On
n'a jamais été aussi proches de l'époque où se déroulera Soleil
vert, 2022. Et avec l'agent orange à la tête de la Maison
Blanche, cet état de fin du monde, de pollution permanente (Richard
Fleischer la filme avec un filtre orange justement, comme du sable
qui s'abat en permanence sur New York) et de pauvreté d'une immense
majorité de la population, semble s'approcher à grands pas. Pas un
jour où les informations, les reportages et les documentaires
n'annoncent qu'un dérèglement climatique ne crée une catastrophe
naturelle.
Ce
qui s'observe d'abord dans Soleil vert est l'environnement
saturé de pauvres. Quand Thorn (Charlton Heston) sort de son
appartement, il doit enjamber des dizaines de personnes, hommes,
femmes, enfants, jeunes, vieux, en train de tenter de dormir sur les
escaliers. Il passe d'un appartement modeste mais vide à cette
promiscuité, cette sur-population en une seconde. Voici la normalité
du film que le cinéaste déroule comme dans n'importe quelle autre
scène d'ouverture, il laisse son spectateur découvrir simplement ce
monde.
Thorn
n'a jamais connu que ce monde, pour lui tout cela est normal, mais il
vit avec un vieillard Sol Roth (Edward G. Robinson, l'acteur est
décédé peu après le tournage) qui a connu les animaux, les
plantes, l'air pur, les forêts et la vraie nourriture. Car en 2022,
la bouffe est devenue une plaque, une sorte de biscuit. Chaque jour
sa couleur de biscuit et le mardi c'est le vert, Soylent green. Les
gens se battent dans la rue pour acheter du Soylent. Le produit est
régulièrement en pénurie, c'est l'émeute et qui dit émeute, dit
police anti-émeute.
C'est
sans doute l'une des scènes les plus marquantes de Soleil vert,
celle de la répression de la population par des bennes anti-émeute.
Des camions traversent la foule qui proteste contre la pénurie. Des
pelles dentées à l'avant des camions ramassent (à la pelle,
logiquement) les manifestants et les mettent dans une benne à
l'arrière du camion. Il n'est jamais vraiment expliqué ce qui
advient de ces protestataires, s'ils sont morts, s'ils sont en
détention, mais compte tenu du reste du film, j'ai toujours imaginé
qu'ils finissent eux aussi dans l'usine de soylent green.
Avant
cette scène, le film fait croire que Thorn mène une enquête, il
fait figure de simple film policier avec un meurtre déguisé en
cambriolage qui a mal tourné. Celui d'un homme riche Simonson
(Joseph Cotten). Il vit dans une luxueuse résidence. Contrairement à
Thorn et Sol Roth, il a des vrais aliments. Thorn se servira dans le
frigo, steak, salade pour le plus grand plaisir de Sol. Il ne
profitera aussi pour boire de l'eau, grand luxe. Voici ainsi les deux
environnements décrits, un monde de très pauvres, très nombreux et
celui des riches, très rares.
Le
film va un peu plus que la bouffe et le logement comme facteurs de
classes sociales. Dans l'appartement, Thorne découvre Shirl (Leigh
Taylor-Young), jeune et jolie femme brune. Shirl n'est pas l'épouse
du défunt, elle est du mobilier. Il faut voir avec quelle violence
Charles (Leonard Stone), le concierge de la résidence, frappe et
humilie les femmes dites de mobilier qui s'étaient retrouvées chez
Shirl, coups de poing dans l'estomac, gifles. Seule l'arrivée de
Thorn dans l'appartement interrompt la punition de Charles sur ces
femmes.
Quand
le film commence, Thorn est un personnage arrogant, sûr de lui et de
son bon droit. Flic sans envergure, moqué par ses pairs, mal
considéré par sa hiérarchie, il ne se rend pas compte de la
corruption de la société qu'il s'évertue à défendre malgré tous
les avertissements de Sol Roth et les signes autour de lui. En début
de film, Thorn est un homme aveugle, son champ de vision est obstrué
par l'épais brouillard orange. Quand on lui demande de fermer les
yeux sur la mort de Simonson, il commence à les ouvrir petit à
petit.
C'est
tout autant le vieux Sol Roth, vieux Juif passionné d'Histoire (la
religion a une importance grandissante dans le film, le secret du
film sur la fabrication du soylent est connu par un prêtre en
confession) qui rejoint ses pairs pour se rappeler quand tout était
vivable que Shirl qui dessille Thorn. Son arrogance se transforme en
amour pour la jeune femme qui sait pourtant que rien ne pourra
changer ce monde. Oui, ça approche, plus que deux ans avant que ce
brouillard orange n'envahisse, que les biscuits de soylent green ne
soient dans nos estomacs.
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