Il
faut moins de cinq minutes à Ernst Lubitsch pour présenter tous les
personnages de The Shop around
the corner, pour donner le
détail qui tue sur chacun d'eux, pour mettre en avant le trait de
caractère majeur des ces employés de la boutique dirigée par M.
Matuschek (Frank Morgan). Bien entendu, cela s'appelle du génie, la
Lubitsch's touch comme on dit, mais la maîtrise de la mise en scène
est si impressionnante qu'elle coule de source, c'est-à-dire qu'elle
est invisible tellement le spectateur est happé dès ces cinq
premières minutes par le récit. Alors même qu'Ernst Lubitsch ne
raconte rien.
Premier
à apparaître, le plus ancien employé Pirovitch (Felix Bressart),
arrivé avant ses collègues non pas par fayotage ou
professionnalisme mais parce que cela lui permet de quitter son
foyer, son épouse et ses filles dont il semble chaque fois las de
devoir s'occuper. D'aileurs, Pirovitch refuse systématiquement les
responsabilités, grimpant un escalier dès que Matuschek demande un
avis aux employés de la boutique et cet escalier rappelle
invariablement celui au début de La
Huitième femme de Barbe-bleue où
le récit commençait dans une boutique mais ne s'intéressait pas à
ceux qui tenaient ce magasin.
Au
contraire, The Shop around the
corner s'emploie à ne pas
quitter ce magasin de Budapest (où le film se déroule) pendant
toute la première moitié, gageure pour le cinéaste de ne pas faire
du théâtre filmé ni de lasser avec des anecdotes de boutiquier.
Continuons avec le personnel, Pirovitch est rejoint successivement
par l'obséquieux Vadas (Joseph Schildkraut), une vraie limace avec
toujours un sourire de faux-cul, il est toujours d'accord avec tout
le monde, on saura vite qu'il cache bien son jeu. Arrivent ensuite la
discrète caissière Ilona (Inez Courtney) et la coquette vendeuse
Flora (Sara Haden), personnages un peu secondaires mais c'est
logiquement pour ne pas faire d'ombre quand Margaret Sullavan
débarque dans le film.
On
continue avec James Stewart, l'acteur fétiche de Frank Capra vient
ici incarner la bonté-même, Alfred Kralik a toujours du bon sens,
sait toujours comment répondre à ses collègues et son patron mais
il a apparemment un problème avec les femmes. Pour l'instant, il
entretient une correspondance avec une jeune femme. Ils s'écrivent
dans une boite postale en gardant l'anonymat. Mais chaque spectateur
a bien compris que Margaret Sullavan est cette jeune femme à qui il
écrit. Suspense inutile. Dès que cette Klara Novak entre dans la
boutique non pas comme cliente contrairement à ce que Kralik et
Matuschek pensent mais pour avoir un boulot.
Par
un miracle que seul les personnages de comédie peuvent créer, Klara
parvient à vendre à une dame une boîte à cigarettes qui entonne
une musique quand on l'ouvre. Matuschek est persuadé de son succès,
Vadas est d'accord avec son patron, Kralik prédit un échec complet,
et Pirovitch monte l'escalier de service pour ne pas donner son avis.
Klara est ainsi embauchée mais la boite à cigarettes musicale ne
sera pas vendue. Quand arrive Noël, elle est déjà soldée. A vrai
dire, Ernst Lubitsch fait confiance au spectateur qui n'ignore pas
que Klara et Kralik (les noms sont presque les mêmes) malgré leurs
différents initiaux vont finirent pas s'aimer follement en dépit
des nombreux et délicieux quiproquos qui émaillent le film.
J'avais
volontairement omis de parler du deuxième employé à arriver dans
ces premières minutes du film. Pepi Katona (William Tracy) est le
garçon à tout faire, le coursier a priori insignifiant mais dont le
personnage va prendre une importance grandissante au fil du récit
quand on se détache de l'histoire d'amour principal. Ce deuxième
récit lie Pepi à son patron dans un rapport intime de père à fils
mais il débute de patron à employé. Plus précisément d'employé
à épouse de patron, car Madame Matuschek est sans cesse présente
dans ce deuxième récit bien qu'on ne la voit jamais. En revanche,
elle a toujours besoin du petit Pepi pour se faire livrer plein de
choses et parfois pour prendre de l'argent dans la caisse.
Le
ton de Pepi Katona est celui du comique de boulevard dans cette
première partie entièrement dans la boutique. Son évolution se
fait au gré des infidélités de Madame Matuschek, Monsieur accuse
d'ailleurs Kralik d'être l'amant de son épouse, d'ailleurs il est
le seul à avoir été invité chez eux. Pepi change totalement de
personnages et prend une telle assurance que ce deuxième récit se
transforme en comédie politique, un rêve où les employés
deviennent les patrons, plus exactement le fils (adopté) du patron.
Alors, après maints quiproquos et autant d'explications, tous les
rapports entre chacun repart sur de nouvelles bases, fini de rigoler,
le film peut s'arrêter.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire