jeudi 6 décembre 2018

Amerika rapports de classe (Danièle Huillet & Jean-Marie Straub, 1984)

Federico Fellini disait dans Intervista qu'il allait adapter L'Amérique de Franz Kafka, c'était une pure invention du scénario de son film. Ceci dit, je ne pense pas qu'il savait que les Straub en avaient tourné une version (c'est le seul film à être adapté de ce récit) trois ans plus tôt. Amerika rapports de classe est entièrement joué en allemand et filmé à Hambourg, sauf un court plan tourné à New York où l'on ne se soucie pas de reconstitution d'époque puisque deux hélicoptères volent autour de la statue de la Liberté.

Pourtant le film continue de se dérouler au milieu des années 1910, Karl Rossmann (Christian Heinisch) a pris le bateau pour se rendre d'Allemagne en Amérique. Il a oublié son parapluie et va chercher à retrouver son parapluie, c'est sa préoccupation principale au début du film, mais jouée à la Straub, c'est-à-dire toujours avec ce calme inquiétant, ce hiératisme de l'homme angoissé plutôt que l'excitation. Ainsi quand l'homme en face de Rossmann demande pourquoi il a frappé si fort sur la porte, on reste étonné parce qu'il n'a pas frappé si fort sur la porte.

C'est que le jeune homme est entier dans son beau costume avec sa belle cravate et la malle de soldat de son père qu'il traîne avec lui. Le visage constamment renfrogné, il va de déception en déception dans les rencontres qu'il fait. C'est une Amérique où les hommes ne cessent jamais d'humilier ceux qui sont plus faibles qu'eux. Le paroxysme de ce mouvement est dans l'hôtel où il est devenu liftier. Il s'est absenté quelques instants sans en prévenir le gérant. Ce dernier, aidé d'un chef, va renvoyer Karl non sans l'avoir copieusement engueulé.

Amerika marque un retour au noir et blanc dans le cinéma de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub et aussi à la grande fiction (amorcée par le court-métrage En rachâchant) après pas mal de films « lecture ». Mais c'est plus précisément un film en gris plus qu'en noir et blanc avec un travail phénoménal de William Lubtchanski. Ce gris est la marque d'un constat de tristesse, de désespoir et de critique, non pas que les Straub aient jamais été les plus grands optimistes du monde, mais ils filment ici le ventre sinistre de l'Amérique.

Le pauvre homme ne tombe que sur des gens qui veulent l'exploiter, tels ce Delamarche (Harun Farocki), vagabond français en peignoir et son comparse Robinson (Manfred Blank), soi-disant irlandais. Ils veulent en faire leur domestique dans les salons mondains de la Brunelda (Laura Betti). Cette dernière, du haut de sa terrasse car Karl ne cesse de faire ce trajet de bas en haut et inversement (l'ascenseur de l'hôtel), lui offrira d'observer le monde à conquérir avant de se retrouver jeté plus bas que terre à la rue.


Karl ne cesse de vouloir s'échapper et d'être accusé de tous les mots. Un policier qui ressemble à un comédien de splastick évoquant une production Keystone – hommage au cinéma burlesque muet – viendra enquiquiner Karl avant de la poursuivre dans la seule course poursuite chez les Straub (un rapide panoramique sur le droite). Pour Karl, s'échapper sera un voyage vers l'ouest, l'Oklahoma et le monde du spectacle « où tout le monde a sa place », un départ en train dans un travelling infini au bord d'un fleuve assoupi.
























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