Ah,
enfin un film à Paris ! Je constatais la semaine dernière que
de nombreux films abandonnaient Paris pour la province. Filmer Paris,
ça veut dire pour moi pas seulement faire se dérouler l'action
là-bas, mais aussi inscrire ses décors, le domicile des
protagonistes, leur lieu de travail puis de loisir et le trajet entre
ces trois éléments dans le scénario. Mia Hansen-Løve fait de
Paris la place centrale de L'Avenir, son film – son meilleur
– ne pourrait pas se passer ailleurs.
Nathalie
(Isabelle Huppert) en avale des kilomètres, elle ne cesse de courir
dans tous les sens, dans toutes les directions, du matin au soir.
Chez elle, dans son grand appartement des Hauts de Seine, elle fait
le tour des pièces, de l'immense bibliothèque chargée de livres de
philosophie à sa cuisine où elle improvise une poularde pour Noël
au salon où elle se pose à peine quelques secondes. Isabelle
Huppert semble ne jamais s’asseoir plus de quelques secondes.
Dans
Paris, elle enseigne la philosophie dans un lycée près du bois de
Vincennes, un lycée populaire quand son mari Heinz (André Marcon)
l'enseigne à Henri IV, lycée huppé du centre de Paris. Nathalie
prend le métro, parfois le bus, traverse les couloirs et se voit
refuser, en début de film, l'accès au lycée par des grévistes
lycéens bien revendicatifs. Le film se déroule sous la présidence
Sarkozy. Nathalie vient chercher, à grandes enjambées, les élèves
qui tentent de venir à son cours.
Pendant
ces grèves, l'enseignante et les élèves préfèrent faire cours
sur les pelouses du parc de Vincennes. Le téléphone de Nathalie
sonne toutes les trente secondes, c'est sa mère (Edith Scob) qui
harcèle sa fille pour un oui pour un non. Menace de suicide (les
pompiers n'en peuvent plus), un objet égaré (où est son vison), un
ennui mortel à combler. La maman accable sa fille de sa présence.
Là encore Nathalie jongle avec les trajets pour soulager sa mère.
Autre
parc, autre personnage. Dans les Buttes Chaumonts, Nathalie rencontre
Fabien (Roman Kolinka), l'un de ses anciens élèves, thésard
baba-cool. Ils se tutoient et se voient de plus en plus. Elle tient
une collection sur la philosophie chez un petit éditeur, dont les
nouveaux gérants veulent tout révolutionner (aussi revendicatifs
que les lycéens mais bien plus obséquieux), elle veut publier
Fabien, lui aussi personnage qui ne cesse de se déplacer, surtout en
vélo.
Si
L'Avenir quitte Paris et ses rues, c'est pour aller sur la
tombe de Chateaubriand (flashback d'ouverture), c'est pour se rendre
en grande banlieue quand Nathalie loue à sa mère un appartement
dans une luxueuse résidence de retraités (elle culpabilise un peu
mais pas trop) puis pour voyager dans le Vercors (métro, TGV, TER
Rhône-Alpes, voiture) pour y accéder. Fabien vit désormais là-bas
avec une bande d'autres étudiants philosophes qui causent
philosophie en allemand.
Cette
partie dans le Vercors où Nathalie emmène le chat noir obèse de sa
maman n'est pas une évasion hors de Paris. Elle y va parce que plus
rien ne la retient à Paris, ni ses enfants maintenant adultes qui
mènent une vie banale, ni sa mère maintenant en maison de repos, ni
Heinz qui a une maîtresse. Fabien subit la très forte influence de
Nathalie et reproduit, sans s'en rendre compte, au beau milieu des
montagnes du Vercors le schéma familial de Nathalie alors qu'il
croit devenir un révolutionnaire.
L'une
des plus belles scènes de L'Avenir arrive quand Heinz a enfin
quitté l'appartement conjugal. Nathalie avait déjà pesté contre
les roses qui trônaient au milieu du salon, une habitude que son
mari n'a pas perdu. Cette fois, elle constate qu'une bonne partie des
bouquins de la bibliothèque ont été emportés par Heinz. Isabelle
Huppert a le ton juste, la bonne intonation, le visage parfait et la
posture précise pour faire de cette scène un moment de cocasserie,
de désespoir et de drôlerie.
Les
films de Mia Hansen-Løve ne m'avait jusqu'à présent jamais
convaincus, ses deux derniers étaient plombés par l'absence de
charisme de ses interprètes. L'Avenir regorge de répliques
et situations de comédie, avec au centre Isabelle Huppert en très
grande forme. Depuis quelques films, Huppert faisait du Huppert et
les cinéastes la laissaient faire. Je ne l'avais pas vue aussi vive
et subtile depuis longtemps, j'oserais dire depuis La Cérémonie
de Claude Chabrol (ou presque).
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