Trois
parties (de durée à peu près égale), trois lieux (une petite
chambre, un camion, un appart), trois personnages (Chantal Akerman,
Niels Arestrup et Claire Wauthion, respectivement). Et pourtant, le
premier film de Chantal Akerman a quatre éléments dans son titre Je
tu il elle. Qui est ce tu
qui vient en deuxième position ? Le public, une personne que
l'on ne verra jamais, ou tout simplement cette elle
chez qui Chantal va se rendre ?
Commençons
par le je,
une voix douce, assez aiguë raconte sa vie dans une chambre
encombrée de meubles, un lit, une table, une lampe. Les murs sont
blancs et noirs (comme la photographie) éclairées par une lumière
vive. Elle raconte qu'elle déplace les meubles, égrène les jours
dans ce nouvel appartement. Elle raconte qu'elle écrit une lettre.
Puis une deuxième lettre, plus longue. Elle mange du sucre poudre à
la cuiller. Elle enlève ses vêtements. Elle se couche.
La
caméra est en plan fixe, esquive deux panoramiques pour suivre la
jeune femme. Chantal se déplace devant la porte-fenêtre de la
chambre. Il neige dehors. Un homme, dont on ne voit que la
silhouette, passe devant la fenêtre. Elle reste nue, couverte par
son pull, elle semble l'appeler. Chantal Akerman dilate le temps de
cette première séquence, 28 jours, et compresse l'espace, avant
d'enfin quitter ce lieu, sans même prendre la peine de fermer la
porte-fenêtre.
Chantal
fait du stop sur une branche d'autoroute. Un camionneur la prend en
stop. Elle s’allonge dans sa cabine. Ils vont s'arrêter dans un
restau routier, manger un plat chaud. Ils boivent de la bière.
Retour dans le camion. Le chauffeur est filmé au plus près. Ils ne
se parlent pas. Ils font escale dans un café, ils disent bonjour à
tout le monde (que des gars, sans aucun doute eux aussi camionneurs),
ils boivent des bières. Le temps et l'espace sont compressés, une
seule nuit.
Niels,
toujours vêtu de son t-shirt blanc, a une carrure costaude qui
fascine Chantal, il
raconte sa vie sexuelle tandis qu'il conduit. Sa rencontre avec sa
femme à l'âge de 18 ans, son premier enfant qui a 11 ans maintenant
et pour laquelle il avoue avoir une excitation, ses érections
perpétuelles. Il raconte l'horreur d'une vie banale qu'il fuit en se
déplaçant dans toute l'Europe. Il demande à Chantal de le
masturber. Elle ne dira pas un mot. Elle regarde il
et s'en va vers elle.
Chantal
va enfin la retrouver, elle
qui habite dans un appartement spacieux. Elle hésite à appuyer sur
la bouton de l’ascenseur, puis à entrer à son domicile. Elle est
une belle femme aux cheveux clairs. Elles ne causeront presque pas.
« J'ai faim », dit Chantal. Elle lui apporte un sandwich.
« J'ai soif », voici un verre de vin. Elles ne se diront
rien de plus. Elle sont assises l'une en face de l'autre autour de la
table, un obstacle qui sert à protéger Claire de Chantal.
Puisqu'elles
ne se disent pas un mot, elles se regardent. Ou plus précisément,
Chantal regarde Claire, puis commence à ouvrir son corsage. Tout se
terminera dans une chambre, comme cela a commencé. Les deux femmes
sont nues sur le lit blanc, leur peau se confond presque avec les
draps. Elles font l'amour, tendrement. Je
est avec elle,
le parcours a été tortueux pour qu'elles se retrouvent et ne
fassent plus qu'une, puis Chantal, au petit matin, repart vers un
nouveau périple.
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