It
must be heaven (Elia Suleiman, 2019)
On
compare à Jacques Tati mais je ne suis pas certain que Tati aurait
filmé les jambes des filles au ralenti comme le fait Elia Suleiman.
Tati était un enfant dans un monde adulte et Suleiman, en adulte, admire
les femmes parisiennes et prend son temps, en terrasse de café, pour
les observer. Dans le cinéma américain, il y a bien deux burlesques
qui regardent tout les femmes, c'est Harpo Marx et comme Elia
Suleiman, il ne parle pas et Jerry Lewis dans un mélange d'attirance
et de répulsion. Jerry Lewis parle beaucoup plus mais il compose lui
aussi ses films en saynètes extrêmement chorégraphiées. Les
scènes à Paris sont ce qu'on peut voir de plus admirable et de
mieux mis en scène depuis des mois. Je ne suis demandé souvent
comment il avait réussi à vider la capitale de ses habitants pour
en faire un pamphlet sur la mode politique du moment : le tout
sécuritaire, le règne du règlement. Il faut voir ces flics venir
mesurer la terrasse du café où il se trouve, tels des machines
issues de Terminator, les voir déambuler sur leur petites
machines. Le mélange constant d'infantilisation et d'application
stricte d'une loi stupide montre à quel point le monde est déréglé.
Ce dérèglement, il est présent dans les séquences sur sa terre
natale, dans ce pays de Nazareth, en terre Chrétienne arabe où un
pope s'énerve devant la porte d'une église et où un voisin qui
s'occupe de son jardin. Avec sa tête de Droopy, Elia Suleiman
observe ce monde et va se promener, à Paris donc puis à New-York
(mais filmé au Canada) où il tombe sur des admirateurs de son
cinéma mais eux aussi voudraient un film à la Tati et surtout pas
un film sur la Palestine. Le finale dans une boîte de nuit bruyante
me rappelle celui de Simon du désert de Luis Buñuel où l'ermite
qu'incarnait Claudio Brook se retrouvait en enfer, c'était une
discothèque.
Tenzo
(Katsuya Tomita, 2019)
Le
film le plus court de la quinzaine pratique lui aussi le mélange,
plutôt la dualité entre deux moines laïcs de la région proche de
Fukushima. C'est épatant mais on ne sait jamais vraiment où on se
trouve, dans un documentaire sur leur vie ou dans une fiction. L'un
des deux moines est marié et père de famille et donne des courts de
cuisine zen. Son temps libre il le passe à écouter les Japonais
déprimés avec le tsunami et l'explosion atomique. L'autre moine a
vu son temple détruit, il écoute du rap dans sa camionnette et se
soûle la gueule. Split screen, animation dans certaines courtes
scènes, film d'archive en 16mm, tout est là pour désarçonner le
spectateur, c'est un puzzle narratif, avec tout plein d'incongruités,
de cocasserie et d'humour. Il brise surtout tous les clichés sur le
bouddhisme zen que l'on avait ou que l'on pouvait avoir. Une vieille
bonzesse adresse à intervalles réguliers sa vision du monde, c'est
terriblement déprimant, mais oui, elle a raison.
Les
Envoûtés (Pascal Bonitzer, 2019)
On
dirait un vieux scénario que Bonitzer, dont il était l'un des
scénaristes, aurait filé à Jacques Rivette et que celui-ci aurait
pas voulu / pu tourner, dans cette période pas folichonne du
cinéaste qui allait de Haut bas fragile à Touchez pas à
la hache. C'est assez terrifiant de retrouver tous les tics de
Rivette mal façonnés par un autre (il faut tenir une durée
standard, en totale opposition au temps flottant de Rivette).
Bonitzer cherche à retrouver cette ambiance fantastique et
fantomatique qui peuplait certains films de Rivette, mais rien n'est
vraiment envoûté dans le film et la relation entre cette pigiste et
ce peintre lorgne vers tout un pan du cinéma psychologique des
années 1950 (allez, je balance l'influence : Hitchcock) mais
c'est très laborieux. Plus que cela, ce sont les voix qui ne vont
pas. La voix de tête de Sara Giraudeau face au ton sourd et enfumé
de Nicolas Duvauchelle. Il faut du temps pour comprendre ce qu'ils se
disent.
Docteur ?
(Tristan Séguéla, 2019)
Je
termine avec une comédie de Noël plutôt marrante sur un sujet
décidément très actuel : l'uberisation de la société :
comme le livreur de Sorry we missed you de Ken Loach, comme le
chauffeur VTC de Gloria mundi de Robert Guédiguian, le petit
jeune de Docteur livre de la bouffe à des clients pas
toujours très agréables (mention spéciale à l'ignominie du
personnage de Franck Gastambide). Je ne connaissais pas le jeune
acteur Hakim Jemili qui dispense une chouette naïveté à son
personnage de livreur face à Michel Blanc parfait en ronchon
alcoolo. Certes, le film en fait des tonnes, certains gags sont très
vulgaires (mais j'aime ça les gags vulgaires), c'est très calibré
et l'essentiel est là : j'ai ri.
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