Dans
la bande annonce du Grand sommeil, Humphrey Bogart est dans
une librairie pour acheter un bon bouquin. La libraire lui conseille
de lire The Big sleep, comme un gag sur l'enquête qu'il va mener
dans la film de Howard Hawks. L'une des légendes tenaces (et sans
aucun doute véridique) sur le film est de dire que le cinéaste
n'avait jamais compris le scénario. La bande annonce se focalise sur
les rapports entre son personnage, Philip Marlowe, et celui de Lauren
Bacall, tout jeune couple du cinéma hollywoodien rencontré un an
plus tôt sur le tournage du Port de l'angoisse. Warner Bros
décide de capitaliser sur Bogart et Bacall. Peu importe que Howard
Hawks n'ait rien compris au scénario de son film, il l'a
probablement dit, mais cela aussi ça devait être pour la publicité.
Mais surtout, il ne faut pas avoir sommeil pour regarder le film.
Je
n'avais pas revu Le Grand sommeil depuis 20 ans et ce qui m'a
frappé dans cette seconde vision est l'humour des dialogues et
répliques, et cela dès le début quand Marlowe pénètre dans la
demeure des Sternwood. Hawks prend bien soin de ne pas entrer
directement dans le vif du sujet, bien au contraire, une conversation
badine s'entame entre Marlowe et Carmen Sternwood (Martha Wickers),
où la jeune femme, vêtue d'une jupette, déploie une insolence et
une ironie face au détective, jusqu'à tenter de l'embrasser. Plus
tard, sa rencontre avec la sœur de Carmen ne se passera pas aussi
bien. Cette sœur est Vivian Rutledge (Lauren Bacall) que Marlowe
appellera pendant tout le film Mrs Rutledge, il ne dira jamais son
prénom. Plus que l'enquête qu'il doit mener, ce qui intéresse est
le récit de la conquête de Vivian par Marlowe. Entre eux, c'est une
screwball comedy, avec les autres personnages, un film noir.
Vivian
ne se laisse pas séduire par Marlowe. Leurs échanges sont vifs,
secs et sarcastiques, mais souvent très drôles. En revanche, le
détective privé passe son temps à rencontrer des femmes qui
semblent toutes disposées à se laisser séduire, comme Carmen. A
cette libraire (Dorothy Malone) qu'il interroge sur le voisin d'en
face, il va proposer se boire un verre de whisky et d'enlever ses
lunettes. A la chauffeuse de taxi (Joy Barlowe) qui prend en filature
un suspect, il offre un cigare et elle lui donne son numéro de
téléphone, quand il demande s'il peut l'appeler jour et nuit, elle
rétorque « euh, la nuit, c'est mieux, le jour je travaille. »
L'autre femme qui résiste est Agnes (Sonia Darrin), mais Marlowe est
allé dans sa librairie pour l'interroger, mais déguisé en intello,
pas étonnant qu'elle ne succombe pas au charme. Les hommes, en
revanche, deviennent tous des adversaires passant leur temps à
braquer leur flingues en face de lui
Le
Grand sommeil est une suite de séquences dialoguées, et avec
brio. Marlowe caresse régulièrement son oreille, il discute dans la
serre tropicale de Sternwood et en sort trempé de sueur, il s'amuse
à compter les revolvers qui lui arrivent dans les mains, il fait des
canulars téléphoniques avec Vivian après avoir appelé la police,
ils font croire que celui qu'ils ont au bout du fil est celui qui a
appelé. Le récit devient complexe tout simplement parce que le
nombre de personnages ne cesse d'augmenter et que Marlowe est, en
début de film, dans la même position que le spectateur : il ne
sait rien. Sauf qu'il est détective. Si nous n'arrivons pas à
monter les séquences bout à bout, chacune d'entre elles séparément
offre du plaisir. Marlowe lui, parvient à tout comprendre, tout en
donnant physiquement de sa personne. Au bout du compte, non seulement
il résout cette affaire (dont je n'ai absolument pas parlé) mais en
plus il séduit Vivian. C'est la magie du cinéma.
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