Les
quolibets qui ont suivi les projections de Nos souvenirs au
Festival de Cannes 2015 (alors simplement titré The Sea of trees)
ont retardé de près d'un an sa sortie en salles. La presse aurait
sifflé le film lors de sa présentation. Qu'on se rende compte, Gus
Van Sant n'aurait pas fait un énième film sur des adolescents en
skateboard, ou un chanteur junkie ou des lycéens meurtriers. Au lieu
de ça, Arthur (Matthew McConaughey) un prof de sciences qui décide
de tout plaquer pour prendre un avion sans aucun bagage, s'envoler au
Japon et pénétrer dans une forêt malgré les panneaux qui en
interdisent l'entrée.
Les
quinze premières minutes de Nos souvenirs se présentent sans
un seul mot, mais avec un beau design sonore. On n'entend que le son
des pas d'Arthur sur le sol et une musique planante et inquiétante,
la caméra suit son personnage dans ce parcours d'abord balisé par
des pancartes, un chemin en forme de serpent composé de planches,
des cordes de toutes les couleurs, jusqu'à ce panneau qui indique la
fin de la promenade. Arthur franchira la barrière et s'avancera plus
profondément dans la forêt, de plus en plus épaisse, avec des
arbres immenses que Gus Van Sant filme comme un prison dans laquelle
Arthur va s'enfermer.
Tandis
qu'il s'enfonce, l'obscurité s'impose, puis c'est le froid. Et sur
le sol, il remarque des objets disparates, et un corps. Dans cette
forêt juste à côté du mont Fujiyama, les gens désespérés
viennent se suicider. Et tout à coup, Arthur croise un homme, un
Japonais (Ken Watanabe), qui – miracle – parle anglais. L'homme
est blessé, il titube. Arthur lui donne sa large veste beige pour le
réchauffer, il déchire une manche de sa chemise pour soigner ses
blessures aux poignets. Le Japonais veut retrouver le chemin pour
partir d'ici au plus vite, mais le chemin a disparu. Ce sont des
naufragés au milieu de cette mer d'arbres.
Comme
dans tous les films de Gus Van Sant, la marche de ses personnages est
le moteur du récit, Gerry (autre film bien moqué à l'époque
et qui sortit en salles deux ans après sa production, et encore
grâce à la Palme d'or à Elephant) est son film où la
marche est poussée dans la plus grande abstraction. Nos souvenirs
souffre d'un grave défaut : tout est expliqué à grands coups
de flash-backs. On découvre la vie d'Arthur dans la Massachusetts,
sa vie de couple avec son épouse (Naomi Watts) alcoolique et
atteinte d'une tumeur. Leurs disputes tout comme leur amour sont
étalées au premier degré. De la guimauve.
Pour
ma part, cette idée de deux naufragés au milieu d'une forêt
peuplée de signes mortifères me plaît beaucoup plus que les
séquences de la vie de couple. On remarquera que les scènes de jour
au Japon s'oppose aux séquences de nuit des flash-backs, et
inversement quand la nuit arrive et que l'obscurité devient totale
sur l'écran. La marche d'Arthur et du Japonais dure quelques heures
où ils ne cessent de trébucher, de s'esquinter, de se blesser, de
crever de faim et de froid. Gus Van Sant touche à un fantastique,
énonce un lieu mystérieux où l'on comprend assez vite la vraie
nature du Japonais.
Le
choix de Gus Van Sant de faire de Matthew McConaughey sa victime
expiatoire est étonnante. L'acteur texan est plus habitué (et je ne
parle que de ses films depuis Tonnerre sous les tropiques et
non des ses rôles sans chemise) aux grandes gueules qui foncent dans
le tas. Gus Van Sant prend un malin plaisir à le faire porter les
vêtements des suicidés qu'il découvre aux recoins des bois, à le
couvrir de boue et d'eau. Mais le plus important, il lui fait dire
« qu'en tant que scientifique, il pense que Dieu n'existe
pas », exactement l'inverse de ce que disait son personnage
dans Contact de Robert Zemeckis, plus proche de ses
convictions religieuses. Un vrai rôle de composition.
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