mercredi 18 décembre 2019

Le Petit soldat (Jean-Luc Godard, 1960)

De l'autre côté de la chaussée, sur un trottoir au milieu d'une rue, comme observée du coup de l’œil, telle une apparition. Un petit jouet, une sorte de chien en peluche qu'elle saisit avant de rejoindre la voiture. Voici la première image d'Anna Karina dans le cinéma, Le Petit soldat de Jean-Luc Godard. Elle est encore une enfant, c'est pour cela que le cinéaste lui met ce jouet dans les mains. Il lui donne une prénom typique des premiers courts-métrages de la Nouvelle Vague Véronika (le prénom est dans le titre des courts de Godard comme Rohmer) et un nom de famille Dreyer le cinéaste compatriote de l'actrice.

Les spectateurs, eux, ont attendu trois ans avant de voir Le Petit soldat, la censure de De Gaulle a sévi durement. C'est, dans la chronologie des sorties, Une femme est une femme qui a marqué la découverte d'Anna Karina, donc une actrice en couleur, dans une comédie et où elle apparaît de tous les plans, de toutes les scènes. Dans Le Petit soldat, elle vient en noir et blanc, dans un film très bricolé (pas de son direct), tourné à la va vite, comme une urgence. Celle de Jean-Luc Godard de filmer cette jeune femme dont il tombe amoureux en court de tournage, en court de film. Ne lit-on pas griffonné à la main un « je vous aime » ?

Il est tellement amoureux qu'il la filme deux fois en multipliant les miroirs où son visage se réfléchit. D'abord discrètement, dans la rétroviseur de la voiture conduite par l'ami de Bruno Forestier (Michel Subor, magnifique, envoûtant de jeunesse, d'une rare beauté à la voix grave) puis dans tous les miroirs des appartements où ces deux-là se retrouvent. L'actrice est épargnée par les longs monologues, il sont dévolus à Michel Subor, surtout en voix off. Elle parlait en 1960 à peine le français, alors, Godard la filme sous toutes les coutures, souvent en train de se coiffer ou de jouer avec ses cheveux.

Deux films se confrontent. Un polar étrange situé à Genève, d'abord en extérieur où Bruno, un déserteur qui a fui la France en pleine guerre d'Algérie, on entend à la radio des échos de la guerre. Il s'est réfugié en « pays neutre », comme disent les dialogues. Il est engagé par des agents d'extrême droite pour assassiner un Français qui soutient le FLN. On croise surtout Laszlo Szabo, lui aussi c'était sa première visite dans le cinéma de Godard. Il joue un Arabe qui va torturer Bruno dans un appartement. On lit La Question d'Henri Aleg (l'une des raisons de la censure d'Etat), Mao Tsé-toung (déjà) et Lénine. On entend toutes les pensées de Bruno.


L'autre film c'est évidemment une histoire d'amour entre Véronika et Bruno qui commence sur un pari ridicule (l'ami de Bruno parie 50$ qu'il va tomber amoureux en 5 minutes). Dans toutes ces séquences où Anna Karina est avec Michel Subor, aucun érotisme n'intervient mais on sent, de plus en plus clairement tandis que le filma avance, les mots d'amour qui se dessinent. C'est assez fascinant d'entendre cela, de voir ce ballet autour de l'actrice se former, une sarabande amoureuse que Jean-Luc Godard entonne de plus en plus près. Ça commençait de loin dans cette rue avec cette peluche, il poursuit en gros plan et en regard caméra.




































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