samedi 25 avril 2020

Qu'elle était verte ma vallée (John Ford, 1941)

Dès que la grande sœur (Maureen O'Hara) appelle son petit frère (Roddy McDowall) d'un bout à l'autre de la vallée, une évidence s'impose : Qu'elle était verte ma vallée est une comédie musicale. Il faut l'entendre fredonner « Huw », le prénom du garçonnet qui répond sur le même ton « Angharad ». De loin en loin, ils sont sur sur le même accord. Dans un écho puissant, les mineurs qui sortent du travail en descendant l'unique rue du village pour rejoindre leur maison, entonnent un chant joyeux.

Cinq frères plus âgés sortent de la mine avec leur père Morgan (Donald Crisp). Dans une chorégraphie parfaite, ils remettent leur salaire dans le tablier de leur mère Beth (Sara Allgood). On y croit à cette comédie musicale, John Ford poursuit de plus belle avec encore trois chansons pour le mariage du fils aîné des Morgan, Ivor qui épouse une femme d'un autre village mais qui s'installe à côté. Un mariage dans la petite église qui permet de rencontrer le nouveau pasteur, Monsieur Gruffyd (Walter Pigeon).

Ainsi il ne faut pas plus d'un quart d'heure pour présenter tous les personnages principaux du film, montrer les attractions amoureuses de Angharad pour ce jeune pasteur fraîchement installé dans ce petit coin du Pays de Galles, il semble apporter un peut de fraîcheur. Et la voix off de Huw adulte, qu'on ne verra jamais adulte, mais uniquement enfant sur plusieurs années, narrateur omniscient de tout ce qu'il veut nous montrer de ses souvenirs. C'est son regard d'enfant qui tricote le récit, pas étonnant qu'il soit enchanteur.

L'enchantement est de courte durée, un quart d'heure, parce que la vie d'une famille de mineurs de l'ère de fin de règne de la Reine Victoria est tout sauf enchanteur. C'est un principe similaire de réalisme à celui des Raisins de la colère qui opère ici, on entre dans le foyer des Morgan pour ne plus en sortir, on mange avec eux (en silence, avec le père qui découpe l'agneau et le donne à ses fils), on travaille avec eux (dans la mine), on va à l'église avec eux (où un diacre s'oppose de toutes ses forces au progrès).

Rien de neuf dans ce procédé, mais il faut imaginer que la famille Morgan fait tout pour que l'enchantement imaginé par le petit Huw perdure. Les épreuves vont s'abattre sur la famille, les une après les autres, aussi dévastatrices que possible pour l'unité familiale. La première est les bas salaires. En ce période, la patron de la mine, Evans (qu'on ne verra qu'une seule fois pour obliger Morgan à donner sa fille en mariage à son héritier) veut économiser sur les salaires déjà maigres. Ou employer des ouvriers qui réclament encore moins d'argent.

Dans cette grande grève qui dure près de six mois, John Ford pointe le seul souvenir de Huw, sa visite avec sa mère aux grévistes. Elle vient demander qu'on cesse d'ostraciser son mari. Mais sur le retour, elle et Huw glissent dans l'eau gelée. Leurs jambes est coupées. Huw va rester allongé dans son petit lit des mois durant. La porte d'évasion dans son confinement sera la lecture, apportée par le pasteur. Ce sera M. Gruffyd, dans un champ de jonquilles, qui aidera Huw à marcher à nouveau. Une double libération, les livres et la marche.

Il faudra marcher au jeune Huw pour aller à l'école. Ce sont les passages les plus douloureux pour lui, l'humiliation d'un prof cruel (Morton Lowry) qui se moque de ses origines dès son arrivée. Dans cette monarchie, on doit rester à sa place. C'est ce que fait le père Morgan et ce que refusent les frères aînés, le pasteur etAngharad. Enfin, ils pensent pouvoir s'y opposer, là encore ce sont les mêmes forces que celles des Raisins de la colère à l’œuvre : l'argent qui corrompt les hommes et les coutumes qui les rendent méchants.

Il y a un statisme inédit dans le jeu des acteurs, un hiératisme où chacun déclame ses dialogues avec un ton solennel dans des poses forcées, ce sont des images pieuses. Tout cela est ébranlé par des éléments perturbateurs, deux oiseaux à la fenêtre quand Huw est cloîtré, le voile de Angharad qui vit sa propre vie le jour de son mariage arrangé. Chaque fois, c'est l'appel de la liberté, c'est ce même élan qui pousse les grands frères à quitter le village, à partir dans les quatre coins du monde pour vivre une autre vie, quitte à abandonner leur père et mère. Huw a le choix entre deux destins, partir ou devenir par atavisme mineur.


Le film compte peu d'humour. La punition du professeur de Huw, à la grande joie des élèves, par deux amis des Morgan est le moment le plus cocasse. Deux Gallois pur souche, amateurs d'alcool et férus de coups de poing dans la tronche. Cyfatha (Barry Fitzgerald) et Dia Bando (Rhys Williams) sont deux personnages typiquement fordiens. Dia Bando aide aussi Huw à sauver son père, victime d'un accident au fond de la mine dans le finale d'une infinie tendresse. Huw est l'un des plus beaux personnages d'enfant du cinéma.






































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