En
février et mars 1914, Charles Chaplin joue dans six films, entre les
deux muets de Mabel Normand. Il n'est encore qu'un simple acteur dans
la Keystone de Mack Sennett, avant qu'il n'ait le droit de réaliser
et écrire lui-même ses gags et qu'il puisse développer son
personnage du « vagabond », il faut prouver qu'il peut
faire rire. Le premier de ses films A thief catcher a
longtemps été considéré comme perdu. Il sert de faire valoir à
Ford Sterling, star comique de l'époque aujourd'hui totalement
oublié et pour cause, son splastick se résume à un florilège de
grimaces faciales, de petits sauts et d'adresses au public sur ce qui
lui arrive.
Dans
A thief catcher, Charlot est un Keystone Kop, l'un de ses
flics burlesques qui peuplaient les films de Mack Sennett. C'est
d'autant plus amusant de le voir en policeman que dans tous ses films
où il incarne le vagabond, où il est pauvre, il se fait sans cesse
réprimander par les policiers, il se fait poursuivre par eux. Pour
Chaplin, il s'agit surtout de montrer l'injustice en donnant ces
caractéristiques aux policemen mais tant qu'il n'avait pas le
contrôle, le policier est du côté du bien, Sterling joue le
shérif. Dans le deuxième film, Bertween showers (Charlot et le
parapluie), le policier n'abuse pas de la force mais cherche
cependant à rendre justice pour un vol de parapluie. Le film est
tourné entièrement dans un jardin public de Los Angeles.
Plateau
de cinéma ou décors naturels, acteurs ou observateurs, l'un des
agréments de A film Johnnie (Charlot fait du cinéma) est
cette confusion qu'entretient le film. Il se place à la fois dans
une salle de cinéma où Charlot dérange tous les spectateurs, aux
studios Keystone où il croise les vedettes de Mack Sennett (Roscoe
Fatty Arbuckle, Ford Sterling) qui vont au travail comme s'ils
allaient à l'usine, il regarde les artistes comiques et rie
immédiatement quand bien même, ils ne donnent pas de gags. Leur
simple apparition est source de comique. Mais tous travaillent pour
faire un film et faire du comique est un travail compliqué surtout
quand un cuistre comme ce personnage qu'incarne à fond Chaplin vient
perturber tout ce beau monde et qu'il drague l'actrice vedette.
Dans
ces deux films, il peaufine une personnage qu'il veut incarner mais
sans la tendresse, ces Charlot-là sont méchants, colériques et
inconséquents. En revanche, on voit ces gestes qu'on admirera plus
tard, la main sur la bouche quand il rit, ses arrêts la jambe en
l'air quand il prend un virage en courant et la démarche en canard.
Le vagabond n'existe pas encore mais l'ivrogne est présent dans
Tango tangles (Charlot danseur) où il apparaît sans
moustache et en costume luxueux (face à Sterling) puis dans His
favorite pastime (Charlot est trop galant) en costume complet du
vagabond mais sans ses apparats (face à Fatty). Dans ce film, on
décèle des black faces de comédiens blancs jouant des domestiques
noirs, dans un comique contestable.
Ce
qu'on remarque dans chacun des films et aussi dans les deux suivants
Cruel cruel love (Charlot marquis) qui va inspirer Charlot
et le comte puis The Star boarder (Charlot aime la patronne)
est une chose simple qui va frapper le spectateur : dès que
Charlie Chaplin est seul à l'image, sans la présence de ses
partenaires, il est meilleur que tout le monde, on n'a pas envie de
revoir les autres comédiens mais de rester avec Chaplin. Par exemple
ces gags avec une porte récalcitrante qui ne cesse de lui rentrer
dans la figure dans His favorite pastime, ou ce visage
terriblement effrayant dans Cruel cruel love presque une
transformation de Jekyll en Hyde (le reste du court-métrage est très
médiocre). Les films, pas terribles, valent pour ces quelques
minutes de liberté artistique de Charlot.
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