Même
si elle avait tourné dans une petite dizaine de films avant, Les
Parapluies de Cherbourg est vraiment le premier film de Catherine
Deneuve. Mais on n'entend jamais sa vraie voix, pas plus que celles
des autres interprètes, tous sont doublés. Le film est en chanté,
comme le disait la publicité, et je ne sais pas comment s'est
produit le miracle de la musique de Michel Legrand et des paroles de
Jacques Demy, tout coule de manière aussi évidente et simple que la
pluie qui tombe sur le port et sur les parapluies qui accueillent le
spectateur.
Non
loin du port, Guy (Nino Castelnuovo), beau jeune homme de 20 ans
travaille dans un garage. Le boulot fini, ses collègues lui
demandent ce qu'il va faire. Il invite Geneviève (Catherine Deneuve)
au théâtre voir Carmen. Son collègue rétorque, en chantant bien
évidemment, qu'il ne supporte pas d'entendre tous ces gens chanter
pendant des heures. Cette exquise ironie correspond à l'insouciance
que vivent les jeunes gens en ce mois de novembre 1957. Guy enjambe
son vélo, file saluer sa tante Elise (Mireille Perrey) et s'empresse
de rejoindre Geneviève.
La
belle jeune femme blonde vit avec sa maman, madame Emery (Anne
Vernon) qui tient un magasin de parapluies qui s'appelle, tout
simplement, les parapluies de Cherbourg. Geneviève n'a que 17 ans et
maman la couve comme une enfant depuis qu'elle est veuve. Elle voit
d'un bien mauvais œil qu'elle fréquente un jeune homme. Peu
importe, elle le rejoint en cachette et après Carmen, ils iront au
dancing et ils s'embrasseront quand Geneviève se met à chanter en
larmes que « c'est peut-être le bonheur qui me rend triste ».
J'ai
toujours pensé que Les Parapluies de Cherbourg était le film
le plus triste du monde. La musique subtilement mélancolique de
cette chanson est sans cesse reprise entre des scènes plus légères
avec du jazz, un peu de pop, les passages se font sans transition
alternant les styles et les couleurs musicales. Ce qui donne non
seulement du pep's tout en laissant pantois, sans voix, secoué,
ébranlé devant l'inventivité des mélodies, les ruptures de rythme
et de tension. Tout cela ne serait rien sans la précision
dramaturgique du film.
Trois
parties composent le récit, « le départ » où Guy doit
partir faire l'armée (deux ans quand même) en Algérie. Les
Parapluies de Cherbourg sera l'un des tous premiers films à
évoquer la guerre, « l'absence » où les affaires de
madame Emery vont mal, où Geneviève est enceinte et enfin « le
retour » où Guy revient blessé et traumatisé à Cherbourg,
où il menace de sombrer dans l'alcool. L'épilogue a lieu la veille
de Noël 1963, bien des années après, ce n'est plus la pluie qui
tombe mais la neige.
Chaque
personnage passe par une panoplie de problèmes qu'il n'arrive pas à
résoudre. Guy et Geneviève voient leur amour condamner par la mère
de cette dernière. Et quand Guy est absent, elle aimerait que sa
fille rencontre Roland Cassard (Marc Michel). Lui n'est pas un pauvre
mécanicien comme Guy mais un riche diamantaire. L'apprêtée Madame
Emery, toujours à se recoiffer, à se pomponner, à subir le
qu'en-dira-t-on, pousse sa fille à se marier à Cassard, ce jeune
homme aux yeux si bleus et à la fine moustache, mais au tempérament
peu fougueux.
La
première partie, aux couleurs chatoyantes des papiers peints des
Emery ou brutes des murs chez Guy met en scène les deux amoureux
constamment ensemble mais souvent séparés par la rue, les rideaux,
les fenêtres, comme si le destin avait déjà choisi pour eux. Dans
la deuxième partie, Guy n’apparaît jamais et dans la troisième
partie, c'est Geneviève qui est absente. Les couleurs du début
laissent la place au noir et blanc de la neige et de la nuit, la
triste rengaine reprend et on pleure depuis plus de 50 ans au sort de
Guy et Geneviève et on continuera de pleurer encore et encore.
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