Je
veux voir est probablement l'un des films de Catherine Deneuve le
moins connu des ses dix dernières années. Mais je suis convaincu
que ses 10051 spectateurs sont sortis de la projection ravis et
étonnés, comme moi, par ce film où l'actrice joue son propre rôle,
Catherine veut voir. Voir quoi ? Le Liban en ruine, le pays qui
se reconstruit après la guerre de 2006. Elle observe Beyrouth de la
fenêtre de son hôtel, de dos. Les deux réalisateurs sont là à
discuter sur les dangers du voyage, mais elle se tourne et répond
tout simplement « je veux voir ».
Elle
a un chauffeur, Rabih Mroué, un acteur libanais qui travaille
souvent avec Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, ce qui n'est pas
du goût de son garde du corps. Mais tout va bien se passer !
Elle demande poliment si ça ne le dérange pas qu'elle fume une
cigarette. Elle allume sa Fine et déclare qu'ici, tout le monde
fume. Ils ne savent pas trop quoi se dire. La caméra est placée à
l'extérieur de l'auto, sur les pare-brises se reflètent les
immeubles dévastés. Le trajet est coupé par des plans pris sur le
vif, des habitants déambulent, certains déblayent les ruines à la
main.
La
voiture s'arrête, Catherine et Rabih en sortent, font quelques pas
et là, soudain, sans qu'on ne le voit, quelqu'un vient frapper la
caméra qui tombe. « On ne peut pas filmer cet immeuble »
dit Joana devant le visage surpris de Catherine. Quelques rues plus
loin, ils refont la scène, même résultat, on frappe la caméra. La
fiction a du mal s'enclencher quand le réel surgit de nulle part. La
séquence est avortée mais la violence documentaire a pris le
dessus, Catherine s'y soumet plusieurs fois, près d'une route
peut-être minée, devant la frontière israélienne.
Le
voyage en voiture a un petit air de Kirostami avec ses vastes vallées
vertes. Elle découvre les banderoles du Hezbollah au bord des routes
ou sur les ponts. Ils s'arrêtent dans le village où est né Rabih.
Tout est dévasté. Il ne se souvient pas où se trouve la maison de
sa grand-mère. Il farfouille partout. Il lâche Catherine qui se
sent un peu perdue au milieu. Plus loin, Catherine, après s'être
assoupie, se fait prendre en photographie par des soldats de la
FINUL. Le duo de réalisateurs essaie désespérément de faire un
peu de fiction en poussant Catherine et Rabih à aller sur une route
interdite. Peine perdue.
Si
la tension est palpable, si l'émotion est discrète, Je veux voir
étonne aussi par un humour léger mêlé de poésie. Rabih se met
soudain à déclamer une réplique de Séverine dans Belle de Jour
puis la traduit en arabe. C'est un moment de pause avant de
revenir à Beyrouth. Catherine troque son pantalon et sa veste
marrons pour revêtir une robe de soirée. Elle est l'invitée de
marque de la réception de l'ambassadeur. Son regard final échangé
avec Rabih est chargé d'une force et d'une beauté ineffable. Seule
Catherine Deneuve en avait la puissance.
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