Il
pleut. Je pourrais résumer Le Lac aux oies sauvages avec ces
deux mots. Il pleut pendant deux heures, sans interruption, comme
dans Seven de David Fincher, comme dans le bien nommé Une
pluie sans fin de Dong Yue. Mais à la différence près que tout
ici est concentré sur quelques heures dans une ville du centre de la
Chine, une ville comme toutes les autres. Et non seulement tout est
en unité de temps, mais de nuit.
L'affiche
superbe annonce la couleur, ce rose mauve un peu indéfini, cette
couleur mièvre va contraster avec la noirceur intrinsèque du film,
avec ce polar tendu et poisseux. C'est la couleur des néons et des
enseignes d'un hôtel où se rend Zhou Zenong (Hu Ge), un gars de
grande taille, d'une grande beauté, taciturne, un peu mystérieux.
Avec sa petite chemise noire, il traverse les couloirs et arrive au
sous-sol où a lieu une réunion avec tout un assortiment de mecs
accroupis.
On
se partage les quartiers entre gangsters. Ici on vole des scooters,
des motos, on les désosse pour revendre les moteurs, les batteries.
On fait des tutos, des démonstrations de la meilleure manière de
voler les véhicules. Et soudain, tout part en couille. Un jeune
gars, aux cheveux peroxydés, déclare être spolié de sa rue et
tire dans la jambe du dénommé « Petit Rat », la frère
de « Petit Chat ». dans la plus grande confusion, tout ce
beau monde se lance dans une bagarre.
Ou
presque, Zenong fait figure ici de grand frère qu'on écoute. Il
arrange les choses et pour ça, c'est un concours qui est choisi :
celui qui vole en deux heures le plus de scooters se verra attribuer
la rue. Le film déjà très intriguant file sur les chapeaux de
roue, il entame une course poursuite, une bataille entre les deux
bandes, celle de Zenong et celle de « Petit Chat ».
Chacun pour soi et tous les coups sont permis.
En
matière de coups tordus, on n'y va pas avec le dos de la cuiller. La
brutalité de ces petites frappes est une fuite en avant, dans le
noir de la nuit, sur leur petite moto le visage frappé par la pluie.
Tout va vite s'aggraver quand la police commence à partir à la
poursuite de cette grosse troupe. La police n'aurait rien dit s'ils
s'étaient seulement entre-tués mais un flic a reçu une balle.
Voici maintenant Zenong doublement poursuivi.
Tout
ce que je viens de raconter est un flash-back raconté par Zenong à
une petite bonne femme, Ai-ai (Gwei Lun-mei), pull rouge, cheveux
courts, à la garçon manqué, à la Jean Seberg dans A bout de
souffle qui vient au rendez-vous que Zenong avait donné à sa femme.
Ai-ai et Zenong s'observent sur le quai de la gare, ils ne se
connaissent pas, ils se jaugent sans vraiment savoir s'ils peuvent se
faire confiance.
Ils
vont marcher, beaucoup, à travers toute la ville, pour éviter la
bande de « Petit Chat », pour éviter les flics de plus
en plus nombreux et aux méthodes aussi expéditives que ceux des
gangsters. Dans Le Lac aux oies sauvages, l'ambivalence du rôle de
la police est mise en avant. Les rues forment un labyrinthe
mystérieux, la nuit est infernale, l'angoisse est sourde et les
morts se comptent par dizaine dans une violence noire.
Le
jour c'est celui du flash-back de Ai-ai autour du lac qui donne son
titre au film, avec ces jeunes femmes en blanc qui se prostituent.
Elle était obligée par son maquereau d'aller voir Zenong. Elle va
tout faire pour partir de cette ville. On lui a promis une partie de
la récompense pour la tête de Zenong. Ce dernier tente de négocier
avec la jeune femme. Il cherche aussi à ce que la récompense
revienne à sa femme et à leur fils.
Car
dans Le Lac aux oies sauvages, personne n'attend de
rédemption. Zenong sait qu'il va mourir. La fatum règne tandis que
les signes sont distillés ici et là (gros plans sur des animaux
nocturnes) et que la beauté de certains plans est sidérante (le
parapluie ne sert par exemple pas seulement à s'abriter de la pluie,
Zenon se fait un bandage). Et toutes ces couleurs, contre-points
ironiques à la noirceur irrémédiable de presque tout le monde dans
ce pays sinistré.
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