samedi 28 décembre 2019

Talking about trees (Suhaib Gasmelbari, 2019)


Il faudrait un film sur le cinéma chaque fois que le cinéma est abîmé, censuré, détruit par une économie prônant la cupidité (comme Cinéma mon amour en Roumanie), le totalitarisme (comme dans Sommeil d'or de Davy Chou sur la destruction des films par les Khmers Rouges) ou l’extrémisme religieux (l'Afghanistan avec Nothingwood puis Kabullywood). Talking about trees lui se passe au Soudan où le cinéma n'existe plus depuis 1989, depuis qu'un général a décidé de prendre le pouvoir et règne dans la terreur.

La première victime des dictateurs est toujours le cinéma (j'en parle régulièrement au sujet de la Chine de Xi Jinping, voir ce à quoi est réduit aujourd'hui le cinéma de Pékin comme celui de Hong Kong). Talking about trees évoque une Histoire du cinéma soudanais avec quatre vieux briscards qui ont fondé une association le SFG (Sudanese Film Group, un site existe pas folichon mais il existe) juste avant ce coup d'état militaire. C'est essentiellement dans les locaux de cette association que le film prend place.

On discute beaucoup du passé car les films datent d'avant. Souvent de l'époque où ils étaient étudiants. L'un a étudié en RDA et tourné un film là-bas (La Chasse, on en voit un extrait, en noir et blanc, un Africain est chassé par un Allemand, montage ultra cut), un autre a étudié en URSS (il appelle son ancienne école de cinéma, il parle russe, en espérant que l'école soviétique aura conservé son film de fin d'études, un documentaire tourné dans les rues de Moscou). On voit d'autres extraits de films soudanais.

Cette partie pleine de nostalgie laisse un peu sur notre faim. J'aurais aimé en savoir plus, en voir un peu plus. La nostalgie n'est pourtant pas le regret de ce passé. Manar Al Hilo (producteur), Ibrahim Shadad, Suleiman Ibrahim et Altayeb Mahdi (cinéastes) ont d'autres projets. Ils se déplacent avec un vidéo projecteur et montrent des films ici et là. Par exemple des films de Charles Chaplin, Les Temps modernes puis Les Lumières de la ville. On entend pendant ces projections les enfants rire, mais aussi nos quatre cinéastes et producteur.

Tout n'est pas simple parce que l'électricité est rare. Quand l'électricité ne fait pas défaut, c'est l'écran qui se referme en plein pendant le film. Alors les quatre amis se lèvent et montent sur un escabeau, tiennent l'écran pour que la séance continue. Les vieux cinéastes se marrent de ce bricolage intensif parce que tout doit se passer dans la bonne humeur (oui, ça change des râleurs, y compris dans la salle où j'ai vu le film qui s'appelle d'ailleurs « En attendant le bonheur », comme le film de Abderrahmane Sissako qu'ils projettent aussi.

Leur grand projet qui prend une bonne partie du film est d'ouvrir une salle de cinéma et de faire une séance de Django Unchained. On suit les déboires, les déconvenues face à la bureaucratie typiquement kafkaïenne (tous les services sont pétrifiés à l'idée d'un tel projet). Là encore c'est dans une joie communicative que le cinéma se construit à nouveau, le film est comme ces deux Chaplin, une comédie sur une situation très dramatique. Depuis la fin du tournage du documentaire, le dictateur a enfin été renversé mais Django Unchained n'a pas encore été projeté.

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