Varsovie,
début août 1939, les regards sont pleins de désarroi et
d'étonnement, tous dans la même direction. Hitler en personne est
dans les rues de la capitale de la Pologne. Il se promène et
s'arrête devant un delicatessen. L'attroupement se fait plus intense
et le Führer, en uniforme militaire, ne dit pas un mot. Il a les
yeux fixes, le menton martial et les mains croisés. Comment se
fait-il qu'il soit là se demande la voix off qui commente cette
géniale et inventive ouverture de To be or not to be, car
l'Histoire avec un grand H de l'invasion de la Pologne par
l'Allemagne, la déclaration de la guerre, elle n'a pas eu lieu en ce
16 août 1939.
« Heil
myself » dit Hitler quand il rentre dans le bureaux de la
Gestapo après que tous les autres nazis l'aient salué d'un « Heil
Hitler ». Le gag est tellement beau, tellement surréaliste que
la quatrième mur s'effondre. Ce que l'on prenait pour une réunion
de la Gestapo était la répétition d'une pièce critique envers les
nazis, la Gestapo et tous ceux qui veulent envahir la Pologne. Mais
le metteur en scène reproche à Bronski (Tom Dugan) de ne s'être
pas tenu au texte. Conséquence Bronski va dans la rue pour voir si
on ne le prend pas pour Hitler. Résultat : une fillette demande
un autographe de « Monsieur Bronski ».
Mais
l'Histoire reprend son cours et si Hitler n'a pas encore envahi la
Pologne, il n'est plus question de jouer Gestapo. « Ne pas
provoquer l'ennemi » plaide le directeur du théâtre. En lieu
et place, la troupe jouera Hamlet, avec Jospeh Tura (Jack Benny) dans
le rôle éponyme et son épouse Maria Tura (Carole Lombard) dans un
rôle féminin (lequel d'ailleurs?). Certes, Tura est trop vieux pour
le rôle mais peu importe, c'est un dramaturge, célèbre dans toute
la Pologne. Le voici en tyrain d'entrer en scène, l'air
particulièrement inspiré, plongé dans son livre, les yeux perdus
dans ses pensées. Et il commence à déclamer son monologue « to
be or not to be ».
C'est
ce moment précis que choisit un jeune homme pour se lever et
demander à tous les autres spectateurs de son rang de se lever puis
de sortir du parterre. Il se rend dans les loges car il a obtenu de
Maria Tura de pouvoir la voir et le meilleur moment, estime-t-elle,
est pendant ce monolgue. Le jeune homme est un pilote d'aviation, le
lieutenant Stanislas Sobinski (Robert Stack). Fougueux, il fait la
cour à la comédienne qui se voir ravie d'être ainsi désirée par
un si beau jeune homme. Le gag est d'autant plus drôle qu'il est
réitéré une nouvelle fois et met en colère Jospeh Tura qui ne
comprend pas pourquoi ce soldat quitte son siège. Il pense être
devenu un mauvais acteur.
La
moustache postiche de Bronski n'est qu'un acessoire et pour tous les
autres comédiens de la troupe, la vie est un théâtre. Ernst
Lubistch et ses scénaristes prennent cette simple idée au pied de
la lettre, il s'agit maintenant de jouer en permanence avec tous les
costumes possibles et par exemple, au lieu de la moustache d'Hitler,
de prendre une barbe postiche d'un traître à la nation, le
professeur Siletsky (Stanley Ridges) que croise le pilote Sobinski à
Londres. Ce dernier a donné au professeur Siletsky un grand nombre
de résistants à Varsovie et un message personnel à Maria Tura, un
message facile à retenir « to be or not to be ».
Dès
lors, la comédienne est prise en tenaille entre son époux,
désormais jaloux comme un pou, son jeune amoureux transi et Siletsky
qui la convoque à la Gestapo de Varsovie, la vraie cette fois. Mais
chaque fois, les cartes sont rebattues et les lieux s'échangent. Le
théâtre des Tura devient grâce à quelques croix gammées et les
uniformes de la troupe le quartier général du colonel Erhardt
surnommé « Concentration Camp Erhardt ». Joseph Tura
jouera Erhardt, difficilement car s'il est un bon comédien il est
incapable d'improviser, répétant sans cesse la même phrase et
ricanant bêtement provoquant la suspicion de Siletsky. Le piège se
retourne contre ceux qui avaient tout manigancé à moins que ce ne
soit une répétition générale.
Car
ce qui est a priori dramatique se transforme quelques scènes plus
tard en comique de premier ordre. Cette fois Tura porte une barbe
postiche comme Siletsky et rencontre le vrai Erhardt (Sig Ruman) au
QG de la Gestapo. Mais cette fois, Tura sait enfin quoi dire, il
réplique le texte débité Siletsky dans le faux QG qui était le
théâtre. Le théâtre devient la vie et jusqu'à ce que tout se
complique encore et encore. De nouvelles situations se dressent
devant tous les comédiens qui doivent encore et encore improviser.
Mais Shakespeare reste le meilleur comme quand Greenberg (Felix
Bressart) simple figurant sort le monologue de Shylock du Marchand de
Venise entouré de nazis dans l'ultime scène de théâtre.
Avec
tous ces niveaux de mise en abyme, de théâtre dans le théâtre, de
déguisements, de personnage joué volontairement ou non par
plusieurs acteurs, tout devient tellement complexe qu'il est de plus
en plus difficile de tout raconter. Ernst Lubistch a le génie se
glisser sur les rets narratifs pour ce qui a longtemps été mon film
favori du cinéaste (c'est maintenant La Huitième femme de Barbe
Bleue). Le finale, la toute dernière scène remonte le temps pour
revenir à Shakespeare, à To be or not to be et à un jeune homme
qui se lève. Cette fois, Tura n'est pas le seul outré par ce
comportement, le pilote Stanislas Sobinski se retourne, scandalisé
de s'être fait volé son minuscule rôle d'amant de Maria Tura.
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