Au
milieu d'Une affaire de famille, une belle scène décrit
toute la puissance du cinéma de Hirokazu Kore-eda. C'est l'été,
toute la famille est réunie dans la maison et dîne. La nuit est
tombée, la grand-mère (Kiki Kirin) est sur le perron, faisant dos
aux autres, elle commence à boire une bière fraîche. Soudain, le
son d'un feu d'artifice retentit. Le père (Lily Franky) sort,
constate qu'on ne voit pas « la pivoine ou le saule pleureur »
des feux qui explosent dans le ciel, il les imagine. Puis toute la
famille rejoint la grand-mère, la caméra s'élève, filme ce bout
de quartier, on découvre pour la première fois la petite maison
isolée au milieu d'immeubles, faiblement éclairée par la lampe de
la pièce unique.
Voilà
tout, plutôt que filmer des moments forts et éclatants qui
créeraient autant de scènes d'anthologie, ces fameuses scènes
paroxystiques que l'on peut raconter à tous pour montrer la force du
propos, il en enregistre les échos qui se répercutent sur toute
cette famille. Dès la scène d'ouverture, sur une douce musique de
jazz, Hirokazu Kore-eda fait semblant de faire un plan séquence pour
abandonner cette idée et se contenter de suivre ce gamin Shôta
(Kairi Jyo) et son père en train de chaparder, suivant un rituel
bien établi (les gestes porte-bonheur de Shôta, pure superstition)
et une chorégraphie réglée pour que le commerçant ne repère
qu'on lui pique ses affaires.
Sur
le chemin du retour, fiers de leur bonne pêche, ils aperçoivent une
gamine (Miyu Sasaki) abandonnée à son sort sur son balcon, pas du
tout habillée pour le froid qui sévit en ce début d'hiver. Il n'en
faut pas plus pour que le père l'embarque avec lui. La famille ainsi
s'agrandit d'un nouveau membre, la petite Yuri – qui en fait
s'appelle Juri – et que la mère (Sakura Andô) va rebaptiser Rin,
non sans avoir tenté d'autres prénoms. Rin fait désormais partie
de la famille et avec justice puisque la mère constate qu'elle a été
brimée, qu'elle porte des traces de coups sur les bras. Les voilà
six désormais puisque vit aussi Aki (Mayu Matsuoka), la grande sœur,
six à habiter dans ces quelques mètres carrés qui font une enclave
utopique.
Depuis
Maborosi et After life (ses premiers films que j'avais
découverts au cinéma en 2000), l'extrême délicatesse du cinéaste
pour explorer la famille désaccordée, comme on le dirait d'un piano
– la musique de Haruomi Hosono le laisse par ailleurs entendre avec
étonnement, n'a jamais fait défaut à sa mise en scène.
Paradoxalement, la violence des rapports sociaux ne cesse de menacer
l'équilibre précaire de cette famille. Les boulots de la mère et
de la sœur sont des exemples frappants de cette violence de la vie
quotidienne, la première travaille dans un pressing et va se faire
virer, la deuxième est call-girl et tente de rencontrer le jeune
homme à la timidité maladive, un certain client N°4. La
description du métier de call-girl est clinique, glaçante.
C'est
justement dans cette opposition que réside la mise en scène de
Hirokazu Kore-eda, comme il le faisait déjà dans Nobody knows
en 2004, tabler sur un dérèglement total des repères sociaux pour
en inventer de nouveaux. L'arrivée en fin de film des services
sociaux sonne comme une injustice, ils ne cessent de proclamer un
famille modèle, un nœud naturel et biologique que le père et la
mère (dont on ne connaîtra jamais les noms) ont fait exploser. Dans
un film social, à grand renforts de musique larmoyante, cette
famille aurait été condamnée, un cinéaste édifiant aurait créer
un suspense où les deux enfants seraient mis en danger, histoire de
faire ces fameux moments de force, Hirokazu Kore-eda choisit le calme
au risque parfois de la banalité, vite balayée dans la deuxième
heure où les bouleversements viennent rebattre les cartes.
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