Une
pastille sur la mode sur Arte, une interview dans la revue Schnock et
le Prix Lumière à Lyon, Catherine Deneuve est partout en octobre.
Pour ma part, comme j'aime beaucoup Catherine Deneuve et j'apprécie
pas mal de ses films, je vais en regarder quelques uns. Commençons
avec Belle de Jour, 50 ans d'âge tout bientôt. Avant d'être
Belle de Jour, comme la nomme Madame Anaïs (Geneviève Page),
Catherine Deneuve s'appelle Séverine, jeune et jolie épouse modèle,
bien sage, bien polie, bien propre.
Avec
son mari Pierre (Jean Sorel), épousé un an plus tôt, elle se
promène en calèche. Le doux et insipide visage de l'époux
s'approche avec un grand sourire et sort « Veux-tu que je te
dise un secret, Séverine ? Je t'aime chaque jour davantage ».
Mais quand l'échange romantique et cucul-la-praline entre eux
commence à devenir plus piquant, qu'il lui reproche sa froideur et
qu'elle refuse de l'embrasser, le ton du film change tout à coup.
Pierre saisit Séverine avec l'aide des cochers, la fait attacher, la
fait déshabiller et la fait flageller sous les insultes.
Dans
un raccord dont Luis Buñuel a le secret, le visage extatique de
Séverine sous le fouet se transforme en celui d'une épouse pensive
« A quoi penses-tu », demande Pierre, « Je pensais
à toi » répond-elle, mais la rêverie fantasmée n'est pas
comme la réalité. Pierre porte un pyjama et ils s'apprêtent à
dormir dans deux lits séparés. Et là encore, comme dans son
fantasme masochiste, Séverine se refuse à Pierre, tout au moins
physiquement, car elle lui débite tout une panoplie de banalités
sur l'amour marital.
C'est
l'une des choses les plus fascinantes de Belle de Jour ces
dialogues entre les époux, puis entre Renée (Macha Méril) et
Husson (Michel Piccoli) quand ils sont à la montagne. Tous ces beaux
bourgeois discutent dans des formules amphigouriques qui les
déplacent vers un univers littéraire qui semble déconnecté de la
vraie vie. Jean-Claude Carrière explique souvent que les fantasmes
représentent la vraie vie de Séverine et ces séquences de
discussion sont irréalistes tant elles sont éloignées du
quotidien.
Cette
scène de chambre trouve son écho inversé avec la relation
amoureuse et physique que Séverine aura dans la deuxième partie de
Belle de Jour avec Marcel (Pierre Clementi), le loubard mal
élevé, dépenaillé et hirsute qu'elle rencontre chez Madame Anaïs.
Comme Pierre dans la calèche, Marcel sera habillé de noir à côté
de Séverine, elle en tenue rouge sang. Marcel remplace Pierre et le
supplante. Le beau sourire de Pierre est remplacé par les dents
amovibles de Marcel qu'il replace régulièrement dans sa mâchoire.
Avant
de découvrir et d'aimer Marcel, Séverine passe par un apprentissage
qui va la révéler à la sexualité. Elle passe des quartiers huppés
parisiens à la Cité Jean de Saumur (une rue imaginaire), au numéro
11 où Madame Anaïs tient cette maison de rendez-vous, comme elle
dit pudiquement. Un bordel familial où la patronne accepte que
Séverine ne travaille que de à 14h à 17h. D'où ce surnom.
Derrière ses lunettes noires, Séverine hésite à sonner puis ose
enfin et rencontre son futur lieu de travail.
Madame
Anaïs, cheveux courts, voix chaude, cigarette au coin des lèvres
fait visiter la pension. Elle offre à Séverine des cerises à l'eau
de vie. Puis présente ces collègues d'après-midi, les girondes
Charlotte (Françoise Fabian) et Mathilde (Maria Latour). Et la
petite bonne (Muni) qui, avec sa sempiternelle voix frêle, nettoie
les chambres après chaque client. Il ne faut pas oublier la fille de
la bonne, Catherine (Dominique Dandrieux) qui, après l'école,
montre son carnet de notes à sa gentille marraine, Madame Anaïs.
Voici
les clients du bordel, dans l'ordre d'apparition. D'abord Monsieur
Adolphe (Francis Blanche) qui montre bien la différence du ton et du
niveau linguistique des dialogues entre les scènes domestiques et
celles chez Madame Anaïs. Monsieur Adolphe parle « naturel »,
réaliste, et c'est lui qui comprend que Belle de Jour a besoin « de
la manière forte ». Le fantasme rêvé suivant (au milieu de
la Camargue) la compare à une soupe froide que Pierre n'arrive pas à
réchauffer. Puis, elle est affligée de tourments, Husson et Pierre
lui jettent de la boue sur sa tunique immaculée.
C'est
au tour du Professeur (François Maistre), adepte de la fessée de
rencontrer Belle de Jour, puis un Mongol (Iska Khan) muni d'une
étrange boîte qui dégoûte Charlotte comme Mathilde mais pas Belle
de Jour. C'est ensuite l'expérience du Duc (Georges Marchal), où
Belle de Jour rejoue le décès de la Duchesse, sans qu'on ne sache
vraiment si cela est un fantasme ou une rêverie, car Luis Buñuel
trouble les cartes avec les grelots des chevaux, les cloches des
vaches et les bruits de chats pour annoncer les scènes de fantasme. Et enfin, Marcel et son comparse Hyppolite (Francisco Rabal).
La
beauté de Belle de Jour tient dans ces confusions, dans ces
interversions, dans ces renversement entre les différents niveaux de
réalité. Le sale, la boue, la fange deviennent le noble, les corps
gros, abîmés, déformés sont bien plus passionnants que le
physique de jeune premier de Jean Sorel, les secrets inavoués
(Husson découvre Séverine au bordel) sont plus intéressants que
les confidences de guimauve. Mais surtout, parce que la vie de
Séverine est tristement banale, celle de Belle de Jour est
redoutablement romanesque.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire