« L'enfant
est mort, il laisse la place à un homme. » Le rituel du
passage à l'âge adulte se produit au milieu de la forêt, dans les
montagnes de l'état de Washington. Tous les visages sont mâchurés
de boue, les fringues aussi, ça court dans tous les sens et la
caméra à l'épaule suit la petite troupe. Six enfants et le père,
Ben (Viggo Mortensen), tend à son fiston aîné un bout de foie d'un
chevreuil qu'ils viennent juste de tuer, tous ensemble, à Bo (George
MacKay). Et Bo croque un morceau de la viande. Le rituel fini, tous
vont se laver dans l'eau claire des torrents.
Cette
entrée en matière de Captain Fantastic laisse supposer que
Ben, super-héros pour ses enfants, et sa famille vivent comme des
sauvages, mais une fois débarbouillés, tout le monde rejoint la
maison, une sorte de yourte où chacun à sa tâche. Les deux plus
grandes filles dépiautent le chevreuil, les plus petits préparent
les légumes. Le soir, après manger, la famille autour du feu lit
des livres et par n'importe lesquels. C'est pas Martine au camping,
non c'est plutôt Les Frères Karamazov, de la philosophie. Et les
discussions sont du même tonneau, de haute tenue.
Les
premières minutes du film sont dédiées à la description ruthmée
mais minutieuse de ce mode de vie en forêt. On découvre d'abord les
prénoms des enfants. Bo s'appelle en vérité Bodivan. Il expliquera
plus tard que ses parents ont créé ce prénom pour qu'il soit
unique. Et les autres se prénomment Kielyr (Samantha Isler), Vespyr
(Annelise Basso), Rellian (Nicholas Hamilton), Zaja (Shree Crooks) et
Nai (Charlie Shotwell). Les voilà par ordre de naissance, des plus
grandes au plus petit, tous fringués comme bon leur semble, couleurs
bigarrées et tenues baba-cool.
Ce
mode de vie marginale consiste à apprendre à penser par eux-mêmes
(et le film nous en donnera plusieurs fois l'exemple dans ses scènes
à haute teneur comique), ils semblent avoir tout lu dans cette
Amérique que le père conspue au plus haut point, un peu comme la
famille de A bout de course de Sidney Lumet, mais sans être
recherché par la police, ou celle de The Wolfpack de Crystal
Moselle, mais transposé en plein air. Le père et les enfants font
également chaque jour des exercices physiques et de la méditation.
Jusqu'à
présent le point de vue est positif sur la communauté, ou la
famille. Ils descendent régulièrement dans la « civilisation »
pour vendre quelques objets. Et pour prendre des nouvelles de la
mère, Leslie, dont a bien vu qu'elle était absente. Un coup de fil
apprend que Leslie est morte, qu'elle s'est suicidée à l'hôpital.
La manière dont Ben l'annonce aux enfants laisse sans voix, il leur
parle comme à des adultes, et encore, on annonce rarement la mort
d'une mère à des adultes avec autant de distance et froideur.
La
nouvelle suivante est encore plus terrifiante, le père de Leslie
(Frank Langella) refuse que Ben vienne à l'enterrement. Qu'à cela
ne tienne, la famille embarque dans Steve, c'est le nom du car qui
leur sert de véhicule (décidément les prénoms sont un sujet en
soi), en bon anarchiste (ou quoi qu'il soit), Ben file donc au Texas,
tout un continent à traverser, du nord au sud. Les enfants
découvrent pour la première fois ce monde qui traîne des deux
côtés de l'autoroute, ces zones commerciales immondes, ces panneaux
publicitaires hideux et ces restaurants à la bouffe dégueulasse.
Ben
est le capitaine de ce road-movie aux allures de parcours initiatique
pour les enfants. Amour, rébellion, religion, découverte des
obèses, rencontre avec la famille, tout est l'occasion de notes, de
saynètes amusantes qui laissent petit à petit apparaître quelques
fractures chez les enfants. Des fractures parfois béantes. L'affiche
fait penser à un film de Wes Anderson, il en est très loin, le
titre ironise Captain America. Il faut aller voir l'épatant Captain
Fantastic ne serait-ce que pour voir une famille de hippies
chanter a cappella Sweet child o' mine de Guns 'n Roses.
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