Il
faudrait un film sur le cinéma chaque fois que le cinéma est abîmé,
censuré, détruit par une économie prônant la cupidité (comme
Cinéma mon amour en Roumanie), le totalitarisme (comme dans
Sommeil d'or de Davy Chou sur la destruction des films par les
Khmers Rouges) ou l’extrémisme religieux (l'Afghanistan avec
Nothingwood puis Kabullywood). Talking about trees
lui se passe au Soudan où le cinéma n'existe plus depuis 1989,
depuis qu'un général a décidé de prendre le pouvoir et règne
dans la terreur.
La
première victime des dictateurs est toujours le cinéma (j'en parle
régulièrement au sujet de la Chine de Xi Jinping, voir ce à quoi
est réduit aujourd'hui le cinéma de Pékin comme celui de Hong
Kong). Talking about trees évoque une Histoire du cinéma
soudanais avec quatre vieux briscards qui ont fondé une association
le SFG (Sudanese Film Group, un site existe pas folichon mais il
existe) juste avant ce coup d'état militaire. C'est essentiellement
dans les locaux de cette association que le film prend place.
On
discute beaucoup du passé car les films datent d'avant. Souvent de
l'époque où ils étaient étudiants. L'un a étudié en RDA et
tourné un film là-bas (La Chasse, on en voit un extrait, en
noir et blanc, un Africain est chassé par un Allemand, montage ultra
cut), un autre a étudié en URSS (il appelle son ancienne école de
cinéma, il parle russe, en espérant que l'école soviétique aura
conservé son film de fin d'études, un documentaire tourné dans les
rues de Moscou). On voit d'autres extraits de films soudanais.
Cette
partie pleine de nostalgie laisse un peu sur notre faim. J'aurais
aimé en savoir plus, en voir un peu plus. La nostalgie n'est
pourtant pas le regret de ce passé. Manar Al Hilo (producteur),
Ibrahim Shadad, Suleiman Ibrahim et Altayeb Mahdi (cinéastes) ont
d'autres projets. Ils se déplacent avec un vidéo projecteur et
montrent des films ici et là. Par exemple des films de Charles
Chaplin, Les Temps modernes puis Les Lumières de la ville.
On entend pendant ces projections les enfants rire, mais aussi nos
quatre cinéastes et producteur.
Tout
n'est pas simple parce que l'électricité est rare. Quand
l'électricité ne fait pas défaut, c'est l'écran qui se referme en
plein pendant le film. Alors les quatre amis se lèvent et montent
sur un escabeau, tiennent l'écran pour que la séance continue. Les
vieux cinéastes se marrent de ce bricolage intensif parce que tout
doit se passer dans la bonne humeur (oui, ça change des râleurs, y
compris dans la salle où j'ai vu le film qui s'appelle d'ailleurs
« En attendant le bonheur », comme le film de
Abderrahmane Sissako qu'ils projettent aussi.
Leur
grand projet qui prend une bonne partie du film est d'ouvrir une
salle de cinéma et de faire une séance de Django Unchained.
On suit les déboires, les déconvenues face à la bureaucratie
typiquement kafkaïenne (tous les services sont pétrifiés à l'idée
d'un tel projet). Là encore c'est dans une joie communicative que le
cinéma se construit à nouveau, le film est comme ces deux Chaplin,
une comédie sur une situation très dramatique. Depuis la fin du
tournage du documentaire, le dictateur a enfin été renversé mais
Django Unchained n'a pas encore été projeté.
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