff
reflète le dilemme entre assassiner et tuer. Griff a toujours du mal
à tirer sur les ennemis et le Sergent, s'il ne lui reproche pas
verbalement, le juge du regard. La dernière séquence, d'une
sidérante tristesse, d'une incommensurable pudeur a lieu dans un
camp d'extermination. Les champs contre-champs de regard, sans
dialogue, entre les soldats et les prisonniers sont d'une immense
dignité, sans doute ce que Samuel Fuller a filmé de plus émouvant
dans tous ses films.
Filmé
en couleurs mais dans des teintes grises, ce finale renvoie au
prologue en noir et blanc, comme une boucle temporelle, l'Histoire ne
cesse de se répéter. Griff est là seul à errer au milieu des
fours crématoires. Il découvre l'holocauste, il voit les cendres,
il voit les os, il voit les hommes faméliques et terrifiés, des
fantômes. Il ouvre avec sa mitraillette les fours et découvre un
soldat allemand. Pour la première fois, Griff tire et tue ce soldat
qui paie pour tous les autres, il vide son chargeur. C'est une
libération pour le Sergent, c'est le visage grave de Lee Marvin qui
termine le film, chef d’œuvre de Samuel Fuller.
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