Sorti
dans une indifférence quasi générale, peu de salles, peu de presse
(faut dire que ya tellement de films chaque mercredi, faut dire que
ya tellement de documentaires sociaux), Le Chant d'une île
fait préquelle au journal très intime de Joaquim Pinto Et
maintenant ? (2h45 sur sa vie ainsi que celle de son
compagnon Nuno Leonel), élégie du calme face à la tempête. Les
deux hommes sont allés en vacances sur l'une des îles des Açores,
archipel portugais au beau milieu de l'océan atlantique. Le Chant
d'une île est leur rencontre avec des pécheurs du petit village
portuaire Rabo de Peixe (queue de poisson).
Joaquim
et Nuno ont filmé un an, de décembre 1999 à décembre 2000. On les
verra rarement à l'écran (contrairement à Et maintenant ?),
parfois en photos, éventuellement quand Nuno plonge dans une piscine
pour aider un ami qui apprend à nager. Les deux horsains sont
constamment présents en voix off, alternant les commentaires sur les
pécheurs qu'ils filment avec patience et discrétion. Tiens, les
mômes qui ne vont pas à l'école veulent prendre la caméra, ils
leur filent l'appareil et intègrent les images tremblantes où ils
se filment entre eux, les visages, les mains qui travaillent.
Venus
de métropole, Joaquim et Nuno doivent d'abord se faire accepter par
les villageois. Leur porte d'entrée s'appelle Artur qui va leur
présenter son gendre Pedro, jeune père de famille, homme heureux de
posséder son propre bateau et d'être son propre patron. Les deux
cinéastes reporters embarquent sur le bateau, pas un immense cargo,
mais une barque – ou quasi – où six hommes peuvent tenir. Se
lever à trois heures du matin, aller à 60 km des côtes et suivre
le travail de Pedro et des pécheurs, tous des jeunes gars qui ne
disent pas grand chose, concentrés à jeter les fils verts armés
d'hameçons.
Le
père pèche des chinchards (des petits poissons qui se déplacent
par ban entier et qui sont près du port), le gendre chasse des
espadons. La police maritime vient le contrôler régulièrement,
vérifier ses permis. Parfois il ne rentre qu'avec des requins bleus,
mauvais jour. Tous les gros poissons partiront à l'export, au Japon,
aux USA. Pour lutter contre la concurrence, pas celle des autres
villageois, celle des coréens, Pedro achète un plus grand bateau.
Pas de pot, il n'a pas la licence, et doit faire une formation,
autant de temps sans aller pécher, chômage technique pour ses
employés. Pas question de défier la police maritime.
La
fascination de Joaquim et Nuno pour ces hommes est sincère. Aucune
femme n’apparaît dans le film, sauf d'un peu loin. Ils rencontrent
Manuel le jumeau de Pedro, tous deux au large sourire. Eduardo le
cousin dont ils filment les derniers instants avant de décéder en
mer. Preto un adolescent dont ils disent, devant sa beauté sauvage,
qu'il est le fils de Zeus et d'un dauphin. Rui, l'ancien paysan, qui
apprend à nager. Emanuel qui prend des cours de plongée pour
s'engager dans l'armée. Et les enfants qui vont si peu à l'école
attendant de devenir pécheur à leur tour, seul destin à leur vie.
La
vie n'est pas idyllique, Rabo de Peixe n'est pas un paradis sur
terre. Joaquim et Nuno évoquent pêle-mêle la pèche à outrance,
l'entrée de l'euro – janvier 2002, souvenez-vous – la vie
pauvre, les tempêtes, les éruptions volcaniques, l'année scandée
par les fêtes religieuses. Parfois ils pique-niquent avec la famille
d'Artur et découvrent des contrées enchanteresses. Là on se rend
compte que les adultes font quinze de plus que leur âge. Et Joaquim
n'a peur que d'une chose, que Nuno lors de ses plongées sous-marines
ne remontent jamais. Ils habiteront sept années sur cette île.
Captures
d'écran issues du DVD édité par Potemkine.
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