Puisque
tout le monde parle de bilan de la décennie, je vais aussi moi le
faire. Valérie Donzelli a traversé la décennie. Son premier film
La Reine des pommes est sorti en février 2010 et voici son
cinquième film qui reprend ce ton alerte qu'on trouve rarement chez
les réalisatrices apparues depuis 2010, Rebecca Zlotowski, Alice
Winocour, Katell Quillévéré (on peut aussi ajouter Céline
Sciamma), toutes partisanes d'un cinéma de fiction porté par la
force documentaire, jusqu'à l'étouffement de la fiction dans
certains films.
Valérie
Donzelli choisit pour appuyer son réalisme des artifices magiques,
dans une voie franchement oubliée aujourd'hui celle du cinéma de
Jacques Demy, on passe ainsi par une danse dans un décor composé
d'un fond noir (la scène du AirBnB) à une chanson collective en fin
de film, une réalité virtuelle qui montre un phallus et la maquette
de Maud Crayon, que joue la cinéaste, qui vole de son appartement au
bureau de la maire de Paris. Toute cette artificialité permet de
mieux faire ressortir la face politique du film.
Cet
aspect politique est disséminé dans tout le récit à travers des
personnages à fort potentiel comique mais qui affirme combien tout
va mal. Prenons le génial Samir Guesmi en patron ultra-libéral qui
est fier d'employer Maud, en la bousculant constamment, sans jamais
lui faire signer de contrat ni même la payer. Il semble chaque fois
lui dire, quand elle réclame son dû, c'est déjà un honneur
d'avoir un travail mais de là à être payé et considéré il y a
un pas. Samir Guesmi est dans ce rôle un ogre qui fait peur à tous
ses architectes d'employés.
Prenons
la maire de Paris (Isabelle Candelier) qui vit dans un autre monde et
son premier adjoint (Philippe Katerine) adepte non seulement de la
novlangue mais aussi de la langue de bois, toujours prompt à flatter
son édile. Le chanteur joue son personnage comme un gros chat à sa
mémère, totalement gâteux. La relation de ces deux-là est aussi
ambiguë que celle entre Maud Crayon et son patron. C'est aussi
l'avocate (Claude Perron), totalement dépassée, Valérie Donzelli
avait déjà tâté la justice dans Main dans la main en 2012.
Dans
Notre Dame ce sont les variations qui comptent, elles sont
déclinées dans des situations amoureuses complexes. Trois hommes
tournent autour de Maud Crayon. Son ex Martial (Thomas Scimeca), qui
revient piteusement, littéralement la queue entre les jambes comme
un toutou, éternel loser, éternel largué, éternel adolescent qui
se blottit, à poil, dans le lit de Maud parce que le canapé c'est
pas confortable. Il y a aussi son collègue Didier (Boulli Lanners),
en gros ours timide qui suit Maud dans son projet de parvis de Notre
Dame.
Enfin
voici Bacchus Renard (Pierre Deladonchamps), son ancien amoureux,
journaliste pas du tout professionnel. On le voit bien, ces trois
hommes sont personnifiés par un animal, chien, ours, renard. Là
aussi est une formidable idée de mise en scène de Valérie Donzelli
(Jérémie Elkaïm s'appelait déjà Fox dans Main dans la main).
Cela accentue encore l'idée du conte, de la fable, de la comptine,
mais aussi de la bande dessinée à la ligne claire où tous les
personnages et les décors (les escaliers ont des fonctions
lubitschiennes) sont des esquisses.
Le
film repose sur ces idées d'esquisse : ça commence au son de
Douce France, mais la France de Notre Dame n'est pas douce. Les gens
se donnent des claques dans la rue, exaspérés par tous les
dérèglements, le premier d'entre eux est climatique. Maud porte
toujours cette même robe, robe de chambre ou tenue de soirée, c'est
la même comme Tintin était toujours vêtu pareil dans toutes ses
aventures. Maud Crayon c'est un peu la Tintin parisienne de cette fin
de décennie, je suis content de retrouver Valérie Donzelli en
pleine forme.
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