En
regardant la toute première séquence du Diable, je ne
pouvais pas m'empêcher d'imaginer la tête des patrons d'Andrzej
Zulawski, l'institut du cinéma polonais, quel que soit son nom, en
découvrant ce qui se passe sur l'écran. Le film en costumes, le
récit d'époque sur une période trouble de la Pologne, quand la
Prusse décide de l'envahir, une histoire prometteuse sur la
résistance de la Nation se transforme par la magie folle furieuse du
cinéaste en chaos indescriptible, en bataille de nerfs, en cris sans
chuchotements. Le style d'Andrzej Zulawski est là, pendant deux
heures, et cela lui vaudra une censure de son pays. Le Diable
ne sera vu en Pologne que 15 ans plus tard.
Cette
séquence d'ouverture se déroule dans un asile de fous, la caméra
traverse les couloirs lugubres de ce qui ressemble au sous-sol d'un
château. Les fous et les aliénés, des deux sexes, en haillons,
crient, hurlent, éructent, fixent la caméra, s'arrachent les
cheveux, déchirent vivement leur vêtements, se roulent par terre,
esquissent des gestes de déments. Tout ça dans un bruit
assourdissant car les voix se superposent et s'entrechoquent et tout
est filmé à un rythme effréné, un tempo qui prendra le spectateur
jusqu'au finale. En tout cas moi, je suis allé rejoindre cette
farandole zulawskienne. Tout ça pour arriver au fin fonds d'une
cellule.
Dans
cette cellule aux barreaux de bois, Jakub (Leszek Teleszynski, déjà
l'acteur principal de La Troisième partie de la nuit),
cheveux hirsutes, barbe fournie et toujours ces sourcils qui se
rejoignent. Jakub se fait délivrer par un homme (Wojciech Pszoniak),
à moins que ce ne soit le diable du titre. Un barbu blond qui
avancera le dos constamment courbé, observant Jakub de loin comme de
près, lui guidant ses gestes, l'aidant à avancer vers sa destinée.
Le diable libère également une nonne qui s'avère être sa sœur.
Le trio traverse dans l'autre sens tout l'espace que nous venons de
traverser et le périple à travers le chaos polonais commence.
Plutôt
que parler de mise en scène cinématographique, je devrais écrire
chorégraphie tant les déplacements des acteurs au sein du cadre
apparaît comme un ballet. Mais une chorégraphie contemporaine comme
on parle de musique contemporaine (d'ailleurs, on retrouve les
guitares stridentes et les ruptures de ton dans la bande originale,
loin des violons et clavecin auxquels un film qui se déroule au
18ème siècle nous a habitués). La caméra en mouvement précède
toujours le personnage qui ne cesse d'avancer, parfois de traverser
les saisons en un seul plan, de changer de lieu, d'ouvrir les portes
sans jamais s'arrêter d'étonner.
Conseillé
par le diable, Jakub va semer la mort partout où il se trouve et
croiser des cadavres. Armé de sa lame de rasoir, il croise beaucoup
de femmes. Sa fiancée va se remarier avec un Républicain, sa mère
s'avère être une prostituée, la nonne reste figée devant le
cadavre du père, une artiste de cirque l'attire. Les yeux sont
écarquillés, les dialogues lancés avec rapidité sur un ton
solennel. Comme pour les déplacements chorégraphiés, les visages
et les gestes, surtout les mains, sont théâtralisés à l'extrême.
Plus encore que La Troisième partie de la nuit, regarder Le
Diable demande de l'endurance, le nombre de morts est très
impressionnant et éprouvant.
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