Certains
ne verront que le personnage bougon et fantasque qu'il s'était créé,
sans doute parce qu'il est plus facilement reconnaissable. C'est que
depuis la diffusion de ce Striptease sur le tournage de Noir comme
le souvenir, où il gueulait « moteur » tout en
cherchant son chef opérateur Edmond Richard décédé lui en juin
2018, que cette image s'est forgée et c'est cette image qu'on garde
de lui. En vérité Jean Pierre Mocky était bien plus grand que
cette posture simpliste. Contemporain des Jeunes Turcs de la Nouvelle
Vague, ses premiers films ressemblent à ceux de Truffaut ou de
Chabrol et manquent franchement de vivacité. Il faudra encore
quelques années avant que Mocky ne devienne Mocky.
Il
n'aurait pu être qu'un acteur du cinéma français, aussi beau mec
qu'Alain Delon, il a commencé ainsi il y a plus de 60 ans dans La
Tête contre les murs de Georges Franju. Jean Pierre Mocky en
avait écrit le scénario et revendiquait la paternité du film. Il
est d'ailleurs inclus dans ce gros coffret édité en 2013. 56 films
à l'époque et il en tourné encore une bonne douzaine depuis ce qui
fait de lui le cinéaste français le plus prolifique depuis la
seconde guerre mondiale. Claude Chabrol s'est arrêté à 57 films,
petit joueur. Dans ce coffret, où ne manque que La Bourse et la
vie avec Fernandel, on peut voir à quel point cette réputation
du cinéaste de bâcler ses films est fausse et que ce reportage de
Striptease est réducteur (et un peu minable). Au contraire,
Jean-Pierre Mocky est un immense cinéaste, certains films touchent
au sublime et beaucoup sont des chefs d'œuvre.
L'âge
d'or du cinéma de Jean-Pierre Mocky couvre deux décennies. Ses
meilleurs films, ceux qui sont autant des réussites formelles que
des succès publics mais aussi des scénarios palpitants et étonnants
et encore mieux, ils brillent par une direction d'acteur de haute
volée. Prenons pour exemple les qautre films tournés avec Bourvil,
Un drôle de paroissien, La Grande lessive, La Cité
de l'indicible peur et enfin L'Etalon. Chacun prend un
sujet à bras le corps (religion, télévision, rumeur et plaisir
sexuel), chaque fois Bourvil sortait de son registre habituel disons
de ce gentil crétin qu'il incarnait dans les films de Gérard Oury
et déployait un jeu physique où son corps était mis à rude
épreuve. Chaque fois, pour chaque actrice et chaque acteur, on sent
le plaisir de jouer au garnement devant la caméra de Mocky.
Jean-Pierre
Mocky comme Jean-Luc Godard (qui se connaissaient bien et ont
travaillé ensemble, Grandeur et décadence d'un petit commerce de
cinéma) sont à deux pôles d'un même sceptre, ils ont deux
points communs, ils n'ont tourné que des films contemporains, jamais
de films d'époque ou en costume. Mais surtout ils ont en commun leur
sens du casting. Michel Serrault (9 films), Jean Poiret, Michael
Lonsdale, Jacques Dufilho, Francis Blanche jamais aussi génial que
face à Bourvil, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Stéphane Audran,
Jacqueline Maillan, Arielle Dombasle. La liste est immense et
jouissive. Toujours cette idée de prendre une vedette de son temps
et de la faire évoluer dans l'univers Mocky au côté de ses acteurs
si différents dont le plus exemple est Jean-Claude Remoleux comédien
à grosses lunettes et à l'élocution difficile et sourde.
L'univers
de Jean-Pierre Mocky est double. D'un côté ce sont ces
merveilleuses et hilarantes comédies à thèses, un film = un sujet
de société. Les Compagnons de la marguerite, A mort
l'arbitre, ceux de Bourvil. On reconnaît immédiatement la
touche Mocky, des personnages qui sautillent, qui sifflotent, qui
chantonnent, qui répéteur la même phrase comme s'ils étaient en
boucle (épatant moyen de critiquer l'absence d'évolution de la
société). Ces trucs de Jean Poiret ou Francis Blanche sont la
marque de fabrique de Mocky, sa signature discrète mais
reconnaissable comme un peintre qui ferait croire qu'il n'a pas de
style mais qui n'a de cesse de créer une écriture. Ces films « à
tics » sont les plus nombreux. Ils composent une France
totalement inventée mais terriblement réaliste, un vrai monde en
soi.
En
face se trouve le côté sombre du cinéaste moins connu. C'est un
grand amateur de polars et il a signé de superbes films noirs où il
tient 'e premier rôle la plupart du temps. Il faut imaginer Alain
Delon dans sa période samouraï le professeur pour Solo ou
L'Albatros. Mocky joue le visage en colère, lui aussi fait
des films physiques, des films d'action, il n'a jamais peur de
montrer ce que personne ne mettait dans des films avec un belle
prédilection pour les homos un peu dérangés souvent des victimes
expiatoires, Darry cowl dans Les Saisons du plaisir, lui-même
dans Le Mari de Léon, celui de L'Ombre d'un chance ou
Jean-François Stévenin incroyable dans Y-a-t-il un
français dans la salle sublime
satire de la politique, son dernier chef d’œuvre. Il plonge
avec délices dans le polar sordide Le Témoin avec Philippe
Noiret et Alberto Sordi, le journalisme inféodé dans Un linceul
n'a pas de poche, dans le fantastique le sous-estimé Litan,
le thriller montagnard Agent trouble avec Catherine Deneuve
toute bouclée et géniale.
Après
1993 et le film Bonsoir, Jean-Pierre Mocky perd une immense partie de
son public. Ses films passent de moins en moins à la télévision
mais il continue coûte que coûte à tourner. Ses derniers sont
assez pénibles parce qu'il avait perdu ce regard bienveillant sur
les maux de la société et qu'au lieu de simplement brocarder comme
au bon vieux temps, il jugeait et condamnait. Mais sa troupe
d'acteurs restaient fidèles (Bernard Menez, Richard Bohringer, Bruno
Solo, Dominique Lavanant entre autres). Il faisaient, comme ça ne
suffisait pas, de la télé pour la chaîne 13ème Rue. Ses mémoires
sont à lire (La Longue marche, 2014, pas les autres livres, tous
rances) où il semble inventer sa carrière au fil des pages.
Seulement voilà, tout ce qu'il écrivait en 2015 était déjà écrit
en 1982 dans la revue Cinéma 82 pour un entretien, c'était tout
aussi fantasque comme dans un film de Jean-Pierre Mocky.
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