Dès
que la grande sœur (Maureen O'Hara) appelle son petit frère (Roddy
McDowall) d'un bout à l'autre de la vallée, une évidence
s'impose : Qu'elle était verte ma vallée est une
comédie musicale. Il faut l'entendre fredonner « Huw »,
le prénom du garçonnet qui répond sur le même ton « Angharad ».
De loin en loin, ils sont sur sur le même accord. Dans un écho
puissant, les mineurs qui sortent du travail en descendant l'unique
rue du village pour rejoindre leur maison, entonnent un chant joyeux.
Cinq
frères plus âgés sortent de la mine avec leur père Morgan (Donald
Crisp). Dans une chorégraphie parfaite, ils remettent leur salaire
dans le tablier de leur mère Beth (Sara Allgood). On y croit à
cette comédie musicale, John Ford poursuit de plus belle avec encore
trois chansons pour le mariage du fils aîné des Morgan, Ivor qui
épouse une femme d'un autre village mais qui s'installe à côté.
Un mariage dans la petite église qui permet de rencontrer le nouveau
pasteur, Monsieur Gruffyd (Walter Pigeon).
Ainsi
il ne faut pas plus d'un quart d'heure pour présenter tous les
personnages principaux du film, montrer les attractions amoureuses de
Angharad pour ce jeune pasteur fraîchement installé dans ce petit
coin du Pays de Galles, il semble apporter un peut de fraîcheur. Et
la voix off de Huw adulte, qu'on ne verra jamais adulte, mais
uniquement enfant sur plusieurs années, narrateur omniscient de tout
ce qu'il veut nous montrer de ses souvenirs. C'est son regard
d'enfant qui tricote le récit, pas étonnant qu'il soit enchanteur.
L'enchantement
est de courte durée, un quart d'heure, parce que la vie d'une
famille de mineurs de l'ère de fin de règne de la Reine Victoria
est tout sauf enchanteur. C'est un principe similaire de réalisme à
celui des Raisins de la colère qui opère ici, on entre dans le
foyer des Morgan pour ne plus en sortir, on mange avec eux (en
silence, avec le père qui découpe l'agneau et le donne à ses
fils), on travaille avec eux (dans la mine), on va à l'église avec
eux (où un diacre s'oppose de toutes ses forces au progrès).
Rien
de neuf dans ce procédé, mais il faut imaginer que la famille
Morgan fait tout pour que l'enchantement imaginé par le petit Huw
perdure. Les épreuves vont s'abattre sur la famille, les une après
les autres, aussi dévastatrices que possible pour l'unité
familiale. La première est les bas salaires. En ce période, la
patron de la mine, Evans (qu'on ne verra qu'une seule fois pour
obliger Morgan à donner sa fille en mariage à son héritier) veut
économiser sur les salaires déjà maigres. Ou employer des ouvriers
qui réclament encore moins d'argent.
Dans
cette grande grève qui dure près de six mois, John Ford pointe le
seul souvenir de Huw, sa visite avec sa mère aux grévistes. Elle
vient demander qu'on cesse d'ostraciser son mari. Mais sur le retour,
elle et Huw glissent dans l'eau gelée. Leurs jambes est coupées.
Huw va rester allongé dans son petit lit des mois durant. La porte
d'évasion dans son confinement sera la lecture, apportée par le
pasteur. Ce sera M. Gruffyd, dans un champ de jonquilles, qui aidera
Huw à marcher à nouveau. Une double libération, les livres et la
marche.
Il
faudra marcher au jeune Huw pour aller à l'école. Ce sont les
passages les plus douloureux pour lui, l'humiliation d'un prof cruel
(Morton Lowry) qui se moque de ses origines dès son arrivée. Dans
cette monarchie, on doit rester à sa place. C'est ce que fait le
père Morgan et ce que refusent les frères aînés, le pasteur
etAngharad. Enfin, ils pensent pouvoir s'y opposer, là encore ce
sont les mêmes forces que celles des Raisins de la colère à
l’œuvre : l'argent qui corrompt les hommes et les coutumes
qui les rendent méchants.
Il
y a un statisme inédit dans le jeu des acteurs, un hiératisme où
chacun déclame ses dialogues avec un ton solennel dans des poses
forcées, ce sont des images pieuses. Tout cela est ébranlé par des
éléments perturbateurs, deux oiseaux à la fenêtre quand Huw est
cloîtré, le voile de Angharad qui vit sa propre vie le jour de son
mariage arrangé. Chaque fois, c'est l'appel de la liberté, c'est ce
même élan qui pousse les grands frères à quitter le village, à
partir dans les quatre coins du monde pour vivre une autre vie,
quitte à abandonner leur père et mère. Huw a le choix entre deux
destins, partir ou devenir par atavisme mineur.
Le
film compte peu d'humour. La punition du professeur de Huw, à la
grande joie des élèves, par deux amis des Morgan est le moment le
plus cocasse. Deux Gallois pur souche, amateurs d'alcool et férus de
coups de poing dans la tronche. Cyfatha (Barry Fitzgerald) et Dia
Bando (Rhys Williams) sont deux personnages typiquement fordiens. Dia
Bando aide aussi Huw à sauver son père, victime d'un accident au
fond de la mine dans le finale d'une infinie tendresse. Huw est l'un
des plus beaux personnages d'enfant du cinéma.
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