Federico
Fellini disait dans Intervista qu'il allait adapter L'Amérique
de Franz Kafka, c'était une pure invention du scénario de son film.
Ceci dit, je ne pense pas qu'il savait que les Straub en avaient
tourné une version (c'est le seul film à être adapté de ce récit)
trois ans plus tôt. Amerika rapports de classe est
entièrement joué en allemand et filmé à Hambourg, sauf un court
plan tourné à New York où l'on ne se soucie pas de reconstitution
d'époque puisque deux hélicoptères volent autour de la statue de
la Liberté.
Pourtant
le film continue de se dérouler au milieu des années 1910, Karl
Rossmann (Christian Heinisch) a pris le bateau pour se rendre
d'Allemagne en Amérique. Il a oublié son parapluie et va chercher à
retrouver son parapluie, c'est sa préoccupation principale au début
du film, mais jouée à la Straub, c'est-à-dire toujours avec ce
calme inquiétant, ce hiératisme de l'homme angoissé plutôt que
l'excitation. Ainsi quand l'homme en face de Rossmann demande
pourquoi il a frappé si fort sur la porte, on reste étonné parce
qu'il n'a pas frappé si fort sur la porte.
C'est
que le jeune homme est entier dans son beau costume avec sa belle
cravate et la malle de soldat de son père qu'il traîne avec lui. Le
visage constamment renfrogné, il va de déception en déception dans
les rencontres qu'il fait. C'est une Amérique où les hommes ne
cessent jamais d'humilier ceux qui sont plus faibles qu'eux. Le
paroxysme de ce mouvement est dans l'hôtel où il est devenu
liftier. Il s'est absenté quelques instants sans en prévenir le
gérant. Ce dernier, aidé d'un chef, va renvoyer Karl non sans
l'avoir copieusement engueulé.
Amerika
marque un retour au noir et blanc dans le cinéma de Danièle Huillet
et Jean-Marie Straub et aussi à la grande fiction (amorcée par le
court-métrage En rachâchant) après pas mal de films
« lecture ». Mais c'est plus précisément un film en
gris plus qu'en noir et blanc avec un travail phénoménal de
William Lubtchanski. Ce gris est la marque d'un constat de
tristesse, de désespoir et de critique, non pas que les Straub aient
jamais été les plus grands optimistes du monde, mais ils filment
ici le ventre sinistre de l'Amérique.
Le
pauvre homme ne tombe que sur des gens qui veulent l'exploiter, tels
ce Delamarche (Harun Farocki), vagabond français en peignoir et son
comparse Robinson (Manfred Blank), soi-disant irlandais. Ils veulent
en faire leur domestique dans les salons mondains de la Brunelda
(Laura Betti). Cette dernière, du haut de sa terrasse car Karl ne
cesse de faire ce trajet de bas en haut et inversement (l'ascenseur
de l'hôtel), lui offrira d'observer le monde à conquérir avant de
se retrouver jeté plus bas que terre à la rue.
Karl
ne cesse de vouloir s'échapper et d'être accusé de tous les mots.
Un policier qui ressemble à un comédien de splastick évoquant une
production Keystone – hommage au cinéma burlesque muet – viendra
enquiquiner Karl avant de la poursuivre dans la seule course
poursuite chez les Straub (un rapide panoramique sur le droite). Pour
Karl, s'échapper sera un voyage vers l'ouest, l'Oklahoma et le monde
du spectacle « où tout le monde a sa place », un départ
en train dans un travelling infini au bord d'un fleuve assoupi.
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