mercredi 28 août 2019

Roubaix, une lumière (Arnaud Desplechin, 2019)


Deux chats noirs viennent se coller dans les jambes du commissaire Daoud (Roshdy Zem) dès qu'il a ouvert la porte fenêtre de son logis. Ce sera la seule fois où Arnaud Desplechin traîne chez Daoud pour montrer où il vit, un appartement où la caméra glisse dans les pièces, frôle les murs où l'on découvre de vieilles photos, de vieilles peintures illustrant l'Algérie. On imagine que Daoud vit seul, qu'il n'a que ces deux chats de gouttière pour amis le soir quand il rentre du commissariat. Effectivement, au détour de quelques dialogues on comprend que toute sa famille est rentrée au pays, au bled. Presque toute, il ne reste que ce neveu en prison qui refuse de voir son oncle quand il lui rend visite.

Le commissaire Daoud est donc un solitaire et il le restera jusqu'au bout de Roubaix, une lumière. Solitaire et taciturne, non pas vraiment qu'il ne parle pas mais plutôt qu'il donne le moins de mots possibles aux policiers qu'il a sous ses ordres. Le film est très dialogué et une grand part de l'intrigue repose sur les dialogues, les joutes verbales, les interrogatoires. On se vouvoie beaucoup dans Roubaix, une lumière, on n'est plus habitué dans le cinéma français à se vouvoyer, on est même de moins en moins habitué à parler cette langue soutenue, en tout cas entre les policiers, comme s'ils formaient une communauté à part entière, mais d'ailleurs débarrassée de tout le jargon habituel.

J'ai beaucoup lu un mot sur le film, « réalisme ». Roubaix, une lumière montre de manière réaliste un commissariat. D'ailleurs quelle est cette réalité que la critique voit notamment dans cette première partie où l'on découvre le cadre, le lieu et les personnages. Comme dit plus haut, les dialogues ne veulent pas faire authentique, le douloureux problème du film réaliste (voir Polisse de Maïwenn dans un combat perdu d'avance). Ce qui est souvent vu comme du réalisme est l'aspect documenté, la part documentaire de la fiction, ici une plongée avec une caméra portée à l'épaule fait l'affaire dans des plans longs et englobe quelques affaires sans intérêt pour partir plus tard vers la fiction principale.

Ce qu'on remarque surtout dans ces images c'est le choix délibéré de noircir le trait, en l'occurrence de faire l'inverse de ce qui se voit habituellement à la télévision où l'image doit être claire. La photographie est sombre pour au moins deux raisons, le récit se déroule autour de Noël où la nuit tombe tôt et l'atmosphère sera vite poisseuse avec un crime crapuleux que Daoud et ses hommes doivent résoudre. Avant cela, on ne sait pas encore vers quel histoire va se diriger, un viol dans le métro, une voiture brûlée, la fugue d'une jeune femme qui va se réfugier chez son oncle un ami de Daoud, un incendie criminel. Arnaud Desplechin choisit la méthode Psychose (on remarque ce trajet en voiture regard caméra sous la pluie) au bout de 40 minutes, on fuit toutes les pistes narratives aperçues jusque là et on part vers le meurtre d'une vieille dame.

Difficile de dire vraiment quand se déroule Roubaix, une lumière. Il indique clairement dans le générique de fin qu'il est inspiré du documentaire de Mosco Bouscault Roubaix, commissariat central (que je n'ai pas vu) diffusé en 2008 mais jamais depuis sur les deux meurtrières. Arnaud Desplechin choisit de ne pas dater les faits, si ce n'est Noël. Il construit un film d'époque en prenant un soin extrême à ce que cela ne se voit pas trop dans cette reconstitution mais en y pensant un peu plus, on note qu'aucun téléphone portable n'apparaît dans le film. C'est un détail mais qui compte qui place ce Roubaix que l'on voit dans le film dans le passé, le grand sujet des films d'Arnaud Desplechin tous construits sur une figure du passé, des fantômes (d'Ismaël) ou des souvenirs de jeunesse qui vont par trois.

Arnaud Desplechin s'amuse avec les détails cocasses, il fait de Daoud un amateur de courses hippiques exactement comme Philippe Noiret dans Les Ripoux de Claude Zidi, Roshdy Zem a commencé au cinéma aux côtés de Noiret dans J'embrasse pas d'André Téchiné. Les rapports que Daoud entretient avec son nouvel inspecteur (Antoine Reinartz) des rapports courtois mais distants. Cet inspecteur est l’énigme du film, on en sait peu sur lui, il vient du séminaire, il prie encore le soir, il tient un journal et il croise dans le café de standing où il se rend Daoud. Les deux hommes semblent totalement différents, d'origines opposés prolétaire pour Daoud, bourgeoisie pour l'inspecteur. Ce qui les lie est leur solitude, ce langage châtié et le hippisme. Arnaud Desplechin gomme tout le superflu surtout une confrontation qui pourrait de temps en temps relancer le récit, esquisser des coups de théâtre.

Prendre son temps, ne pas se précipiter, là encore tout ce rythme alangui, pétrifié, glacé par Noël rappelle que malgré les champs contrechamps des confrontations entre les suspectes et la police, on n'est pas dans un téléfilm. Je n'ai pas encore parlé de Claude et Marie, Léa Seydoux et Sara Forestier, d'abord victimes, puis suspectes et enfin coupables. Ici le mobile n'a aucune intérêt scénaristique, Daoud dans une double partie de questions demande une seule chose, comment cela s'est passé. C'est la question souvent bâclée, donnée à la toute fin sans aucun détail, Arnaud Desplechin va jusqu'à l'épuisement des deux jeunes femmes, il veut connaître tous les secrets de leur « mise en scène », le mot est de Daoud. Dans toutes les autres affaires, la mise en scène a été facilement analysée (celle de la voiture brûlée en début de film), il ne manquait que celle de Claude et Marie.

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