vendredi 23 septembre 2016

Sergent York (Howard Hawks, 1941)

Avant d'être sergent, York s'appelait Alvin. Gary Cooper prête son immense carcasse au personnage d'Alvin York, un grand échalas pas très futé qui passe ses soirées à picoler et à faire du raffut avec ses deux amis (Ward Bond et Noah Beery), galopant sur la place du village en hurlant et en tirant au revolver. Tout cela empêche le pasteur (Walter Brennan) de faire son homélie dans la quiétude d'une église. Sergent York commence donc, non seulement sous les chapeaux de roue avec son personnage éponyme à peine visible mais au centre de la communauté qui est enquiquinée par ses méfaits, mais en plus sur un ton de comédie alors qu'on écoute un sermon, le burlesque (les interruptions du pasteur) viennent craqueler ce début de récit.

Si Alvin boit, c'est pour oublier que la journée, il s'échine à labourer un champ rempli de cailloux, un terrain en flanc de colline loin des terres généreuses de la vallée dans cette petite ville des Trois-Fourches dans le Tennessee. Cette terre sans qualités, il en a hérité de son père qui s'est tué à la tâche, qui est mort d'avoir voulu la travailler comme les autres paysans. Cette terre, c'est la malédiction des York, mais c'est leur terre. Sa vieille mère (Margaret Wycherly) envoie George (Dickie Moore), son jeune fils, armé d'un fusil chercher Alvin dans un saloon au milieu de la frontière entre le Kentucky et le Tennessee, ici on peut boire de l'alcool mais pas en acheter. George, avec un grand calme, pointe son fusil sur son grand dadais de frère ce qui provoque les rires des autres et une bonne grosse bagarre.

Traité comme un enfant par sa famille, et pour cause, il se comporte comme un gamin, le pasteur viendra raisonner Alvin le lendemain de cet incident. Et tout cela a des conséquences sur sa vie sociale. Alvin est célibataire car il estime n'avoir rien à offrir à une épouse. Ça, c'était avant de rencontrer Gracie Williams (Joan Leslie), la plus belle fille des Trois-Fourches, qu'il croise quand il va chasser le renard avec son petit frère. Howard Hawks filme avec tendresse et humour ce moment où la mère, George le frère et Rosie la sœur (June Lockhart) comprennent qu'Alvin est, pour la première fois de sa vie, amoureux. Alvin tente de dompter sa tignasse à grands coups de peigne sous les yeux écarquillés de sa famille enfin heureuse que l'aîné se prenne en main.

Pour se marier, il veut acheter du terrain dans la vallée. C'est le début d'une longue séquence où Howard Hawks mêle la comédie à la tragédie. Côté comédie, c'est le compte à rebours lancé pour trouver les 60$ nécessaires à l'achat du terrain. Alvin fait toute sorte de boulots, il chasse des renards pour vendre leur fourrure, il aide aux champs, aux bois. Le récit est jovial avec ce calendrier qui égraine les jours et insiste sur la somme qu'il acquiert. Puis, c'est le concours du bœuf. Il doit tirer au fusil sur une cible pour gagner la bête, et il le remettra en jeu, les paris couvriront le reliquat pour le terrain. Et il gagne le concours, il vise juste mais le terrain lui passe sous le nez. Le vieux Tomkins (Erville Alderson) le propriétaire l'a finalement vendu à Eb.

Cet Eb (James Anderson), c'est le concurrent d'Alvin, il veut séduire Goldie et a acheté le terrain par pure jalousie car il n'en a pas besoin. Alvin qui avait arrêté de boire pour travailler sans cesse, se soûle et, une nuit d'orage, prend son fusil pour tuer Eb. Sur son cheval, il est frappé par la foudre, s'effondre sur le sol. Le canon du fusil est tordu. Alvin voit un signe divin, d'autant que tout se passe juste devant l'église dans laquelle entre alors, Alvin tout en douceur, sous les regards du pasteur et de sa famille, regards bienveillants de le voir enfin converti. Le pasteur engage ses ouailles à entonner le chant « give me old time religion ». Je suis en général peu sensible aux bondieuseries mais Sergent York lie la religion au pacifisme et qui ne se convertirait pas suite à un sermon professé par Walter Brennan ?

Howard Hawks situe son film, tiré d'une histoire vraie (c'est le vrai York qui a exigé Gary Cooper), en 1916. Et aux fins fonds du Tennessee, même si la guerre fait les gros titres, comme on le voit en début de film, c'est le prix du maïs et de la farine qui intéresse les gens. Mais la guerre entre dans les foyers progressivement. S'engager ou ne pas s'engager, telle est la question. Le pasteur conseille à Alvin de s'engager pour mieux pouvoir proclamer que son église est pacifiste. Seulement voilà, la guerre mange les hommes, pacifistes ou non. Il faudra donc plus d'une heure après cette manche du journal pour que Alvin York soit appelé sous les drapeaux, mais il n'est pas encore sergent. Il est considéré comme un objecteur de conscience, pire qu'un traître ou un ennemi.

Howard Hawks filme, malgré ces soupçons des gradés, les premiers pas à l'armée sur un ton joyeux de franche camaraderie. Alvin, de la même manière qu'il s'est converti à la religion, accepte d'être soldat. Avec son cothurne Ross (George Tobias), conducteur de métro à New York, c'est une belle amitié qui naît. Ross explique, non sans humour, à Alvin ce que c'est que le métro. Le petit campagnard du Tennessee et le costaud de la plus grande ville du monde s'unissent pour combattre les Allemands là-bas dans la lointaine Europe. Petit message de propagande de Howard Hawks pour une Amérique qui, quand Sergent York sort en salles, n'est pas encore entrée en guerre. Ils sont certains artistes, cinéastes et acteurs, à œuvrer pour que les Etats-Unis déclarent la guerre aux Nazis et au Japon. Il faudra plus qu'un film pour convaincre les militaires, ce sera Pearl Harbor.

La partie consacré à la guerre dans les tranchées de la bataille des Ardennes n'occupe que les vingt dernières minutes de Sergent York. Comme on l'avait vu avec cette histoire de bœuf et de cible, Alvin York est un expert en tir. Avec son pouce, il humecte la pointe de son fusil, ce sera le geste du film, son leitmotiv à la fois comique car cocasse et plein de bon sens (ce que les gradés ne peuvent pas comprendre et donc pas enseigner) et tragique. Alvin devient alors un tueur abattant des dizaines de soldats. C'est dans ces contradictions, ces mouvements du trivial au tragique, du soleil à la mort que Sergent York devient non seulement émouvant mais aussi troublant tant Gary Cooper fait corps avec son personnage et Howard Hawks rend évidentes ces deux conversions. Gary Cooper reçut un Oscar pour ce film que je tiens pour un de mes Hawks préféré.



































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