jeudi 26 décembre 2019

Le Lac aux oies sauvages (Diao Yinan, 2019)


Il pleut. Je pourrais résumer Le Lac aux oies sauvages avec ces deux mots. Il pleut pendant deux heures, sans interruption, comme dans Seven de David Fincher, comme dans le bien nommé Une pluie sans fin de Dong Yue. Mais à la différence près que tout ici est concentré sur quelques heures dans une ville du centre de la Chine, une ville comme toutes les autres. Et non seulement tout est en unité de temps, mais de nuit.

L'affiche superbe annonce la couleur, ce rose mauve un peu indéfini, cette couleur mièvre va contraster avec la noirceur intrinsèque du film, avec ce polar tendu et poisseux. C'est la couleur des néons et des enseignes d'un hôtel où se rend Zhou Zenong (Hu Ge), un gars de grande taille, d'une grande beauté, taciturne, un peu mystérieux. Avec sa petite chemise noire, il traverse les couloirs et arrive au sous-sol où a lieu une réunion avec tout un assortiment de mecs accroupis.

On se partage les quartiers entre gangsters. Ici on vole des scooters, des motos, on les désosse pour revendre les moteurs, les batteries. On fait des tutos, des démonstrations de la meilleure manière de voler les véhicules. Et soudain, tout part en couille. Un jeune gars, aux cheveux peroxydés, déclare être spolié de sa rue et tire dans la jambe du dénommé « Petit Rat », la frère de « Petit Chat ». dans la plus grande confusion, tout ce beau monde se lance dans une bagarre.

Ou presque, Zenong fait figure ici de grand frère qu'on écoute. Il arrange les choses et pour ça, c'est un concours qui est choisi : celui qui vole en deux heures le plus de scooters se verra attribuer la rue. Le film déjà très intriguant file sur les chapeaux de roue, il entame une course poursuite, une bataille entre les deux bandes, celle de Zenong et celle de « Petit Chat ». Chacun pour soi et tous les coups sont permis.

En matière de coups tordus, on n'y va pas avec le dos de la cuiller. La brutalité de ces petites frappes est une fuite en avant, dans le noir de la nuit, sur leur petite moto le visage frappé par la pluie. Tout va vite s'aggraver quand la police commence à partir à la poursuite de cette grosse troupe. La police n'aurait rien dit s'ils s'étaient seulement entre-tués mais un flic a reçu une balle. Voici maintenant Zenong doublement poursuivi.

Tout ce que je viens de raconter est un flash-back raconté par Zenong à une petite bonne femme, Ai-ai (Gwei Lun-mei), pull rouge, cheveux courts, à la garçon manqué, à la Jean Seberg dans A bout de souffle qui vient au rendez-vous que Zenong avait donné à sa femme. Ai-ai et Zenong s'observent sur le quai de la gare, ils ne se connaissent pas, ils se jaugent sans vraiment savoir s'ils peuvent se faire confiance.

Ils vont marcher, beaucoup, à travers toute la ville, pour éviter la bande de « Petit Chat », pour éviter les flics de plus en plus nombreux et aux méthodes aussi expéditives que ceux des gangsters. Dans Le Lac aux oies sauvages, l'ambivalence du rôle de la police est mise en avant. Les rues forment un labyrinthe mystérieux, la nuit est infernale, l'angoisse est sourde et les morts se comptent par dizaine dans une violence noire.

Le jour c'est celui du flash-back de Ai-ai autour du lac qui donne son titre au film, avec ces jeunes femmes en blanc qui se prostituent. Elle était obligée par son maquereau d'aller voir Zenong. Elle va tout faire pour partir de cette ville. On lui a promis une partie de la récompense pour la tête de Zenong. Ce dernier tente de négocier avec la jeune femme. Il cherche aussi à ce que la récompense revienne à sa femme et à leur fils.

Car dans Le Lac aux oies sauvages, personne n'attend de rédemption. Zenong sait qu'il va mourir. La fatum règne tandis que les signes sont distillés ici et là (gros plans sur des animaux nocturnes) et que la beauté de certains plans est sidérante (le parapluie ne sert par exemple pas seulement à s'abriter de la pluie, Zenon se fait un bandage). Et toutes ces couleurs, contre-points ironiques à la noirceur irrémédiable de presque tout le monde dans ce pays sinistré.

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