Le
téléphone sonne. Jake (Theo Taplitz), 13 ans, vient de rentrer du
lycée. Il décroche. Son interlocuteur, un vieil homme, lui demande
quand aura lieu l'enterrement de son grand-père. Jake, interloqué,
ne comprend pas. Il ne sait pas que son grand-père est mort. Ainsi
Brooklyn Village (titre français de Little men) se
lance par un décès qui va avoir une conséquence toute simple et
sur laquelle repose le film : Jake et ses parents, Brian Jardine
(Greg Kinnear) et Kathy (Jennifer Ehle) vont quitter leur appartement
de Manhattan pour s'installer à Brooklyn dans l'appartement de feu
le grand-père dont Brian a hérité.
Tout
va changer dans la vie du timide Jake. Au milieu de ses camarades de
classe qui chahutent bruyamment, il est isolé, le seul à rester
assis derrière son bureau en train de dessiner. Le professeur entre
dans la classe, passe dans les rangées et demande à Jake pourquoi
il a dessiné un ciel vert. La liberté de l'artiste en herbe. Chez
lui aussi, Jake passe son temps à dessiner. Les feuilles
s'accumulent sur son bureau. Son père l'encourage à poursuivre dans
cette voix, d'ailleurs Brian est aussi artiste, un acteur pas
franchement connu, un comédien de théâtre qui répète La Mouette
de Tchekhov.
La
rencontre qui va changer la vie de Jake est celle de Tony (Michael
Barbieri), ado du même âge, un jeune gars d'origine chilienne qui
vit avec sa mère. Son père est médecin et travaille en Angola. Il
ne le voit quasiment jamais. Tony sur son skateboard et Jake sur ses
patins à roulettes sympathisent immédiatement. Ils se promènent
dans le quartier de Williamsburgh. De temps en temps, Tony joue avec
ses potes au basket. Jake les observent mais ne joue pas. Les autres
garçons se moquent un peu de lui, percevant sans doute qu'il est
gay. Mais Ira Sachs suggère qu'il est, il n'appuie pas sur cet
aspect.
Après
les amours complexes dans Keep the lights on (deux hommes
d'une vingtaine d'années), les déchirements de Love is strange
(deux hommes âgés forcés de ne plus habiter ensemble), Brooklyn
Village évoque une amitié naissante entre deux adolescents que
tout oppose. Jamais il ne sera vraiment dit si Jake est amoureux de
son nouvel ami qui passe son temps à regarder les filles, sans
vraiment grand succès comme la scène de la boom le montre. Cette
délicatesse de la description de ces deux « petits hommes »
est la plus grande qualité du film. Ils grandissent ensemble,
s'influencent et envisagent d'entrer dans la même école artistique.
Le
grain de sable qui empêche la machine de tourner rond vient du
magasin de fringues tenu par la maman de Tony. Leonor (Paulina
Garcia) est locataire de cette boutique située sous l'appartement de
Brian et Kathy. Et Audrey (Talia Balsam), la sœur de Brian aimerait
pouvoir augmenter le loyer. Ira Sachs évoque la gentrification qui
transforme Brooklyn. La bataille d'arguments entre Leonor et les
Jardine d'abord en sourdine, en sourires polis, se transforment en
violence larvée, en remarques mesquines, en rendez-vous manqués. Et
ce sont les deux ados qui trinquent. Les parents refusent qu'ils se
voient, qu'ils se fréquentent.
Ira
Sachs et son scénariste Mauricio Zacharias ne le cachent pas, leur
beau mouvement scénaristique est directement inspiré de Bonjour
de Yasujiro Ozu. Jake et Tony font la grève de la parole ce qui a le
don d'irriter prodigieusement les parents. Dans le film, cela amène
un peu de légèreté au milieu de cette tension. Ce silence, pensent
les deux petits hommes, devrait forcer les grandes personnes à
discuter entre elles. Mais la vie est rarement comme dans les films,
tout ne se passe pas aussi bien. Dans son finale mélancolique,
Brooklyn Village se tourne vers l'art pour protéger ses deux
ados de la réalité du monde.
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