Avant
d'être sergent, York s'appelait Alvin. Gary Cooper prête son
immense carcasse au personnage d'Alvin York, un grand échalas pas
très futé qui passe ses soirées à picoler et à faire du raffut
avec ses deux amis (Ward Bond et Noah Beery), galopant sur la place
du village en hurlant et en tirant au revolver. Tout cela empêche le
pasteur (Walter Brennan) de faire son homélie dans la quiétude
d'une église. Sergent York commence donc, non seulement sous
les chapeaux de roue avec son personnage éponyme à peine visible
mais au centre de la communauté qui est enquiquinée par ses
méfaits, mais en plus sur un ton de comédie alors qu'on écoute un
sermon, le burlesque (les interruptions du pasteur) viennent
craqueler ce début de récit.
Si
Alvin boit, c'est pour oublier que la journée, il s'échine à
labourer un champ rempli de cailloux, un terrain en flanc de colline
loin des terres généreuses de la vallée dans cette petite ville
des Trois-Fourches dans le Tennessee. Cette terre sans qualités, il
en a hérité de son père qui s'est tué à la tâche, qui est mort
d'avoir voulu la travailler comme les autres paysans. Cette terre,
c'est la malédiction des York, mais c'est leur terre. Sa vieille
mère (Margaret Wycherly) envoie George (Dickie Moore), son jeune
fils, armé d'un fusil chercher Alvin dans un saloon au milieu de la
frontière entre le Kentucky et le Tennessee, ici on peut boire de
l'alcool mais pas en acheter. George, avec un grand calme, pointe son
fusil sur son grand dadais de frère ce qui provoque les rires des
autres et une bonne grosse bagarre.
Traité
comme un enfant par sa famille, et pour cause, il se comporte comme
un gamin, le pasteur viendra raisonner Alvin le lendemain de cet
incident. Et tout cela a des conséquences sur sa vie sociale. Alvin
est célibataire car il estime n'avoir rien à offrir à une épouse.
Ça, c'était avant de rencontrer Gracie Williams (Joan Leslie), la
plus belle fille des Trois-Fourches, qu'il croise quand il va chasser
le renard avec son petit frère. Howard Hawks filme avec tendresse et
humour ce moment où la mère, George le frère et Rosie la sœur
(June Lockhart) comprennent qu'Alvin est, pour la première fois de
sa vie, amoureux. Alvin tente de dompter sa tignasse à grands coups
de peigne sous les yeux écarquillés de sa famille enfin heureuse
que l'aîné se prenne en main.
Pour
se marier, il veut acheter du terrain dans la vallée. C'est le début
d'une longue séquence où Howard Hawks mêle la comédie à la
tragédie. Côté comédie, c'est le compte à rebours lancé pour
trouver les 60$ nécessaires à l'achat du terrain. Alvin fait toute
sorte de boulots, il chasse des renards pour vendre leur fourrure, il
aide aux champs, aux bois. Le récit est jovial avec ce calendrier
qui égraine les jours et insiste sur la somme qu'il acquiert. Puis,
c'est le concours du bœuf. Il doit tirer au fusil sur une cible pour
gagner la bête, et il le remettra en jeu, les paris couvriront le
reliquat pour le terrain. Et il gagne le concours, il vise juste mais
le terrain lui passe sous le nez. Le vieux Tomkins (Erville Alderson)
le propriétaire l'a finalement vendu à Eb.
Cet
Eb (James Anderson), c'est le concurrent d'Alvin, il veut séduire
Goldie et a acheté le terrain par pure jalousie car il n'en a pas
besoin. Alvin qui avait arrêté de boire pour travailler sans cesse,
se soûle et, une nuit d'orage, prend son fusil pour tuer Eb. Sur son
cheval, il est frappé par la foudre, s'effondre sur le sol. Le canon
du fusil est tordu. Alvin voit un signe divin, d'autant que tout se
passe juste devant l'église dans laquelle entre alors, Alvin tout
en douceur, sous les regards du pasteur et de sa famille, regards
bienveillants de le voir enfin converti. Le pasteur engage ses
ouailles à entonner le chant « give me old time religion ».
Je suis en général peu sensible aux bondieuseries mais Sergent
York lie la religion au pacifisme et qui ne se convertirait pas
suite à un sermon professé par Walter Brennan ?
Howard
Hawks situe son film, tiré d'une histoire vraie (c'est le vrai York
qui a exigé Gary Cooper), en 1916. Et aux fins fonds du Tennessee,
même si la guerre fait les gros titres, comme on le voit en début
de film, c'est le prix du maïs et de la farine qui intéresse les
gens. Mais la guerre entre dans les foyers progressivement. S'engager
ou ne pas s'engager, telle est la question. Le pasteur conseille à
Alvin de s'engager pour mieux pouvoir proclamer que son église est
pacifiste. Seulement voilà, la guerre mange les hommes, pacifistes
ou non. Il faudra donc plus d'une heure après cette manche du
journal pour que Alvin York soit appelé sous les drapeaux, mais il
n'est pas encore sergent. Il est considéré comme un objecteur de
conscience, pire qu'un traître ou un ennemi.
Howard
Hawks filme, malgré ces soupçons des gradés, les premiers pas à
l'armée sur un ton joyeux de franche camaraderie. Alvin, de la même
manière qu'il s'est converti à la religion, accepte d'être soldat.
Avec son cothurne Ross (George Tobias), conducteur de métro à New
York, c'est une belle amitié qui naît. Ross explique, non sans
humour, à Alvin ce que c'est que le métro. Le petit campagnard du
Tennessee et le costaud de la plus grande ville du monde s'unissent
pour combattre les Allemands là-bas dans la lointaine Europe. Petit
message de propagande de Howard Hawks pour une Amérique qui, quand
Sergent York sort en salles, n'est pas encore entrée en
guerre. Ils sont certains artistes, cinéastes et acteurs, à œuvrer
pour que les Etats-Unis déclarent la guerre aux Nazis et au Japon.
Il faudra plus qu'un film pour convaincre les militaires, ce sera
Pearl Harbor.
La
partie consacré à la guerre dans les tranchées de la bataille des
Ardennes n'occupe que les vingt dernières minutes de Sergent
York. Comme on l'avait vu avec cette histoire de bœuf et de
cible, Alvin York est un expert en tir. Avec son pouce, il humecte la
pointe de son fusil, ce sera le geste du film, son leitmotiv à la
fois comique car cocasse et plein de bon sens (ce que les gradés ne
peuvent pas comprendre et donc pas enseigner) et tragique. Alvin
devient alors un tueur abattant des dizaines de soldats. C'est dans
ces contradictions, ces mouvements du trivial au tragique, du soleil
à la mort que Sergent York devient non seulement émouvant
mais aussi troublant tant Gary Cooper fait corps avec son personnage
et Howard Hawks rend évidentes ces deux conversions. Gary Cooper
reçut un Oscar pour ce film que je tiens pour un de mes Hawks
préféré.
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