dimanche 4 août 2019

To be or not to be (Ernst Lubitsch, 1942)

Varsovie, début août 1939, les regards sont pleins de désarroi et d'étonnement, tous dans la même direction. Hitler en personne est dans les rues de la capitale de la Pologne. Il se promène et s'arrête devant un delicatessen. L'attroupement se fait plus intense et le Führer, en uniforme militaire, ne dit pas un mot. Il a les yeux fixes, le menton martial et les mains croisés. Comment se fait-il qu'il soit là se demande la voix off qui commente cette géniale et inventive ouverture de To be or not to be, car l'Histoire avec un grand H de l'invasion de la Pologne par l'Allemagne, la déclaration de la guerre, elle n'a pas eu lieu en ce 16 août 1939.

« Heil myself » dit Hitler quand il rentre dans le bureaux de la Gestapo après que tous les autres nazis l'aient salué d'un « Heil Hitler ». Le gag est tellement beau, tellement surréaliste que la quatrième mur s'effondre. Ce que l'on prenait pour une réunion de la Gestapo était la répétition d'une pièce critique envers les nazis, la Gestapo et tous ceux qui veulent envahir la Pologne. Mais le metteur en scène reproche à Bronski (Tom Dugan) de ne s'être pas tenu au texte. Conséquence Bronski va dans la rue pour voir si on ne le prend pas pour Hitler. Résultat : une fillette demande un autographe de « Monsieur Bronski ».

Mais l'Histoire reprend son cours et si Hitler n'a pas encore envahi la Pologne, il n'est plus question de jouer Gestapo. « Ne pas provoquer l'ennemi » plaide le directeur du théâtre. En lieu et place, la troupe jouera Hamlet, avec Jospeh Tura (Jack Benny) dans le rôle éponyme et son épouse Maria Tura (Carole Lombard) dans un rôle féminin (lequel d'ailleurs?). Certes, Tura est trop vieux pour le rôle mais peu importe, c'est un dramaturge, célèbre dans toute la Pologne. Le voici en tyrain d'entrer en scène, l'air particulièrement inspiré, plongé dans son livre, les yeux perdus dans ses pensées. Et il commence à déclamer son monologue « to be or not to be ».

C'est ce moment précis que choisit un jeune homme pour se lever et demander à tous les autres spectateurs de son rang de se lever puis de sortir du parterre. Il se rend dans les loges car il a obtenu de Maria Tura de pouvoir la voir et le meilleur moment, estime-t-elle, est pendant ce monolgue. Le jeune homme est un pilote d'aviation, le lieutenant Stanislas Sobinski (Robert Stack). Fougueux, il fait la cour à la comédienne qui se voir ravie d'être ainsi désirée par un si beau jeune homme. Le gag est d'autant plus drôle qu'il est réitéré une nouvelle fois et met en colère Jospeh Tura qui ne comprend pas pourquoi ce soldat quitte son siège. Il pense être devenu un mauvais acteur.

La moustache postiche de Bronski n'est qu'un acessoire et pour tous les autres comédiens de la troupe, la vie est un théâtre. Ernst Lubistch et ses scénaristes prennent cette simple idée au pied de la lettre, il s'agit maintenant de jouer en permanence avec tous les costumes possibles et par exemple, au lieu de la moustache d'Hitler, de prendre une barbe postiche d'un traître à la nation, le professeur Siletsky (Stanley Ridges) que croise le pilote Sobinski à Londres. Ce dernier a donné au professeur Siletsky un grand nombre de résistants à Varsovie et un message personnel à Maria Tura, un message facile à retenir « to be or not to be ».

Dès lors, la comédienne est prise en tenaille entre son époux, désormais jaloux comme un pou, son jeune amoureux transi et Siletsky qui la convoque à la Gestapo de Varsovie, la vraie cette fois. Mais chaque fois, les cartes sont rebattues et les lieux s'échangent. Le théâtre des Tura devient grâce à quelques croix gammées et les uniformes de la troupe le quartier général du colonel Erhardt surnommé « Concentration Camp Erhardt ». Joseph Tura jouera Erhardt, difficilement car s'il est un bon comédien il est incapable d'improviser, répétant sans cesse la même phrase et ricanant bêtement provoquant la suspicion de Siletsky. Le piège se retourne contre ceux qui avaient tout manigancé à moins que ce ne soit une répétition générale.

Car ce qui est a priori dramatique se transforme quelques scènes plus tard en comique de premier ordre. Cette fois Tura porte une barbe postiche comme Siletsky et rencontre le vrai Erhardt (Sig Ruman) au QG de la Gestapo. Mais cette fois, Tura sait enfin quoi dire, il réplique le texte débité Siletsky dans le faux QG qui était le théâtre. Le théâtre devient la vie et jusqu'à ce que tout se complique encore et encore. De nouvelles situations se dressent devant tous les comédiens qui doivent encore et encore improviser. Mais Shakespeare reste le meilleur comme quand Greenberg (Felix Bressart) simple figurant sort le monologue de Shylock du Marchand de Venise entouré de nazis dans l'ultime scène de théâtre.


Avec tous ces niveaux de mise en abyme, de théâtre dans le théâtre, de déguisements, de personnage joué volontairement ou non par plusieurs acteurs, tout devient tellement complexe qu'il est de plus en plus difficile de tout raconter. Ernst Lubistch a le génie se glisser sur les rets narratifs pour ce qui a longtemps été mon film favori du cinéaste (c'est maintenant La Huitième femme de Barbe Bleue). Le finale, la toute dernière scène remonte le temps pour revenir à Shakespeare, à To be or not to be et à un jeune homme qui se lève. Cette fois, Tura n'est pas le seul outré par ce comportement, le pilote Stanislas Sobinski se retourne, scandalisé de s'être fait volé son minuscule rôle d'amant de Maria Tura.





























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