Ça
fait déjà presque deux semaines que j'ai regardé Les
Aventures de Rabbi Jacob et je
ne sais vraiment pas quoi en dire. Oh, non je ne l'ai pas regardé
pour la première fois, j'ai beaucoup vu le film à la télé ado, et
je l'ai regardé plusieurs fois en DVD depuis que j'ai le DVD édité
en 2004. Bref, j'aime regarder Les
Aventures de Rabbi Jacob mais
je ne sais pas quoi en dire. Je pourrais établir une hiérarchie des
gags qui composent le film, gags visuels, de situations, récurrents,
d'autant qu'avec le personnage de Victor Pivert « pivert, comme
un pivert » comme dit Louis de Funès en tapant de ses doigts
tout en grimace (gag tout à la fois visuel, de situation et
récurrent), il y a de quoi écrire. Pour une fois que de Funès
n'avait pas à partager la vedette avec Bourvil ou Montand (je ne
parle que des films de Gérard Oury), non seulement ses mimiques sont
plus rares mais plus précises.
Ce
qui m'a frappé le plus lors de cette dernière vision, c'est de me
rendre compte à quel point le récit oblitérait tout réalisme pour
créer un cosmogonie gaguesque assez inédite en France (Etaix ?
Tati ? Bertrand Blier ?) tout en parlant de choses que l'on
n'oserait plus évoquer de cette manière aujourd'hui. Le racisme
crasse et ordinaire de Pivert, cet insupportable histrion arrogant,
patron méprisant pour ses ouvriers (« une grève, vous avez
qu'à tout leur promettre et moi je ne tiendrai aucune promesse »
dit-il à son directeur d'usine), pour son employé Salomon (Henry
Guibet) qu'il renvoie après avoir tenté de le frapper d'un coup de
parapluie, et tout à la fois obséquieux pour les riches de ce
monde. Il prévoit de marier sa fille Antoinette (Miou Miou) ce
samedi avec le fils d'un général.
Un
patron raciste et stupide, certes, mais plongé dans une mélasse
informe où il rencontre un Arabe en exil et qu'on cherche à
assassiner. Peu importe les menaces, Slimane (Claude Giraud) se
promène tranquilou en plein Paris aux Deux Magots. Pas étonnant que
le colonel Farès (Renzo Montagnani), cet homme « un gros
huileux, frisotté, avec des petits yeux cruels, avec des lunettes
noires, une vraie tête d'assassin » soit l'une des attractions
majeures du film, bien plus intéressant que le personnage de
Slimane. La description de ces « mauricauds » comme le
dit Pivert est aussi excessive et donc vaine que celle des Juifs
hassidiques qui prennent l'avion en plein sabbat, se comportent comme
des stars de cinéma Rue des Rosiers et osent même parler aux
femmes. Mais dès qu'on dépasse ce stade, dès qu'on est acclimaté,
Les Aventures de Rabbi Jacob
est l'un des films français les plus drôles qui soit.
En
1973, quand le film sort, la France n'est pas seulement dans le
souvenir de l'affaire Ben Barka, elle vit sous Pompidou et sous la
férule du ministre de l'intérieur Raymond Marcellin qui voit dans
les maoïstes l'ennemi de la France (et il les interdira). Quand
Pivert reconnaît une citation de Mao dans la bouche des
révolutionnaires, ou quand il attribue une phrase du Che à Eddie
Merckx (superbe gag dans l'usine de chewing-gum français le
« Yankee », ironie), Gérard Oury s'amuse à brocarder
tout autant Godard et le Groupe Dziga Vertov, les textes
amphigouriques des Cahiers du cinéma que L'Aventure
c'est l'aventure de Claude
Lelouch, sorti un an plus tôt et qui cherchait à coller à l'humeur
du temps. L'actualité rattrapera le film qui sort en pleine guerre
du Kippour. Mais j'ai l'impression de croire que Les
Aventures de Rabbi Jacob est
une film politique, mais que penser de cette scène finale où Miou
Miou dit à Slimane « rendez-moi mon voile » ?
Je
serais bien embêté si je devais choisir un seul gag. « Mais
vous êtes juif Salomon ? » « Oui, et mon oncle
Jacob est rabbin » « ça fait rien, je vous garde quand
même ». Cette phrase agit comme une formule magique, comme
supercalifragilisticexpialidocious, comme Sésame ouvre-toi ou Follow
the yellow brick road. C'est une transformation qui emmène Victor
Pivert à devenir Rabbi Jacob, similaire au passage du noir et blanc
à la couleur dans Le Magicien
d'Oz, il entre dans un monde
inconnu et merveilleux, loin de son monde étriqué et
franchouillard. En devenant Rabbi Jacob, Pivert existe pour la
première fois. Les Aventures
de Rabbi Jacob devient alors
un pur film de science-fiction où il fuit son ancien univers
représenté par sa chère épouse Germaine (Suzy Delair), dentiste
de profession, monstre armée d'une fraise qui terrifie ce pauvre
Pivert à chaque coup de téléphone.
L'amusement
peut alors commencer. Les facéties se succèdent à un rythme
effréné et chaque spectateur aura son gag favori. Il apprend la
langue « la pintire », est-ce la panthère ou la
peinture ? Il rencontre des nouveaux amis « si on vous
pose une question, répondez par une autre question ». Il se
met à danser « Rabbi Jacob il va danser ». Et Jacob se
fait aider, par Slimane devenu Rabbi Seligmann (l'homme heureux en
allemand), avec son grand sourire et sa fine moustache. Mais les
monstres arrivent, tous ceux qui ne comprennent pas Pivert, Germaine
sa femme, Farès et ses sbires, le commissaire Andreani (Claude
Piéplu) et le futur beau-père (Jacques François). Le Merveilleux
s'arrête, le sortilège est rompu quand, au bout du film, Rabbi
Jacob le faux rencontre enfin Rabbi Jacob le vrai (Dalio). Toutes les
cartes ont été redistribuées, Pivert est meilleur qu'avant, c'est
l'utopie du cinéma, c'est très beau ainsi.
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