Après
deux décennies où les hommes ont eu les meilleurs rôles, les
meilleures répliques et les meilleures situations, les années 1980
permettent à Jean-Pierre Mocky de donner aux actrices des partitions
bien plus élaborées qu'auparavant : Marie-Josée Nat (Litan),
sa compagne Patricia Barzyk, Jacqueline Maillan (Y-a-t-il un Français dans la salle, Les Saisons du plaisir), Pauline Lafont
(Le Pactole), Catherine Deneuve (Agent trouble), Carole
Laure (A mort l'arbitre). L'idée est chaque fois d'offrir un
rôle à contre-emploi aux actrices. Mais celui qui a été le plus
étonnant et le plus radical est celui de Jeanne Moreau dans Le
Miraculé.
C'était
un peu une période creuse pour Jeanne Moreau, ça arrive parfois,
elle était quelques mois plus tôt le tenancière du bar qui servait
d'unique décor au très sophistiqué film de Michel Deville Le
Paltoquet (irregardable aujourd'hui). Dans Le Miraculé,
attifée comme un sac à patates, elle est Sabine dite « Le
Major », une religieuse hors couvent, donc hors des
conventions. Son passé ressurgit au fil des dialogues, puis dans une
scène à Lourdes, La Major a probablement été une prostituée dans
une vie antérieure. Surtout, surtout, elle passe son temps à
causer, une bavarde impénitente, et elle chante aussi des morceaux
religieux à tout bout de champ.
Jean-Pierre
Mocky s'était déjà attaqué avec bonheur et délices à la
religion 20 ans auparavant dans Un drôle de paroissien. Le
Miraculé arbore la religion sous plusieurs angles notamment
celui des ressources pécuniaires, le nœud du problème. Dès la
séquence d'ouverture, on vend des messes (67 francs) pour les
particuliers. Effectivement, il sera beaucoup question d'argent avec
cette famille de beaufs qui achète tout un tas de bibelots hors de
prix dans les boutiques de Lourdes, des vierges en plastic, des
lampes, des bonbonnes d'eau bénite qui serviront à mettre de la
gnôle. Cette famille sans nom qui apparaît tout au long du film est
vaguement le chœur antique de cette comédie.
L'argent
est la passion de Papu (Jean Poiret), sorte de cloche peu ragoutant,
il traîne sous les pontes avec un ami (Jean Abeillé) et truande
d'autres cloches au jeu du bonneteau. S'il connaît le Major, c'est
parce qu'elle l'héberge dans le centre d'accueil qu'elle gère. Elle
tente de le remettre dans le droit chemin. L'enthousiasme constant du
Major s'entrechoque avec le cynisme de Papu. Croûte purulente sur le
visage, queue de cheval, chemise pas propre, Papu est l'antithèse de
la religieuse qui va prendre soin de lui malgré lui quand il est
victime d'un accident. Il aurait perdu l'usage de ses jambes.
Arnaque
à l'assurance, pourtant le Major ne voit rien, refuse de voir
vraisemblablement, toujours conversant avec le Seigneur dans des
apartés comiques et ridicules. Elle va proposer à Papu d'aller à
Lourdes, elle espère un miracle. Mais en attendant le voyage, la
compagnie d'assurance dépêche l'un de ses agents pour confondre
l'escroc. C'est à Roland Blanche qu'est dévolu ce rôle d'agent pas
franchement adroit de tendre des pièges à Papu pour qu'il se lève
de son fauteuil et soit pris en défaut. Mais Papu non seulement
parvient à ne jamais se lever mais réussit à se débarrasser de
cet encombrant personnage.
C'est
alors qu'entre en scène l'une des compositions les plus amusants de
Michel Serrault. Il est le patron de la compagnie d'assurance. C'est
un personnage burlesque inspiré de Harpo Marx puisqu'il ne parle
jamais. Ronald Fox Terrier est son nom. Muet mais pas sourd, il
s'exprime par borborygmes, par des petits sons désopilants, par des
mimiques et des grimaces quand il cause à son épouse (Sylvie Joly)
pas en reste comme dans cette délirante scène où ils se
téléphonent et chacun d'eux font des bruits d'animaux comme dans un
langage nouveau et secret qu'ils auraient établi pour se comprendre.
Le
voyage pour Lourdes se fait en train. Jean-Pierre Mocky ajoute à ce
trio initial d'autres personnages truculents. Angelica (Sophie Moyse)
une gitane qui voyage sans billet, elle s'incruste dans le
compartiment de Papu et comprend rapidement l'entourloupe. Elle
réclame une part de la prime ou elle le dénonce à Ronald. On
croise l'abbé Humus (Marc Maury) bel homme que Sabine drague
éhontément (il devient pivoine dans ces cas-là) et qui se trouve
être tout à fait au goût de l’évêque de Lourdes (Jean
Rougerie) dans des échanges de répliques au double sens savoureux,
là Mocky cause de la sexualité des curés et des religieuses avec
ironie.
Dernier
personnage important qui va encore plus semer la pagaille et ajouter
de nombreux quiproquos, celui d'Hervé Pauchon portant une barbe
(postiche). Pauchon est l'attaché de presse de l'église de Lourdes
et verrait d'un très bon œil un miracle se dérouler dans la
grotte. Pourquoi ? Parce que les croyants manquent et que si les
croyants manquent, l'argent pour l'église manque. CQFD. Les 20
dernières minutes du Miraculé sont les plus acerbes mais
aussi les plus drôles dans ces courses poursuites en fauteuils
roulants, dans une partie de cache cache où l'hypocrisie règne
partout, dans un parcours en forme vaudeville léger et comique.
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