Dans
son entretien accordé aux Cahiers du cinéma, Justine Triet
expliquait que le personnage de Vincent Lacoste dans Victoria
était lointainement inspiré de celui de Sacha Guitry dans Désiré
(tiens, deux prénoms en titre de film). Désiré est un valet de
chambre qui a une réputation peu enviable pour se faire embaucher.
Il tombe amoureux de ses patronnes (Guitry les appelle ses
« maîtresses », Désiré les appelle « Madame »).
Madame, c'est Jacqueline Delubac et elle est la maîtresse de
Montignac (Jacques Baumer), le ministre des postes et
télécommunication. Or, Madame veut partir à Deauville dès le
lendemain matin et a besoin d'un valet de chambre.
La
règle du jeu entre domestiques et patrons dans Désiré est
très simple. Ce sont les domestiques qui décident de tout mais ce
sont les patrons qui donnent les ordres. Dans la cuisine, ils sont
trois. Outre Désiré qui veut rentrer au service de Madame, Adèle
(Pauline Carton) est la cuisinière qui aime boire du vin rouge et
Madeleine (Arletty) qui fume des cigarettes et se verrait bien porter
les robes de Madame. Dans le salon, Madame s'apprête à recevoir
Désiré et à lire sa lettre de recommandation de son ancienne
maîtresse. Madame va appeler cette comtesse, après avoir pourtant
affirmé au ministre qu'elle n'aura pas besoin de la faire.
La
comtesse, tout en caressant son lévrier, raconte que Désiré a eu
un geste. Madame veut donc le renvoyer (voici l'ordre qu'elle lance à
Désiré), mais il affirme qu'il serait très bien à ce poste (voici
la décision de rester à son service). D'ailleurs, Adèle et
Madeleine lui ont dit que c'était une bonne maison. Il va donc
convaincre Madame qu'elle doit absolument l'embaucher car sinon sa
réputation à elle risquerait d'en pâtir. C'est toute la logique
des dialogues et répliques de Sacha Guitry qui est à l’œuvre et
qui consiste à jouer sur le sens des mots, à s'en servir pour
retourner le contenu et l'exposer dans la vérité des relations
entre patrons et domestiques.
Entre
Madame et Désiré, c'est un jeu du chat et de la souris. Delubac et
Guitry sont très rarement dans un même plan seuls. Ils sont
accompagnés du ministre, ou d'une autre employée. Quand ils sont
face à face, Sacha Guitry utilise le champ-contrechamp. Et pour les
réunir tous les deux dans le même cadre, il aura recours à un
miroir et il s'approchera d'elle si près qu'elle en aura peur. Puis,
ce sera en rêve qu'il la rejoindra. Même
la confrontation finale est en champ-contrechamp avec ce long
monologue de Désiré Guitry débité à toute vitesse, sans être
interrompu. C'est réjouissant ce tempo tellement loin de la diction
précieuse et théâtrale des films de l'époque.
Ce
qui est encore plus réjouissant dans Désiré, c'est cette
scène de repas où le ministre et Madame ont invité un couple
d'amis. Pas de chance pour eux, lui (Saturnin Fabre) n'a pas pu venir
mais l'épouse (Alys Delonce) sourde comme un pot débarque et il
faut bien lui faire la causette mais ils trouvent l'épouse stupide.
Entre chuchotements, hurlements, cachotteries, éructations, les
dialogues sont mis en scène avec une grande précision. Puis, c'est
la goujaterie superbe de Saturnin Fabre. Guitry venait de cette
classe sociale dont il se moque, ce qui rend Désiré si
grandement amusant, c'est qu'il s'en moque volontiers, il s'en moque
beaucoup et il s'en moque bien.
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