lundi 6 avril 2020

Seul au monde (Robert Zemeckis, 2000)

Parfois les images des films s'entrechoquent. Le premier plan de Seul au monde avec ce croisement de routes et ses ombres de poteaux électriques font penser à celui des Raisins de la colère, cette fois c'est au Texas et c'est une camionnette de FedEx (bonjour le placement commercial pendant tout le film, la compagnie de transport de colis et plus tard la marque de ballons Wilson) qui tourne à droite pour aller livrer un colis.

On a un peu l'impression de voir dans les premières scènes une apologie de l'ultra libéralisme. Regardez comme une entreprise privée marche tellement mieux que la Poste publique dit en se moquant Chuck (Tom Hanks) à ses employés moscovites qu'il forme sur place devant le Kremlin. Il les motive à mort pour aller vite. Aller vite et parler à toute vitesse, telle est le mode de vie de Chuck. Mais c'est surtout un homme très entouré.

Entouré par ses employés de FedEx, entouré par ses collègues dans l'avion qui l'emmène aux USA, entouré de sa famille lors du réveillon de Noël. Il passe d'un décor à un autre sans arrêter, sans prendre le temps par exemple de faire soigner cette dent qui le titille. Il ne prend son temps que pour sa fiancée Kelly (Helen Hunt) mais c'est de courte durée. C'est justement ce soir de Noël que Chuck veut lui demander sa main en mariage.

Mais encore une fois, parce qu'il va trop vite, il accepte de retourner au turbin mais reste de bonne humeur. Il admire la montre gousset offerte par Kelly, ornée de sa photo. Il se déchausse, vient plaisanter avec les pilotes de l'avion. On lui demande de sa taire parce que l'avion subit des problèmes graves. Les pilotes ont perdu le contact avec la tour de contrôle, celle de Tahiti. La catastrophe approche.

En quelques minutes seulement, Robert Zemeckis met en scène cet accident d'avion au milieu de l'océan pacifique avec une rare maestria. Sa solution est simple : ne jamais sortit du regard subjectif de Chuck, filmer toute son angoisse dans cette optique. Pas de plan extérieurs de l'orage qui s'abat sur l'avion, uniquement observer ses réactions, comment il s'accroche, comment il voit l'un des copilotes tomber et comment il ne pense qu'à une chose ; récupérer ce gousset.

La mer est déchaînée, il manque de se noyer, il monte sur un canot gonflable. La suite on la connaît, après un certain temps, il s'échoue sur une plage d'un îlot désert. Quelques colis de FedEx échouent également autour de lui. Il ne les ouvre pas tout de suite, il se dit sans doute qu'il va vite être retrouvé. Au bout de quelques jours, il les ouvre, VHS, une robe, des patins à glace, chaque objet servira à survivre au milieu de nulle part.

Il passe donc d'une vie rapide, d'une vie très entourée à la solitude totale où le temps n'a plus aucune prise sur lui. Il a faim. Il apprend à ouvrir les noix de coco. Car il ne savait rien faire. Il apprend à pêcher. Mais le crabe cru, c'est pas bon. Il apprend à faire du feu, mais ses mains se couvrent d'ampoules et de plaie. Le temps est correct mais les orages sont légion. Il s'abrite dans une grotte avec le ballon Wilson avec qui il discute après lui avoir dessiner un visage avec son sang.

La vie primitive, bien loin de celle de Robinson (« tu ne l'avais pas raconté dans ton livre » dit-il en hurlant) se constitue petit à petit, elle est marquée par la décoration de la grotte par des peintures rupestres. Il manque terriblement de talent. On repère un deuxième portrait de Kelly qui explique que beaucoup d'années ont passé. Il est devenu un excellent pécheur. Son aspect a aussi changé. Le tournage a eu lieu en deux temps, le temps que barbe et cheveux poussent.

Ce qui est admirable dans toute cette heure sur l'île est l'absence de musique. Robert Zemeckis s'en passe avec bonheur, il n'a pas besoin d'accentuer les troubles, la peur, la solitude par de la musique. Les sons de la nature servent à ça (noix de coco qui tombent, orage, pluie, ressac des vagues). Le suspense est aussi présent : la fabrication du feu, la douleur de sa dent, la tentative de s'échapper qui se solde par un échec cuisant.


On est à 90 minutes de film quand Chuck parvient enfin à s'échapper de l'île sur un radeau longuement construit. La musique revient, hélas. Une mélodie sirupeuse. Puis, vient l'errance, encore de la musique. Pour finir sur deux fins mièvres : les retrouvailles avec Kelly et la livraison du dernier colis FedEx autour de ce croisement qui ouvrait le film. Bref, il faudrait regarder que ces 90 minutes et arrêter le film.
































Aucun commentaire: