Quand
on débarque du fin fonds de la Chine à Hong Kong sans le sou et
qu'on est naïf, la vie n'est pas simple, elle est au contraire
difficile. C'est le cas de Kwok Chen-wah (Jackie Chan), tout sourire
avec sa petite valise à la main et observant le chômeurs à la
recherche d'un boulot journalier. Chen-wah est prêt à faire
confiance à n'importe qui. Il se fait escroquer par un bonimenteur
qui lui demande son argent pour l’inscrire pour l’embauche. Mais
le lendemain, tous ceux qui avaient payé une avance se voient
refuser l’entrée dans l’usine.
Chen-wah
s’en va dépité et tombe sur Madame Rose (Gua Ah-leh) qui veut lui
vendre une rose qui lui portera bonheur. Il en a bien besoin mais n’a
guère d’argent. Une voiture arrive, à toute vitesse, d’un
parrain des triades. Il est poursuivi par les hommes de Duan. Tout se
termine dans une ruelle où la voiture s’engouffre. Le parrain
meurt dans les bras de Chen-wah venu porter secours. Le parrain aura
pris soin de le montrer du doigt ce qui pour l’oncle Hai (Wu Ma) et
Fei (Lo Lieh) le successeur désigné, suffit à le désigner comme
le nouveau chef du clan.
Une
toute nouvelle vie va commencer pour notre jeune et candide héros
qui lors de sa premier discours au clan demande d’être honnête et
de respecter la loi. Ce qui a pour effet de tous les faire rire. Il
va devoir leur prouver sa force et il fait un bras de fer avec l’un
des gars les plus costauds. Pour que son poulain passe l’épreuve,
Hai est toujours derrière Chen-wah et brûle la main du costaud avec
son cigare. Hai, portant l'habit traditionnel chinois, alors que les
autres hommes sont en costumes occidentaux, est le conseiller du
clan.
En
tant que discrète éminence grise, homme de judicieux conseils et
fin diplomate, il veille à ce que tout se passe comme il faut et
parfois il manipule son nouveau patron. Au début, Chen-wah ne sait
pas quelles décisions prendre mais petit à petit il prend ses
marques. Puis, quand le récit commence à partir dans des quiproquos
échevelés, Hai reste stoïque à observer les incroyables cascades,
combats à mains nues où Jackie Chan utilise tous les éléments des
décors pour mettre à l'amende ceux qui entravent ses aventures.
Les
décors du cabaret sont somptueux, filmés avec une grande fluidité
par Jackie Chan. Il multiplie les plans séquences où la caméra se
déplace dans tous les recoins de cet immense lieu, grimpe les
escaliers pour passer d'une action à une autre avec une élégance
inégalée dans son cinéma. Décor oblique (la rue en escalier
dévalée en pousse-pousse), décor horizontal (le cabaret), décor
vertical (l'usine de cordes pour le grand finale), chaque lieu
établit sa topographie et Jackie Chan entraîne une succession de
cascades variées et différentes.
C'est
le moment de présenter Yang Lu-ming (Anita Mui). Elle arrive dans la
vie de Chen-wah quand celui-ci a décidé de faire du grand hôtel un
cabaret. Lu-ming est la fille d’un homme qui devait de l’argent
au parrain décédé. Elle vient régler les dettes de son père mais
n’a pas d’argent. En revanche, elle sait chanter et danser. Elle
deviendra la star du cabaret. Il n’y a qu’une scène de cabaret
chantée et dansée, mais elle est tournée avec beaucoup de soin,
d'élégance et de luxe, c'est la chanson Rose Rose I Love You
qu'Anita Mui chantera souvent à ses concerts.
On
s'en doute, une romance entre Lu-ming et Chen-wah va s'épanouir.
Cette histoire d’amour est décrite comme naturelle sans embûche.
Pourtant Lu-ming est une forte tête face à la faiblesse relative de
Chen-wah. C'est elle qui va aider Madame Rose quand elle tombe
malade. Chen-wah exige de lui acheter une rose chaque matin pour lui
porter chance avant chaque rendez-vous d’affaires. Un matin, elle
est introuvable. Chen-wah va chez elle dans un quartier pauvre. Elle
est malade parce qu’elle fait croire à sa fille, restée en Chine,
qu’elle est une dame du monde et qu’elle vit dans un grand hôtel.
Or,
Madame Rose vient d’apprendre que sa fille venait à Hong Kong avec
son fiancé et son futur beau-père. Lu-ming décide d’installer
Madame Rose dans un palace et de lui trouver un mari. Ce sera Bill
Tung, justement l’homme qui avait escroqué Chen-wah au début du
film. C’est alors qu’un déluge de quiproquos commence tous plus
mal gérés les uns que les autres par le couple vedette. Pour notre
plus grand plaisir. Il faut cacher à la fille de Madame Rose qu’elle
est très pauvre et que Bill Tung n’est pas son vrai mari.
Mais,
il faut surtout empêcher l’inspecteur Ho (Richard Ng) de découvrir
la chose. L’inspecteur Ho cherche à faire affaire avec le futur
beau-père, un riche homme chinois. Or Ho est constamment en chasse
contre Chen-wah et son clan. C’est un Richard Ng burlesque qui
incarne ce pauvre inspecteur qui va en voir de toutes les couleurs
d’autant qu’il est aidé par un assistant (Mars) des plus
incompétents. Les portes et les couloirs vont se remplir de
mensonges, de personnes qui se font passer pour d’autres et tout va
se compliquer dans l’imbrication des différentes pistes
narratives.
Big
brother ne manque
jamais d’humour. Quelques personnages secondaires sont très drôles
comme Tang (Billy Lau), l’assistant de l’oncle Hai, un gros à
lunettes, qui se voit toujours rabroué par son patron et qui
réplique, quand il a fait une bêtise, qu’il doit aller laver la
voiture. Ce comique de répétition est croustillant. La scène de
répétition des rôles des notables pour donner une fausse réception
est hilarante. Tous les employés et les porte-flingues doivent faire
croire qu’ils sont des hommes du monde mais tous se disputent entre
eux, se jalousent et parlent avec un vocabulaire de charretier. Un
grand moment de comédie.
Jackie
Chan n’oublie pas non plus l’action avec la scène finale dans un
entrepôt de cordes qui appartient à Duan. Trahi par Fei, Jackie
Chan se retrouve avec une trentaine d’adversaires contre lesquels
se battre. La scène commence dans la rue où Jackie Chan utilise
chaque objet d’un marché de légumes comme arme (aïe avec le
durian) puis est emmené dans l’entrepôt où les acrobaties durent
un bon quart d’heure. Pour l'amateur que je suis des acrobaties de
Jackie Chan, c'est un moment délicieux.
Il
saute d’un niveau à l’autre, se casse la figure, donne de
nombreux coups de pied et poing, dans un montage d’une grande
précision et sans effets spéciaux, il va s’en dire. La
chorégraphie des combats est d’une grande beauté. C’est la
limpidité de Big
brother qui frappe le
plus et qui laisse à chaque vision bouche bée. L’aisance de la
narration c'est aussi le grand art du montage qui donne le bon rythme
à chaque scène. Entre les gimmicks (le chapeau de Chen-wah) et le
récit au long cours, Jackie Chan a tenu son film jusqu’au bout. La
comédie, l’action et la romance n’ont jamais fait aussi bon
ménage.
Longtemps
Big
brother
a été mutilé dans ses éditions françaises, il a été emputé de
45 minutes lors de l'édition de la VHS par René Château. Qui plus
est, il était uniquement disponible en version française doublée
avec des dialogues stupides. En 2009, le film que l'on doit
considérer comme le chef d’œuvre de Jackie Chan, sortit enfin
dans sa version intégrale de deux heures et trois minutes.
Metropolitan Films a choisi de conserver le titre d’exploitation de
l’époque Big Brother alors qu'il serait plus joli de lui redonner
son titre chinois Mr. Canton and Lady Rose.
A
l'époque de la sortie en France, seules les scènes d’action et
l’histoire avec Anita Mui avaient été conservées, ce qui lui
permettait de conserver pourtant une relative armature scénaristique.
Tout ce qui concernait la réception des fiançailles de Madame Rose
avaient été supprimées, trop mièvres sans doute pour le fan
primaire de kung-fu. C’est dire si le film de Jackie Chan a été
solide malgré les charcutages. Le récit de Big
brother
est à la fois foisonnant et d’une rigueur extrême. La limpidité
et la fluidité mêmes.
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