C'est
le plus mal aimé de tous les John Ford. Patrick Brion dans son
anthologie sur le cinéaste sortie en 2002 n'est pas tendre avec La
Route au tabac et déteste à peu près tout surtout les cris et
beuglements de William Tracy. Dans The Shop around the corner,
William Tracy était le coursier Pepi, ce sympathique jeune homme, un
an plus tard, devant la caméra de John Ford il incarne Dude Lester
le fils cadet de la famille, un jeune adulte encore dans les jupes de
sa mère. L'acteur ne fera pas grand chose par la suite, si j'ai bien
compris.
Dans
La Route au tabac, il est un insupportable gamin en salopette
et avec une tignasse qui lui tombe sur les yeux. Dude est le fils de
Jetter Lester (Charley Grapewin) et son épouse Ada (Elizabeth
Patterson). Ils vivent avec la grand-mère, un personnage
fantomatique habillée tout en noir qui traverse de temps en temps le
cadre, sans dire un mot. Ada en fin de film se demandera où elle a
bien plus passé. Jetter répondra qu'il ira voir, un jour ou
l'autre, dans la forêt s'il la trouve. Ça fait déjà une bouche en
moins à nourrir.
La
plus jeune sœur vit aussi là, Ellie May (Gene Tierney). L'actrice
n'a pas encore rencontré Otto Preminger et ça se voit. John Ford ne
sait pas bien quoi faire d'elle ni vraiment comment la diriger, alors
il la filme le visage tout mâchuré. Il lui donne quatre lignes de
dialogue pour tout le film. C'est d'ailleurs amusant de voir Dana
Andrews dans un tout petit rôle apparaître dans le film, ils se
croisent à peine dans La Route au tabac quand Dana Andrews
rend visite au Lester et se retrouveront dans Laura en 1944,
c'est un film d'une bien autre trempe.
Un
patelin de Géorgie en pleine crise économique, les Lester sont
paresseux, le film ne cesse de le répéter du début à la fin mais
ils espèrent rester dans cette ferme en train de s'effondrer sur
elle-même. En début de film, Jetter traverse tout le village sur
cette route du tabac qui jadis a fait la renommée de ce coin
d'Amérique. Tout est en ruine et ce qui est en ruine menace chaque
jour un peu plus de s'effondrer. John Ford va passer 1h20 à filmer
cet effondrement inéluctable sur un mode de comique troupier.
Personne
n'est certain dans ce film si ce n'est ce Capitaine Tim que joue Dana
Andrews qui aimerait que tout soit encore comme avant. Le premier
décor du film que traverse Jetter Lester est justement une immense
demeure comme au bon temps. Là vit Henry Peabody (Slim Summerville),
assoupi sur le perron quand débarque Jetter avec son vieux tacot
déglingué. Dès qu'il évoque le nom de Sister Bessie (Marjorie
Rambeau), il fuit prenant ses jambes à son cou. Le gag est répété
autant de fois que la bigote entre en scène.
Cette
femme, désormais veuve, est revenue au pays. Elle aussi a son
running gag, elle chante des chants religieux. Elle sort son sifflet
pour donner le ton et entonne son chant, cela a comme résultat
immédiat d'arrêter toute activité autour d'elle, d'interrompre
ceux qui voulait comprendre ce qui est en train de se passer, car les
personnages comme les spectateurs du film, ont du mal à comprendre
ce qui se passe sur l'écran. Impossible que John Ford soit allé
aussi loin dans le burlesque échevelé avec que des acteurs qui
hurlent ou pleurent tel leur gendre joué par Ward Bond.
Le
bruit, le chaos, la destruction sont les apanages du jeune Dude
Lester. Son unique rêve est de pouvoir klaxonner. Pour ça il faut
avoir une voiture et avec l'assurance de Sister Bessie, il va acheter
une belle bagnole rutilante qu'il va se faire un plaisir de détruire
en une journée en fonçant dans tous les recoins du patelin. Je dois
avouer que ce petit côté fast and furious dans l’œuvre de
John Ford me plaît beaucoup. Plus essentiel, je ris devant toutes
ces bêtises, ces cabotinages de tous ces acteurs. Je devrais pas,
mais je ris beaucoup devant ce film.
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