dimanche 22 décembre 2019

Notre Dame (Valérie Donzelli, 2019)


Puisque tout le monde parle de bilan de la décennie, je vais aussi moi le faire. Valérie Donzelli a traversé la décennie. Son premier film La Reine des pommes est sorti en février 2010 et voici son cinquième film qui reprend ce ton alerte qu'on trouve rarement chez les réalisatrices apparues depuis 2010, Rebecca Zlotowski, Alice Winocour, Katell Quillévéré (on peut aussi ajouter Céline Sciamma), toutes partisanes d'un cinéma de fiction porté par la force documentaire, jusqu'à l'étouffement de la fiction dans certains films.

Valérie Donzelli choisit pour appuyer son réalisme des artifices magiques, dans une voie franchement oubliée aujourd'hui celle du cinéma de Jacques Demy, on passe ainsi par une danse dans un décor composé d'un fond noir (la scène du AirBnB) à une chanson collective en fin de film, une réalité virtuelle qui montre un phallus et la maquette de Maud Crayon, que joue la cinéaste, qui vole de son appartement au bureau de la maire de Paris. Toute cette artificialité permet de mieux faire ressortir la face politique du film.

Cet aspect politique est disséminé dans tout le récit à travers des personnages à fort potentiel comique mais qui affirme combien tout va mal. Prenons le génial Samir Guesmi en patron ultra-libéral qui est fier d'employer Maud, en la bousculant constamment, sans jamais lui faire signer de contrat ni même la payer. Il semble chaque fois lui dire, quand elle réclame son dû, c'est déjà un honneur d'avoir un travail mais de là à être payé et considéré il y a un pas. Samir Guesmi est dans ce rôle un ogre qui fait peur à tous ses architectes d'employés.

Prenons la maire de Paris (Isabelle Candelier) qui vit dans un autre monde et son premier adjoint (Philippe Katerine) adepte non seulement de la novlangue mais aussi de la langue de bois, toujours prompt à flatter son édile. Le chanteur joue son personnage comme un gros chat à sa mémère, totalement gâteux. La relation de ces deux-là est aussi ambiguë que celle entre Maud Crayon et son patron. C'est aussi l'avocate (Claude Perron), totalement dépassée, Valérie Donzelli avait déjà tâté la justice dans Main dans la main en 2012.

Dans Notre Dame ce sont les variations qui comptent, elles sont déclinées dans des situations amoureuses complexes. Trois hommes tournent autour de Maud Crayon. Son ex Martial (Thomas Scimeca), qui revient piteusement, littéralement la queue entre les jambes comme un toutou, éternel loser, éternel largué, éternel adolescent qui se blottit, à poil, dans le lit de Maud parce que le canapé c'est pas confortable. Il y a aussi son collègue Didier (Boulli Lanners), en gros ours timide qui suit Maud dans son projet de parvis de Notre Dame.

Enfin voici Bacchus Renard (Pierre Deladonchamps), son ancien amoureux, journaliste pas du tout professionnel. On le voit bien, ces trois hommes sont personnifiés par un animal, chien, ours, renard. Là aussi est une formidable idée de mise en scène de Valérie Donzelli (Jérémie Elkaïm s'appelait déjà Fox dans Main dans la main). Cela accentue encore l'idée du conte, de la fable, de la comptine, mais aussi de la bande dessinée à la ligne claire où tous les personnages et les décors (les escaliers ont des fonctions lubitschiennes) sont des esquisses.

Le film repose sur ces idées d'esquisse : ça commence au son de Douce France, mais la France de Notre Dame n'est pas douce. Les gens se donnent des claques dans la rue, exaspérés par tous les dérèglements, le premier d'entre eux est climatique. Maud porte toujours cette même robe, robe de chambre ou tenue de soirée, c'est la même comme Tintin était toujours vêtu pareil dans toutes ses aventures. Maud Crayon c'est un peu la Tintin parisienne de cette fin de décennie, je suis content de retrouver Valérie Donzelli en pleine forme.

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