Tout
sur ma mère a toujours été mon film préféré de Pedro Almodovar,
je me rappelle très bien quand je l'ai découvert pour la toute
première fois en mai 1999, là où j'étais mais surtout ma réaction
à l'issue de la projection. Ce n'était pas mon premier Almodova,
j'ai commencé en 1992 avec Talons aiguilles, vu ses anciens films en
salle ou en vidéo et j'ai toujours regardé chaque nouveau film
depuis Tout sur ma mère sans jamais retrouver ce choc émotionnel,
au contraire certains de ses films récents m'ont tout simplement
dégoûté (une autre émotion peut-être).
All
about Eve de Joseph L. Mankiewicz, Opening night de John
Cassavetes, Un tramway nommé Désir de Tennesse Williams (la pièce,
pas le film de Mankiewicz). Les références triples ne sont pas
estompées, bien au contraire, elles sont totalement transparentes,
visibles et proclamées haut et fort, comme jamais il ne l'a fait.
Manuela (Cecilia Roth) et son fils Esteban (Eloy Azorin) regardent
All about Eve à la télévision (en version doublée en espagnol).
Elle est mère sans père, ils vivent ensemble dans une relation
fusionnelle.
Le
jour des 18 ans d'Esteban, c'est théâtre. J'ai toujours trouvé
très beau ces plans de Cecilia Rothe devant le visage géant de Huma
Rojo (Marisa Paredes), l'actrice principale de la pièce de Tennessee
Williams. L'affiche est filmée d'abord en plan large, puis, la
caméra s'approche de plus en plus près jusqu'à ce que tout ne
semble être plus que des pointillés. D'une certaine manière,
Manuela se fond dans la pièce qu'elle connaît par cœur, elle l'a
jouée jeune. Elle était Stella quand Huma Rojo joue Blanche.
La
suite est ainsi Opening night. Esteban a assisté à la pièce avec
sa mère. Il attend à la sortie des artistes Huma pour un
autographe. Comme dans le film de Cassavetes, la vedette part dans sa
voiture et le jeune homme qui la suit meurt dans un accident de
voiture sous une pluie battante. Il est mort. Manuela travaille
chaque jour avec la mort, sa profession est de former les médecins
pour accompagner ceux qui pourraient donner un organe. C'est
maintenant au tour de Manuela d'accepter que le cœur d'Esteban soit
donné à un malade.
De
Madrid à Barcelone, il y a un tunnel, sorte de métaphore pour le
changement de vie radical qui s'opère dans la vie de Manuela. Elle
retourne dans sa ville natale, elle renoue avec ses anciens amis.
Elle retrouve sur un lieu de passe son vieil ami Agrado (Antonia San
Juan), prostituée devenue (presque) une femme. Face à la blonde
fade qu'est Manuela, la (fausse) rouquine Agrado est une explosion de
vie. Agrado est un peu exubérante, de cette exubérance que Pedro
Almodovar sait si bien dessiner.
Elle
fait croire qu'elle est un peu bébête mais c'est elle qui va
remettre Manuela sur les rails. Première étape, aller voir Rosa
(Penelope Cruz) une bonne sœur qui peut lui trouver du travail, chez
sa mère snob (Rosa Maria Sarda). Rosa comprend qu'elle est enceinte,
ce qui pour une religieuse la fout mal. Mais elle ne dit pas encore
de qui. Le spectateur a compris que c'est de Lola, alias Esteban, le
père du fils de Manuela. Lola, soit Esteban, sera celle dont tout le
monde parle dans le film sans qu'on ne le voit ni qu'on sache où il
est.
La
tournée du Tramway se pose maintenant à Barcelone et Manuela va
voir tous les soirs la pièce. Huma est en couple avec Nina (Candela
Peña), interprète de Stella dans la pièce, jalouse comme un pou,
héroïnomane. Là revient le All about Eve quand Manuela, à
force de présence, prend la place de Nina sur scène avant que
Agrado ne devienne l'assistante d'Huma. Et l'ombre d'Esteban, le
fils, plane sur Huma qui se rappelle très bien ce gamin venu frapper
à la vitre de sa voiture pour un autographe.
Le
film organise un ballet avec ces six femmes si différentes qui
tournent autour des ces Esteban invisibles (le père, le fils et le
futur nouveau né de Rosa). Elles se complètent, elles se disputent,
elles cachent leurs secrets. Le rouge est la couleur forte de Tout
sur ma mère, présente partout dans les tenues, dans les
cheveux, dans les cœurs, dans les décors, le lien du sang établi
entre elles. Comme je disais plus haut, Tout sur ma mère
aboutit à un équilibre entre les partitions des six actrices dans
un aller retour entre la comédie pure et le drame intense.
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