Par
ces temps de fête de fin d'année, l'idéal est d'aller voir des
films très courts, par exemple ces deux-là, 75 minutes chacun, à
eux deux ils font quasi la durée d'Aquaman,
la dernière livraison Marvel pour toute la famille popcorn. A ma
gauche, Louis Garrel, troisième film à sortir en salle, titre
simple L'Homme fidèle,
tourné à Paris dans un univers qu'on connaît bien. A ma gauche, Un
violent désir de bonheur tourné
dans l'arrière pays provençal dans un mont d'oliviers pour inventer
1792 et un monastère envahi par des révolutionnaires.
Un
violent désir de bonheur est
le premier long-métrage de Clément Schneider, c'est un plaisir de
retrouver le beau Quentin Dolmaire. Je disais au sujet de Sage
femme qu'on ne voyait pas
assez l'acteur découvert dans le génial Trois
souvenirs de ma jeunesse. Les
cheveux sont toujours aussi bouclés mais une tonsure détermine sa
vie, il est moine et s'appelle Gabriel. Dans sa chasuble, il
s'adresse aux soldats qui veulent les expulser du couvent occupé par
six moines, il est le seul à causer, il est pourtant le plus jeune
et son discours est entendu.
Pour
créer cette époque si vue dans tant de films, avec cette éternelle
crainte de faire du cinéma académique, Clément Schneider, en fait
le moins possible et ça marche. Langue actuelle, pas de phrases qui
vont époque mais parfois quelques personnages qui parlent en patois
local. Décor et costumes minimaux, les soldats plus nombreux que les
moines arrivent dépenaillés, chemise ouvertes sur le poitrail, une
découverte pour Gabriel qui semble n'avoir jamais vu de peau de sa
vie. C'est l'été, les hommes suent et se déshabillent devant lui.
La
révolution qui subit Gabriel est ce désir qui grimpe de ses doigts
de pied, que touche Marianne (Grace Seri) débarquée avec la troupe,
jusqu'au haut de son corps. Gabriel est filmé ainsi sur une échelle,
torse nu, en train de ramasser les olives et la jeune femme, qui ne
dira jamais un mot, est là à le toucher, le tester, l'attendrir,
sans que l'on sache vraiment si elle comprend qu'un moine a voué sa
vie à la chasteté. Elle reste avec lui quand les soldats s'en vont,
confiant à Gabriel le monastère, il devient alors le sergent
François.
Il
passe d'un prénom biblique à un prénom français, de moine à
soldat, et les saisons passent au gré de la nature qu'il embrasse,
il fait la sieste dans l'herbe, dort sur les troncs et fait l'amour
dans les prés. Le désir est violent mais filmé avec une telle
douceur, telle cette belle scène où Marianne refait la coupe de
cheveux du jeune moine. Filmé comme un film straubien, en format
1:33, c'est une belle surprise, vive et reposante, ensoleillée et
heureuses. Ce qui lie ainsi les deux films est aussi le choix de ce
prénom Marianne pour le personnage principal féminin.
Chez
Louis Garrel, Laetitia Casta est cette Marianne brune filmée en
scope. Elle est entourée de protagonistes aux prénoms bibliques.
Abel (Louis Garrel) qu'elle a quitté pour épouser Paul (on ne le
verra jamais mais tout le monde parle de lui) et mettre au monde
Joseph (Joseph Engel). Marianne perd son amri et retrouve Abel à
l'enterrement, entre temps Joseph a bien grandi. Elle va encourager
Abel qui s'est installé chez elle à coucher avec Eve (Lily-Rose
Depp), la petite sœur de Paul qui a toujours été amoureuse d'Abel.
En
75 minutes, Louis Garrel et son co-scénariste le très estimé
Jean-Claude Carrière embrassent dix ans de vie, ou plus précisément,
dix ans de frustration et dérobades sexuelles entre Abel, Marianne
et Eve, dans une mise en scène polyphonique : les voix off des
différents personnages se succèdent dans la bande son, chacun
prenant en compte la narration sans que l'on sache vraiment s'il
n'invente pas au fil de leur inspiration ce qui leur arrive (la
confusion de son âge quand Eve raconte sa passion amoureuse dès son
adolescence).
Comme
dans le film de Clément Schneider, beaucoup de douceur irrigue le
parcours chaotique de ce quatuor éclaté. Le chaos est approté,
tambour battant, par Joseph qui fait figure de personnage totalement
mystérieux. Il tient un discours étrange à Abel : Marianne a
tué Paul et le médecin est complice. Tiens, comment s'appelle ce
médecin ? Il a un nom de fleur en P.
Mais quelle fleur ? Les pensées (ce qui est indiqué sur la
couronne mortuaire) ou les pivoines ? Abel ira voir ce médecin,
il enquête sur les mauvais conseils de ce gamin qu'il soupçonne
maintenant d'être son fils sans comprendre pourquoi Marianne lui
aurait privé de sa paternité.
Cette
mort dérègle la vie de chacun, renverse leur train-train. Cela part
ainsi d'un événement violent mais raconté avec une joie immodérée
dans une vision de l'amour proche des Liaisons
dangereuses. C'est une
évidence, le saut quantitatif de la mise en scène de Louis Garrel
est flagrant, c'est une bonne nouvelle. Il se révèle aussi un
excellent dans la direction d'acteur. Autre lien entre les deux
films. Louis Garrel et Quentin Dolmaire incarnent deux frères dans
deux films différents d' Arnaud Desplechin. Ça serait épatant de
les retrouver ensemble dans une suite des aventures des frangins
Dédalus.
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