lundi 23 décembre 2019

The Lighthouse (Robert Eggers, 2019)


J'en reviens toujours pas de voir Robert Pattinson. Quand il a commencé à jouer Edward Cullen dans les Twilight en 2009, il était, encore plus que Taylor Lautner – le loup-garou de la franchise – et Kristen Stewart – la nécrophile, puisqu'elle couchait avec un vampire, devenue depuis l'égérie d'Olivier Assayas, la risée du monde entier. Je suis plutôt ravi de voir que tout revient dans l'ordre. David Cronenberg avait parfaitement capté dans Cosmopolis l'effet miroir qu'il exerce sur le spectateur.

Robert Pattinson fait la couverture des Cahiers du cinéma (pour Good time des frères Safdie), joue dans le meilleur film de James Grey (Lost city of Z), part dans l'espace pour Claire Denis (High life) et file désormais sur un phare sur un îlot de la Nouvelle Ecosse en compagnie de Willem Dafoe, barbu comme jamais, rugueux à souhait, délivrant quelques pets dans l'espace exiguë qui va leur servir quelques mois de domicile et de lieu de travail. Le tout est filmé dans un noir et blanc ultra contrasté.

Ces pets qu'on entend ne sont pas là pour faire rire, pas uniquement. Cette trivialité permet au film de ne pas se prendre trop au sérieux, de rester proches de ces personnages, surtout de celui de Willem Dafoe qui débite des lignes entières de Herman Melville avant chaque repas (de la morue et un légume, ça doit être ça qui le fait péter) et d'avaler des litres d'alcool blanc. Ce que refuse pour l'instant de faire son jeune apprenti qui se contente d'eau. À voir le goût de l'eau, on comprend pour l'ancien boit de l'eau de vie.

N'entendre que les pets serait de mauvaise foi. Ce que le film de Robert Eggers propose comme dispositif sonore est une sorte de corne de brume, un haut parleur qui rugit jusqu'à en faire vibrer les fauteuils du cinéma. C'est un avertisseur pour les bateaux tout autant que la lumière du phare. Le son, court et sourd, est relayé par la musique sinistre elle aussi. Tout à fait en adéquation avec l'image. Il s'agit d'être cerné par un son dont on ne peut pas s'échapper, auquel s'ajoute le ressac de la mer, les vagues qui s'échouent et l'écume de l'eau.

L'îlot est inhospitalier et l'aîné mène la vie dure à son cadet. Il est toujours sur son dos, il lui donne des ordres, il le réprimande. Il faudra un bon moment pour qu'on sache comment ces deux-là s'appellent (ça change des dialogues où les noms et prénoms sont donnés à chaque fin de phrase). Pour l'instant, le jeune est appelé « young lad », « mon petit gars » par l'ancien. Ce qui a le chic pour l'énerver. « Je m'appelle Ephraïm Winbslow », lui dit Robert Pattinson de plus en plus agacé. L'autre continue de la traiter comme un chien.

Un chien, voilà ce qu'il est, rien de plus. Un chien avec des envies profondes de sexe, un chien qui imagine voir sur les rochers une sirène, il en rêve la nuit, hurle jusqu'à se réveiller. Un chien qui se branlera devant l'image d'une autre sirène, en ivoire celle-là, révélant la nudité de l'acteur dans des images érotiques (oui, ça change des ridicules chromo de Twilight, ça change d'Edward Cullen) dignes à la fois des magazines beefcake, de Pierre & Gilles et un peu de Querelle. C'est cette charge érotique que l'acteur apporte et qui va troubler la vie.

Voir la lumière est interdit à Ephraïm, son Maître, Thomas Wake (enfin on connaît le nom de Willem Dafoe), lui interdit. Tous les stratagèmes sont bons pour amadouer Thomas. Ephraïm commence à picoler avec lui, à chanter avec lui, ils dansent ensemble, dans un étrange ballet. Rien n'y fait, il reste un chien, un petit gars. C'est ce refus qui provoque la folie du jeune homme décrite organiquement dans la confusion des plans qui s'entrechoquent. C'est un film cerveau tout autant qu'un film phallus.

L'un des personnages les plus importants du film est une mouette. L'oiseau – bonjour Alfred Hitchcock – nargue Ephraïm. La mouette provoque la malédiction qui s'abat sur lui dans un surgissement de violence inouï. Tout bascule, la réalité comme le rêve. Et soudain, une question survient, et si les deux hommes n'en étaient qu'un ? Et si Thomas Wake n'était que Ephraïm Winslow vieux, dégénéré, sénile qui s'invente un jeune compagnon comme l'autre s'imaginait baiser la sirène pour masquer sa solitude. C'est la vision que j'ai aujourd'hui de The Lighthouse. Demain ce sera peut-être une autre.

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