Je
considère que la meilleure adaptation des Malheurs de Sophie
de la Comtesse de Ségur née Rostopchine a été faite par Gotlib et
Alexis dans Cinémastock (Editions Dargaud, 1975). Terriblement
hilarant, le premier signait les dialogues de la bédé avec son sens
inné de reconfigurer des répliques surannées, le second au dessin.
La cruauté des châtiments que subissaient l'enfant à chacune des
ses bêtises, toutes plus invraisemblablement anachroniques les unes
que les autres (elle déclenchait la guerre nucléaire), ne faisaient
qu'augmenter . Chaque gag était ainsi conclu par « ce fût une
bonne leçon pour Sophie et à partir de ce jour sa mère ne fût
plus colère. »
L'ambition
de Christophe Honoré n'est pas d'aller sur le terrain d'Alexis et
Gotlib, mais ce qui frappe dès les premières minutes des Malheurs
de Sophie, c'est tout simplement le choix du format de projection
(1:37), un carré comme pour rappeler les temps anciens, une lumière
sobre et une caméra portée à l'épaule, ce qui s'avère plus
facile pour suivre les déambulations dans le château des Réan de
Sophie (Caroline Grant). Le film est scindé en deux parties et
chacune est commentée, face caméra, par deux personnages. D'abord
le domestique Baptistin (Jean-Charles Clichet) à l'air abattu devant
les bêtises de l'enfant puis par Madame de Fleurville (Anaïs
Demoustiers), la tante de Sophie.
Par
ces procédés tout simples, Christophe Honoré peut laisser libre
cours à sa fantaisie. Les animaux (écureuil ou hérissons) seront
en animation (conçue par Benjamin Renner), inclure une chanson au
milieu du récit (toujours la musique d'Alex Beaupain) suivant la
formule entamée par Sofia Coppola dans Marie-Antoinette,
faire vivre deux tableaux sur le mur pour évoquer le voyage des Réan
en Amérique et leur navire échoué. Si la première partie où
Sophie vit avec sa maman (Golshifteh
Farahani) est printanière, enjouée et solaire, la deuxième avec sa
belle-mère (Muriel Robin) est hivernale et sombre.
Le
fil conducteur du récit est une poupée offerte par ce père absent,
dont on ne verra jamais le visage, ombre chinoise, simple silhouette.
Les hommes, sauf Baptistin puis Joseph (David Prat) les deux
domestiques – personnages lumineux, sont absents du film. Ce sont
les femmes qui dirigent les châteaux, qui élèvent les enfants.
Madame de Réan reçoit des conseils bien étranges du curé (Michel
Faux), mais ce dernier est montré comme un imbécile, un incapable,
une créature chimérique. Une belle occasion de se moquer de ce
corbeau de mauvaise augure, comme de la pédanterie de cette
aristocratie cacochyme.
Les
maîtresses de maison sont souffrantes dans Les
Malheurs de Sophie.
Madame de Réan est fatiguée des facéties de sa fille, de l'abandon
de son mari, de ce départ pour l'Amérique. Elle en perdra la voix
et le sourire. La belle-mère est tout simplement folle à lier (mais
Muriel Robin rend hilarant cette Folcoche du 19ème siècle). Madame
de Rosbourg (Marlène Saldana) a eu un accident de calèche devant la
demeure des Fleurville, cette dernière l'accueillera, ainsi que sa
fille, observant en silence les malheurs de Sophie.
Le
film est propose suffisamment de péripéties pour plaire aussi aux
enfants, mais on est très loin du tout venant du divertissement
habituel produit par Gaumont. Les gamines qui jouent dans le film
débitent sur un ton étrange les répliques, sans naturalisme, ni
d'effets de mode. Dans le générique final, chaque interprète se
présente au public de manière charmante. Maintenant, j'aimerais
bien pouvoir regarder ce que Jean-Claude Brialy avait pu faire en
adaptant certains récits de la Comtesse de Ségur.
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