mardi 20 août 2019

The Shop around the corner (Ernst Lubitsch, 1940)

Il faut moins de cinq minutes à Ernst Lubitsch pour présenter tous les personnages de The Shop around the corner, pour donner le détail qui tue sur chacun d'eux, pour mettre en avant le trait de caractère majeur des ces employés de la boutique dirigée par M. Matuschek (Frank Morgan). Bien entendu, cela s'appelle du génie, la Lubitsch's touch comme on dit, mais la maîtrise de la mise en scène est si impressionnante qu'elle coule de source, c'est-à-dire qu'elle est invisible tellement le spectateur est happé dès ces cinq premières minutes par le récit. Alors même qu'Ernst Lubitsch ne raconte rien.

Premier à apparaître, le plus ancien employé Pirovitch (Felix Bressart), arrivé avant ses collègues non pas par fayotage ou professionnalisme mais parce que cela lui permet de quitter son foyer, son épouse et ses filles dont il semble chaque fois las de devoir s'occuper. D'aileurs, Pirovitch refuse systématiquement les responsabilités, grimpant un escalier dès que Matuschek demande un avis aux employés de la boutique et cet escalier rappelle invariablement celui au début de La Huitième femme de Barbe-bleue où le récit commençait dans une boutique mais ne s'intéressait pas à ceux qui tenaient ce magasin.

Au contraire, The Shop around the corner s'emploie à ne pas quitter ce magasin de Budapest (où le film se déroule) pendant toute la première moitié, gageure pour le cinéaste de ne pas faire du théâtre filmé ni de lasser avec des anecdotes de boutiquier. Continuons avec le personnel, Pirovitch est rejoint successivement par l'obséquieux Vadas (Joseph Schildkraut), une vraie limace avec toujours un sourire de faux-cul, il est toujours d'accord avec tout le monde, on saura vite qu'il cache bien son jeu. Arrivent ensuite la discrète caissière Ilona (Inez Courtney) et la coquette vendeuse Flora (Sara Haden), personnages un peu secondaires mais c'est logiquement pour ne pas faire d'ombre quand Margaret Sullavan débarque dans le film.

On continue avec James Stewart, l'acteur fétiche de Frank Capra vient ici incarner la bonté-même, Alfred Kralik a toujours du bon sens, sait toujours comment répondre à ses collègues et son patron mais il a apparemment un problème avec les femmes. Pour l'instant, il entretient une correspondance avec une jeune femme. Ils s'écrivent dans une boite postale en gardant l'anonymat. Mais chaque spectateur a bien compris que Margaret Sullavan est cette jeune femme à qui il écrit. Suspense inutile. Dès que cette Klara Novak entre dans la boutique non pas comme cliente contrairement à ce que Kralik et Matuschek pensent mais pour avoir un boulot.

Par un miracle que seul les personnages de comédie peuvent créer, Klara parvient à vendre à une dame une boîte à cigarettes qui entonne une musique quand on l'ouvre. Matuschek est persuadé de son succès, Vadas est d'accord avec son patron, Kralik prédit un échec complet, et Pirovitch monte l'escalier de service pour ne pas donner son avis. Klara est ainsi embauchée mais la boite à cigarettes musicale ne sera pas vendue. Quand arrive Noël, elle est déjà soldée. A vrai dire, Ernst Lubitsch fait confiance au spectateur qui n'ignore pas que Klara et Kralik (les noms sont presque les mêmes) malgré leurs différents initiaux vont finirent pas s'aimer follement en dépit des nombreux et délicieux quiproquos qui émaillent le film.

J'avais volontairement omis de parler du deuxième employé à arriver dans ces premières minutes du film. Pepi Katona (William Tracy) est le garçon à tout faire, le coursier a priori insignifiant mais dont le personnage va prendre une importance grandissante au fil du récit quand on se détache de l'histoire d'amour principal. Ce deuxième récit lie Pepi à son patron dans un rapport intime de père à fils mais il débute de patron à employé. Plus précisément d'employé à épouse de patron, car Madame Matuschek est sans cesse présente dans ce deuxième récit bien qu'on ne la voit jamais. En revanche, elle a toujours besoin du petit Pepi pour se faire livrer plein de choses et parfois pour prendre de l'argent dans la caisse.


Le ton de Pepi Katona est celui du comique de boulevard dans cette première partie entièrement dans la boutique. Son évolution se fait au gré des infidélités de Madame Matuschek, Monsieur accuse d'ailleurs Kralik d'être l'amant de son épouse, d'ailleurs il est le seul à avoir été invité chez eux. Pepi change totalement de personnages et prend une telle assurance que ce deuxième récit se transforme en comédie politique, un rêve où les employés deviennent les patrons, plus exactement le fils (adopté) du patron. Alors, après maints quiproquos et autant d'explications, tous les rapports entre chacun repart sur de nouvelles bases, fini de rigoler, le film peut s'arrêter.
























Aucun commentaire: