Trois
sœurs reliées par la même initiale, Jeanne (Chiara Mastroianni)
l'aînée, Julie (Ludivine Sagnier) la cadette et Jasmine (Alice
Butaud) la petite dernière. Très unies, elles passent les déjeuners
dominicaux chez papa maman (Jean-Marie Wingling et Brigitte Roüan).
Mais seule l'une d'elles a un fiancée, c'est Julie qui vit en couple
avec Ismaël (Louis Garrel). Jeanne reste désespérément seule et
Jasmine est encore étudiante.
Pour
l'instant, quand commence Les Chansons d'amour, Julie va aller au
cinéma et attend Ismaël qui n'arrive pas. Petit coup de fil, grand
retard. Mais commencer son film par un film est le signe d'un détour
cinéphile et celui-ci passe avant tout par le cinéma de Godard et
Une femme est une femme. C'est dans ce quartier de
Strasbourg-Saint-Denis que Julie et Ismaël habitent et c'est plutôt
une femme et une femme dans le lit conjugal.
Au
couple s'adjoint une autre femme Alice (Clathilde Hesme), aussi brune
que Julie est blonde. A trois, ils jouent aux livres dans le lit
comme Brialy Belmondo et Anna Karina, se lançant des petits
messages, mais attention, uniquement des bouquins édités par
L'Olivier, l'éditeur des romans de Christophe Honoré. A vrai dire,
Alice semble un peu s'incruster dans le couple, Julie ne sait plus
très bien qui l'a invitée en premier.
Tous
ces sentiments, les personnages les expriment en chansons, des
chansons d'amour qui racontent ce que les dialogues n'oseraient
jamais dire de vive voix, des voix intérieures qui se font entendre
du spectateur. La quinzaine de chansons d'Alex Beaupain sont pop,
souvent guillerettes, parfois mélancoliques, toujours courtes, elle
reflètent comme des miroirs la vie amoureuse de ce trio qui ne va
jamais finir de se scinder.
C'est
toujours sur le fil du rasoir que se joue l'équilibre du cinéma de
Christophe Honoré, l'option « film musical » (on ne peut
pas parler de comédie ici) fonctionne parce qu'il transcende la vie
banale que tous vivent. Les chansons sont terriblement sentimentales,
parfois cucul la praline, parfois chantées un peu justes, mais elles
frappent par leur inventivité.
Car
assez tôt dans le récit, Julie meurt d'une crise cardiaque. Le
cœur, toujours le cœur, si fragile qu'il ne supporte plus de
partager Ismaël avec Alice. Assommé par la mort de sa chérie, il
erre dans les rues tristes de Paris. Là est la touche du cinéma de
Christophe Honoré, savoir trouver le quartier idéal, la rue
adéquate, l'immeuble parfait pour rendre l'humeur d'Ismaël et des
autres, leur solitude, leur égarement affectif.
Alice
est déjà passée à autre choses, un Breton au nom si breton,
Gwendal (Yannick Renier) rencontré à la soirée où justement Julie
est morte. Ismaël va ainsi naviguer entre son appartement vide et ce
lui d'Alice. Dans son appartement vide, Jeanne vient parfois
s'incruster, sans vraiment savoir pourquoi, elle prétend venir
nourrir le chat, elle vient vérifier si Ismaël appartient à leur
famille, s'il n'a pas changer de fiancée.
C'est
la légèreté de la gravité qui orne les scènes des Chansons
d'amour. La légèreté de découvrir au petit matin une jeune
femme dans les draps du lit d'Ismaël, la gravité pour la mère
d'enfin rencontrer cette Alice, l'indifférence de Jasmine quand
Alice discute avec elle. Décidément, la famille part en
déliquescence, elle se désagrège lentement mais sûrement et
personne ne peut ralentir ce mouvement qui pousse Ismaël ailleurs.
Cet
ailleurs, c'est la Bretagne. Ultime hommage au cinéma de Godard, ces
enseignes lumineuses qui indiquent le chemin à prendre. Ismaël est
égaré dans le quartier où il vit. Alice lui a proposé pour se
changer les idées de venir de temps en temps dormir chez Gwendal,
puisqu'elle sort avec lui. Et Gwendal a un petit frère, Erwann
(Grégoire Leprince-Ringuet), ce Breton qui sent « la pluie,
l'océan et les crêpes au citron ».
Ce
lycéen un peu collant, qui porte des slips colorés, une blouson
plastique et des pulls marins, n'aurait jamais dû rencontrer Ismaël.
Il est le cliché vivant du jeune gars qui croit que le monde entier
lui appartient et qu'il va réussir à ce que Ismaël, l'homme aux
chemises blanches et aux vestes noires, tombe amoureux de lui. Comme
gage d'amour, Erwan lui prête son pull.
A
vrai dire, le spectateur n'a envie que d'une chose dès que Erwan
arrive, c'est qu'Ismaël succombe à son charme. Toute la deuxième
moitié des Chansons d'amour est ainsi de la broderie, une
manière de retarder l'inévitable comme dans une comédie du mariage
à Hollywood. Le plaisir du film est dans ces rendez-vous manqués,
ces jeux de cache cache pour arriver à ce beau finale « Aime
moi moins mais aime moi longtemps ».
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