Pendant
des années, regarder le DVD de A
touch of zen était une
torture pour les yeux. Cette époque est révolue car Carlotta sort une édition DVD et BluRay où le
cadre est respecté et où l'image n'est pas terriblement compressée
et pixelisée. Enfin on peut redécouvrir les 3 heures du classique
de King Hu. A
touch of zen est le
premier film en langue chinoise à avoir été présenté au Festival
de Cannes, cinq ans après sa réalisation, en 1975. Il reçut le
Prix de la commission technique. Il fut largement défendu par la
critique française. Le film mit cependant onze ans avant de sortir
en France, entre temps, la réputation du cinéaste n’a cessé de
grandir. Il faut se rappeler que dans cette décennie les films de
Hong Kong et de Taïwan sortant en France étaient surtout des films
de kung-fu projetés en version française, dénigrés par la
critique et traités comme des films de pure exploitation.
Logiquement, King Hu est sorti du lot, semblait une bouée dans cet
océan de nullités. Il était en vérité l’arbre qui cachait la
forêt mais cela sera découvert bien des années plus tard.
La
production d’un film d’une telle longueur, format inhabituel a
été permise grâce aux succès précédents de King Hu. Dragon
Inn, film de sabre
sérieux, a fait un triomphe au box-office et, en bon producteur, le
cinéaste choisit de faire se dérouler A
touch of zen dans
le même contexte historique. La dynastie Ming est toujours dirigée
impitoyablement par l’eunuque impérial, chassant ses opposants et
régnant sur le pays avec injustice. L’ennemi de l’eunuque est
encore une femme, Yang Hui-ching (Xu Feng), la fille d’un résistant
qui s’est réfugiée dans un village reculé au milieu des
montagnes. Elle loge dans le citadelle de Ching-lu, en périphérie
du centre de la ville, un lieu abandonné et hanté, comme le suppose
Ku Sheng-chai (Shih Jun) qui habite en face de cette citadelle.
Le
récit de A
touch of zen s’ouvre
avec le personnage de Ku Sheng-chai, célibataire trentenaire qui
tient une modeste boutique. Il peint des portraits et un client
mystérieux Ouyiang Nin (Tien Peng) vient en commander un. Il n’aura
pas le temps de l’achever, Ouyiang quitte l’échoppe, traverse le
bourg, immédiatement suivi par Ku Sheng-chai qui part à ses
trousses. Cela est l’occasion pour King Hu pour présenter les
autres personnages du film. Sa méthode est simple et adopte le point
de vue de Ku. On apprend d’abord ce qu’ils font puis, plus loin
dans le film, les personnages exposeront leur vraie nature, leur vrai
rôle. Lu (Sit Hon) est l’apothicaire, Shih (Pai Ying) est un
aveugle diseur de bonne aventure. Ce sont deux généraux chargés de
protéger, incognito, mademoiselle Yang de Ouyiang Nin, tueur à la
solde de l’eunuque. Dans sa grande naïveté, Ku mettra un bon
moment à comprendre tout cela.
King
Hu dresse un portrait psychologique de Ku Sheng-chai complet. Pendant
tout le premier tiers de A
touch of zen. Il est
montré affable, sérieux et curieux mais il est constamment frustré
par sa mère (Cheung Bing-yuk), femme castratrice qui explique en
partie son célibat. Cette mère est envahissante et reproche à son
fils de ne pas chercher à briguer un poste dans l’administration.
Plus que cela, elle va chercher à le forcer à épouser Yang et
manigance lourdement pour qu’ils se rencontrent. La mère est un
personnage comique (le seul du film), un monstre d’égoïsme mais
un personnage qui permet d’entrer dans le vif de l’action en
faisant s’entrechoquer deux personnes qui n’auraient jamais dû
se rencontrer. Le danger guette avec l’arrivée de Meng Ta (Wang
Shui), de la police East Chamber. La mère disparait alors du récit,
elle est mise dans une diligence pour la faire quitter le village
afin de la protéger. Il faudra un certain temps à Ku pour choisir
son camp et pour comprendre que Ouyiang est l’ennemi de Yang. Cette
dernière, en deux flash-back, va expliquer son passé et celui de
son père.
La
fuite dans la montagne de Yang et Ku, rapidement suivis de Shih et
Lu, permet au film de rentrer dans sa partie action. Enfin,
concernant le mot action, il ne faut pas s’attendre à un
déchaînement de mouvements ininterrompus. L’action chez King Hu
est minimale et joue sur l’attente, sur la longueur et repose sur
un rythme lent. Il filme les herbes, les arbres, les rochers, les pas
des personnages (cela évoque la manière de Terrence Malick, près
d’une décennie avant lui) avant de lancer les passes d’armes
entre adversaires. Deux scènes se détachent. Un affrontement dans
une forêt de bambous où Shih, Lu et Yang se défendent contre Meng
Ta et ses hommes. La verticalité des bambous dans le format
cinémascope est une belle idée de mise en scène. A grands coups de
sabre, les pousses vont être tranchées pour libérer l’espace
visuel et pour servir d’obstacles aux ennemis. L’autre scène
magnifique de combat oppose le moine Hui Yuan (Roy Chiao) au
commandant Hsu (Han Ying-chieh), ce dernier est secondé par deux
hommes de main dont Sammo Hung dans un de ses tous premiers rôles.
Le moine possède des forces quasi surnaturelles (c’est lui qui
apporte le soupçon de zen du titre), il flotte littéralement sur
les feuilles de branches et va tenter de prodiguer ses vertus à Hsu
pour qu’il renonce à se battre.
Quarante
ans après sa réalisation qui a duré trois ans, A
touch of zen garde
encore quelques beaux moments de grande envolée lyrique,
essentiellement dans son dernier tiers avec l’apparition du
personnage de Roy Chiao, énigmatique, le seul qui ne soit pas
exploité psychologiquement. Car cette psychologie est l’un des
problèmes majeurs du film. Notamment avec Ku Sheng-chai, sur qui
l’attention est portée lors de la première heure, ce qui donne
l’impression que le film ne démarre jamais. La mise en scène
consiste à ne pas dévoiler immédiatement quels sont les enjeux des
personnages, mettant certains dans l’ombre avant qu’ils ne
deviennent personnages principaux. Le film suit une logique complexe
parce que ses héros ont des caractères complexes, cela était
révolutionnaire pour l’époque, mais paradoxalement date
considérablement le film qui a été un échec public retentissant.
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