De
l'autre côté de la chaussée, sur un trottoir au milieu d'une rue,
comme observée du coup de l’œil, telle une apparition. Un petit
jouet, une sorte de chien en peluche qu'elle saisit avant de
rejoindre la voiture. Voici la première image d'Anna Karina dans le
cinéma, Le Petit soldat de Jean-Luc Godard. Elle est encore
une enfant, c'est pour cela que le cinéaste lui met ce jouet dans
les mains. Il lui donne une prénom typique des premiers
courts-métrages de la Nouvelle Vague Véronika (le prénom est dans
le titre des courts de Godard comme Rohmer) et un nom de famille
Dreyer le cinéaste compatriote de l'actrice.
Les
spectateurs, eux, ont attendu trois ans avant de voir Le Petit
soldat, la censure de De Gaulle a sévi durement. C'est, dans la
chronologie des sorties, Une femme est une femme qui a marqué
la découverte d'Anna Karina, donc une actrice en couleur, dans une
comédie et où elle apparaît de tous les plans, de toutes les
scènes. Dans Le Petit soldat, elle vient en noir et blanc,
dans un film très bricolé (pas de son direct), tourné à la va
vite, comme une urgence. Celle de Jean-Luc Godard de filmer cette
jeune femme dont il tombe amoureux en court de tournage, en court de
film. Ne lit-on pas griffonné à la main un « je vous aime » ?
Il
est tellement amoureux qu'il la filme deux fois en multipliant les
miroirs où son visage se réfléchit. D'abord discrètement, dans la
rétroviseur de la voiture conduite par l'ami de Bruno Forestier
(Michel Subor, magnifique, envoûtant de jeunesse, d'une rare beauté
à la voix grave) puis dans tous les miroirs des appartements où ces
deux-là se retrouvent. L'actrice est épargnée par les longs
monologues, il sont dévolus à Michel Subor, surtout en voix off.
Elle parlait en 1960 à peine le français, alors, Godard la filme
sous toutes les coutures, souvent en train de se coiffer ou de jouer
avec ses cheveux.
Deux
films se confrontent. Un polar étrange situé à Genève, d'abord en
extérieur où Bruno, un déserteur qui a fui la France en pleine
guerre d'Algérie, on entend à la radio des échos de la guerre. Il
s'est réfugié en « pays neutre », comme disent les
dialogues. Il est engagé par des agents d'extrême droite pour
assassiner un Français qui soutient le FLN. On croise surtout Laszlo
Szabo, lui aussi c'était sa première visite dans le cinéma de
Godard. Il joue un Arabe qui va torturer Bruno dans un appartement.
On lit La Question d'Henri Aleg (l'une des raisons de la censure
d'Etat), Mao Tsé-toung (déjà) et Lénine. On entend toutes les
pensées de Bruno.
L'autre
film c'est évidemment une histoire d'amour entre Véronika et Bruno
qui commence sur un pari ridicule (l'ami de Bruno parie 50$ qu'il va
tomber amoureux en 5 minutes). Dans toutes ces séquences où Anna
Karina est avec Michel Subor, aucun érotisme n'intervient mais on
sent, de plus en plus clairement tandis que le filma avance, les mots
d'amour qui se dessinent. C'est assez fascinant d'entendre cela, de
voir ce ballet autour de l'actrice se former, une sarabande amoureuse
que Jean-Luc Godard entonne de plus en plus près. Ça commençait de
loin dans cette rue avec cette peluche, il poursuit en gros plan et
en regard caméra.
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