dimanche 29 décembre 2019

Soleil vert (Richard Fleischer, 1973)

On n'a jamais été aussi proches de l'époque où se déroulera Soleil vert, 2022. Et avec l'agent orange à la tête de la Maison Blanche, cet état de fin du monde, de pollution permanente (Richard Fleischer la filme avec un filtre orange justement, comme du sable qui s'abat en permanence sur New York) et de pauvreté d'une immense majorité de la population, semble s'approcher à grands pas. Pas un jour où les informations, les reportages et les documentaires n'annoncent qu'un dérèglement climatique ne crée une catastrophe naturelle.

Ce qui s'observe d'abord dans Soleil vert est l'environnement saturé de pauvres. Quand Thorn (Charlton Heston) sort de son appartement, il doit enjamber des dizaines de personnes, hommes, femmes, enfants, jeunes, vieux, en train de tenter de dormir sur les escaliers. Il passe d'un appartement modeste mais vide à cette promiscuité, cette sur-population en une seconde. Voici la normalité du film que le cinéaste déroule comme dans n'importe quelle autre scène d'ouverture, il laisse son spectateur découvrir simplement ce monde.

Thorn n'a jamais connu que ce monde, pour lui tout cela est normal, mais il vit avec un vieillard Sol Roth (Edward G. Robinson, l'acteur est décédé peu après le tournage) qui a connu les animaux, les plantes, l'air pur, les forêts et la vraie nourriture. Car en 2022, la bouffe est devenue une plaque, une sorte de biscuit. Chaque jour sa couleur de biscuit et le mardi c'est le vert, Soylent green. Les gens se battent dans la rue pour acheter du Soylent. Le produit est régulièrement en pénurie, c'est l'émeute et qui dit émeute, dit police anti-émeute.

C'est sans doute l'une des scènes les plus marquantes de Soleil vert, celle de la répression de la population par des bennes anti-émeute. Des camions traversent la foule qui proteste contre la pénurie. Des pelles dentées à l'avant des camions ramassent (à la pelle, logiquement) les manifestants et les mettent dans une benne à l'arrière du camion. Il n'est jamais vraiment expliqué ce qui advient de ces protestataires, s'ils sont morts, s'ils sont en détention, mais compte tenu du reste du film, j'ai toujours imaginé qu'ils finissent eux aussi dans l'usine de soylent green.

Avant cette scène, le film fait croire que Thorn mène une enquête, il fait figure de simple film policier avec un meurtre déguisé en cambriolage qui a mal tourné. Celui d'un homme riche Simonson (Joseph Cotten). Il vit dans une luxueuse résidence. Contrairement à Thorn et Sol Roth, il a des vrais aliments. Thorn se servira dans le frigo, steak, salade pour le plus grand plaisir de Sol. Il ne profitera aussi pour boire de l'eau, grand luxe. Voici ainsi les deux environnements décrits, un monde de très pauvres, très nombreux et celui des riches, très rares.

Le film va un peu plus que la bouffe et le logement comme facteurs de classes sociales. Dans l'appartement, Thorne découvre Shirl (Leigh Taylor-Young), jeune et jolie femme brune. Shirl n'est pas l'épouse du défunt, elle est du mobilier. Il faut voir avec quelle violence Charles (Leonard Stone), le concierge de la résidence, frappe et humilie les femmes dites de mobilier qui s'étaient retrouvées chez Shirl, coups de poing dans l'estomac, gifles. Seule l'arrivée de Thorn dans l'appartement interrompt la punition de Charles sur ces femmes.

Quand le film commence, Thorn est un personnage arrogant, sûr de lui et de son bon droit. Flic sans envergure, moqué par ses pairs, mal considéré par sa hiérarchie, il ne se rend pas compte de la corruption de la société qu'il s'évertue à défendre malgré tous les avertissements de Sol Roth et les signes autour de lui. En début de film, Thorn est un homme aveugle, son champ de vision est obstrué par l'épais brouillard orange. Quand on lui demande de fermer les yeux sur la mort de Simonson, il commence à les ouvrir petit à petit.


C'est tout autant le vieux Sol Roth, vieux Juif passionné d'Histoire (la religion a une importance grandissante dans le film, le secret du film sur la fabrication du soylent est connu par un prêtre en confession) qui rejoint ses pairs pour se rappeler quand tout était vivable que Shirl qui dessille Thorn. Son arrogance se transforme en amour pour la jeune femme qui sait pourtant que rien ne pourra changer ce monde. Oui, ça approche, plus que deux ans avant que ce brouillard orange n'envahisse, que les biscuits de soylent green ne soient dans nos estomacs.




























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